Reconnaissance de la nation pour les Rapatriés d'Algérie, premiere séance du vendredi 11 juin 2004;dicussion du projet de loi
 
 

Première séance du vendredi 11 juin 2004
253e séance de la session ordinaire 2003-2004
PRÉSIDENCE DE MME HÉLÈNE MIGNON,
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
RECONNAISSANCE DE LA NATION POUR LES RAPATRIÉS
Discussion d'un projet de loi


Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés (nos 1499, 1660).
La parole est à M. le ministre délégué aux anciens combattants.
M. Hamlaoui Mékachéra, ministre délégué aux anciens combattants. Madame la présidente, monsieur le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, mesdames et messieurs les députés, c'est le destin des grands peuples et des grands pays que de conserver la mémoire de maints événements, glorieux ou tragiques.
Force est de constater que le souffle de l'histoire n'a guère épargné notre pays, lui infligeant drames et souffrances. Voici moins d'une semaine, nous étions en Normandie pour célébrer le soixantième anniversaire du Débarquement. Hier, nous étions réunis dans l'émotion à Oradour-sur-Glane. Le 15 août, nous commémorerons le débarquement de Provence et l'épopée glorieuse de l'armée d'Afrique.
Aujourd'hui, votre assemblée est invitée à légiférer sur certaines des conséquences les plus douloureuses de la guerre d'Algérie et de la décolonisation.
À chaque fois, ce regard porté vers le passé se veut aussi promesse d'un avenir meilleur. Telle est, mesdames et messieurs les députés, l'ambition du projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter. Il se veut autant réparation des conséquences des drames de l'histoire que gage d'espérance pour celles et ceux à qui il s'adresse.
Vous le savez, ce texte est le point d'orgue d'une politique résolue et volontariste engagée en 1987 et 1994 et reprise dès après les élections de 2002.
Le débat organisé ici le 2 décembre dernier a montré l'attention que vous portez aux attentes de nos compatriotes rapatriés, dont, bien entendu, les harkis.
M. Gérard Bapt. Le Gouvernement n'a que trop attendu !
M. Jean-Pierre Grand. Qu'avez-vous fait pendant des années ?
M. le ministre délégué aux anciens combattants. Il m'a permis de vous exposer en détail les principes de notre action et les mesures prises pour rétablir la confiance et répondre aux situations d'urgence.
Je ne reviendrai donc pas sur la création de la mission interministérielle et du Haut conseil aux rapatriés, non plus que sur l'important rapport que votre collègue M. Diefenbacher a remis au Premier ministre.
M. Jean-Pierre Grand. Excellent rapport !
M. le ministre délégué aux anciens combattants. Les nombreuses avancées déjà réalisées en deux ans sont connues.
Mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement vous propose aujourd'hui de rendre justice à la beauté et la grandeur de ce que nos compatriotes rapatriés ont bâti hors de métropole, mais aussi, à tant de souffrances endurées, d'épreuves surmontées, de sang versé et de fidélité à la patrie et à la République. Tel est le sens, fort et émouvant, de l'article 1er du projet de loi.
Souvent caricaturée, parfois même calomniée, l'oeuvre des Français outre-mer peut et doit objectivement être une source de fierté, non seulement pour les acteurs de cette immense aventure et pour leurs enfants, mais aussi pour la nation tout entière.
Oui, je le dis avec force dans cette enceinte, ce que nous avons construit avec passion et courage loin de nos frontières est connu et doit être de plus en plus reconnu, tout comme les conditions dramatiques, parfois tragiques, de séparation avec ces territoires tant aimés et tant servis.
Après l'article 1er de la loi Romani du 11 juin 1994, promulguée il y a dix ans jour pour jour et qui reconnaissait, pour la première fois, le sacrifice consenti par les harkis, après l'instauration, exceptionnelle, par le Président Jacques Chirac, d'une journée nationale d'hommage aux harkis le 25 septembre de chaque année, le temps est venu de graver dans la loi, expression de la volonté nationale, que les rapatriés, tous les rapatriés, méritent la gratitude, la compassion et la solidarité du pays, la solidarité de la France.
Nous le ferons sans nous substituer aux historiens et dans des termes sur lesquels le Gouvernement est très ouvert à la discussion.
M. Gérard Bapt. Très bien !
M. le ministre délégué aux anciens combattants. Mesdames et messieurs les députés, ce projet de loi répond aussi aux attentes légitimes des rapatriés en matière de réparation matérielle.
À cet égard, je veux souligner les trois innovations qui le caractérisent.
D'abord, pour la première fois, dans une démarche de cohésion au sein de la collectivité nationale, l'ensemble des rapatriés d'Algérie, du Maroc et de Tunisie est concerné.
Ensuite, il s'adresse aussi bien aux rapatriés d'origine européenne qu'aux harkis et aux membres des formations supplétives ou assimilées.
Enfin, il vise à apurer le contentieux du passé, à solder les injustices, à dépasser les incompréhensions.
Les harkis, du fait de la tragédie subie et des conditions extrêmement dures de leur accueil en métropole, connaissent des difficultés qui appellent des réponses fortes. Ces stigmates sont les suites d'un parcours difficile, voire tragique.
Nous avons voulu que les premiers articles du projet de loi leur soient consacrés.
Mise en place le 1er janvier 2003 par le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, l'allocation de reconnaissance, qui, contrairement à la rente viagère, est versée à l'ensemble des 11 200 harkis ou de leurs veuves, a déjà augmenté de 30 % le 1er janvier 2004. Le projet prévoit de la porter de 1 800 euros à 2 800 euros par an, soit 700 euros par trimestre, dès le 1er janvier 2005.
M. Roland Chassain. Très bien !
M. le ministre délégué aux anciens combattants. Le texte innove en proposant à ceux qui le souhaitent - je dis bien à ceux qui en font librement le choix - d'opter pour le versement d'un capital de 30 000 euros.
Votre rapporteur et plusieurs d'entre vous ont proposé une troisième voie, combinant rente et capital. Je vous indique d'ores et déjà que cette suggestion, dont nous reparlerons, mérite d'être retenue. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Toujours en faveur des harkis, le projet de loi prolonge jusqu'en 2009 les effets de la loi Romani en matière de logement avec une prime d'accession à la propriété de 12 196 euros pour ceux qui ne sont pas propriétaires de leur résidence principale - mais je me réjouis d'ailleurs de constater que plus de la moitié des harkis en sont déjà propriétaires. En outre, il propose une aide à l'amélioration de l'habitat pouvant atteindre 7 622 euros pour ceux qui possèdent déjà une résidence principale. Cette aide permet d'en améliorer le confort. Depuis 1995, près de 6 000 foyers en ont bénéficié.
Enfin, avec une aide exceptionnelle affectée à la résorption du surendettement immobilier - cette plaie sociale que vous connaissez -, le montant moyen de chacune des aides ainsi attribuées se chiffre à environ 25 000 euros.
Le dispositif mis en place en 1995 pour aider ceux qui ont tout perdu en Algérie, notamment leur habitation, a bien fonctionné. Il doit être parachevé, car nous savons combien est grande et légitime leur aspiration à posséder un toit, source d'enracinement sur notre sol. C'est aussi un moyen pour les harkis de se constituer tout naturellement un patrimoine, qu'ils transmettront en héritage à leurs enfants.
Le projet de loi prévoit enfin un système dérogatoire pour les quelques centaines de harkis ou de veuves qui, par méconnaissance des textes en vigueur, n'ont pas acquis la nationalité française avant le 10 janvier 1973, date limite prévue par les lois de 1987 et 1994. Pour eux, la date limite sera donc exceptionnellement portée au 1er janvier 1995.
Globalement, nous nous proposons d'engager un effort de 660 millions d'euros pour les harkis, soit 50 % de plus que ce qui était prévu par la loi de 1994.
Mesdames et messieurs les députés, je le dis avec force et une certaine gravité : nous n'oublions pas non plus les enfants des harkis. Beaucoup souffrent des conditions de vie difficiles nées du rapatriement de leurs parents. Ils ont subi douloureusement leur arrivée, tant sur le plan matériel que sur le plan social.
Les mesures les concernant sont d'ordre réglementaire. Elles seront prises car nous voulons disposer des moyens nécessaires à leur insertion sociale et professionnelle. Il y a déjà plusieurs mois, nous avons lancé une démarche volontariste d'accompagnement renforcé vers l'emploi et la formation professionnelle. Ce dispositif, piloté par les préfectures, a déjà donné des résultats positifs. Près de 4 000 demandes d'aide ont été recensées à ce jour. Un premier bilan partiel a permis de constater que plus de 22 % des demandeurs avaient trouvé ou retrouvé un emploi permanent. Ce chiffre est encourageant et nos efforts - je m'y engage solennellement devant vous - seront activement poursuivis.
Cette action en faveur de l'emploi et de la formation professionnelle est pour nous une priorité. Nous avons mobilisé et sensibilisé sur ces sujets les grands employeurs publics que sont, par exemple, la police, l'armée ou encore les services hospitaliers.
M. Gérard Bapt. Avec quel résultat ?
M. le ministre délégué aux anciens combattants. Mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement vous propose également de mettre un terme définitif aux iniquités nées de l'application des différentes lois d'indemnisation concernant en particulier les rapatriés d'Algérie, du Maroc et de Tunisie.
À cet égard, je rappelle que la loi du 16 juillet 1987, dite « loi Santini », sur l'indemnisation a été votée après une large concertation avec les associations de rapatriés et, par conséquent, du public rapatrié. Il ne s'agissait plus de légiférer comme en 1970 ou en 1978, pour attribuer des avances sur créances détenues par des nationaux à l'encontre d'États étrangers, mais bien de procéder à une indemnisation des rapatriés. Et 30 milliards de francs y ont été consacrés.
Toutefois, cette dernière loi d'indemnisation a laissé subsister un sentiment d'injustice parmi les rapatriés. Certains ont bénéficié des mesures d'effacement des dettes de réinstallation prévues par la loi du 30 décembre 1986.
D'autres ont vu leur indemnisation réduite du remboursement anticipé du montant de ces mêmes prêts par l'effet de l'article 46 de la loi de 1970 et de la loi de 1978.
Ces exigences de remboursement anticipé ont conduit, dans un tiers des cas, à amputer les certificats d'indemnisation de la totalité des sommes inscrites. Pour les deux tiers restants, ils l'ont été de 50 % en moyenne.
Il était donc légitime que les pouvoirs publics fassent droit à une demande présentée avec constance par leurs représentants aux différents gouvernements depuis 1995.
Le nombre des bénéficiaires de ces restitutions, qui concernent à la fois l'Algérie, le Maroc et la Tunisie, est estimé à 90 000 rapatriés et ayants droit, pour un coût global d'environ 311 millions d'euros. Les remboursements seront échelonnés sur plusieurs années, en tenant compte de l'âge des bénéficiaires.
Enfin, toujours dans le souci d'apurer les contentieux du passé, l'article 6 propose de régler la situation des personnes de nationalité française ayant dû cesser leur activité professionnelle à la suite de condamnations liées aux événements d'Algérie. Ces faits ont été amnistiés, mais le préjudice matériel subi n'a pas été pris en compte.
Cette mesure ne concerne qu'une centaine de personnes, désormais âgées et ne disposant bien souvent que de très faibles moyens d'existence.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, au terme d'une intense concertation avec les parlementaires et les associations, le Gouvernement vous propose d'apporter une réponse forte et juste aux attentes de nos compatriotes rapatriés. Il vous invite à aider ceux qui sont en difficulté à solder les imperfections des lois antérieures et, par-dessus tout, à leur manifester notre respect et notre reconnaissance.
Je crois, en conscience, que ce projet de loi n'est donc pas dénué d'une certaine portée historique. C'est à vous qu'il appartient désormais, en adoptant ce texte, de sceller, par la loi, les efforts que la nation tout entière se doit de consentir envers ses rapatriés - rapatriés victimes de la marche inexorable, faut-il le rappeler, de l'histoire, qui, trop souvent, s'écrit avec le sang et les larmes de ceux qu'elle a oubliés.
Mesdames et messieurs les députés, je vais maintenant vous écouter avec une grande attention, comme je pense l'avoir fait depuis plusieurs mois et comme l'a fait M. Marc Dubordieu, président de la mission interministérielle aux rapatriés, avec l'aide et l'appui de Mme Alliot-Marie, ministre de la défense.
Chacun est animé par le souci de réussir l'action que le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a entreprise. La discussion des amendements va nous permettre d'améliorer encore ce dispositif. Le Gouvernement y est pleinement disposé.
Je ne saurais conclure cette intervention sans saluer très sincèrement le remarquable travail accompli par votre commission des affaires culturelles et par son rapporteur, Christian Kert. (« Bravo ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Ce soir, à l'issue de nos travaux, nous aurons tenu plus que l'intégralité des engagements pris par le Président de la République et la majorité.
Par-delà les clivages habituels, nous aurons répondu ensemble aux principales préoccupations des rapatriés et nous leur aurons adressé un message très attendu. Nous le leur devions bien.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, c'est la raison pour laquelle je soumets avec émotion à votre discussion et à votre approbation ce projet de loi portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Kert, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
M. Christian Kert, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, mesdames, messieurs, permettez-moi tout d'abord de remercier Mme la ministre de la défense d'être présente pour ce débat.
Le texte que vous nous présentez aujourd'hui, monsieur le ministre délégué aux anciens combattants, intervient, jour pour jour, dix ans après la promulgation de la loi du 11 juin 1994 présentée par l'un de vos prédécesseurs, Roger Romani, et qui était déjà réellement novatrice en matière de droit à réparation.
Le fait que ce soit vous, monsieur Mékachéra, qui nous le présentiez aujourd'hui, donne à ce nouveau texte une résonance singulière : votre passé, la place que vous occupez dans le Gouvernement et, enfin, le lien que vous entretenez avec la double communauté rapatriée confèrent à l'auteur de ce projet, que vous êtes, une incontestable autorité morale.
Nous avons, en décembre dernier, réalisé - élus de droite, du centre et de gauche, - que notre esprit de révolte contre l'oubli et contre l'injustice était intact. Peut-être nous sommes-nous même pris à rêver d'être les auteurs collectifs d'un texte qui corrigerait enfin ce sentiment d'avoir laissé une communauté entière dans un nœud de l'histoire et d'en être tous un peu complices.
Ce projet de loi, monsieur le ministre, est né de cet esprit de révolte républicaine. Nous vous remercions de l'avoir entendu.
Le texte que j'ai l'honneur de rapporter ce matin reprend trois idées fondamentales exprimées ici le 2 décembre dernier et déjà amorcées dans les préconisations du rapport de notre collègue Michel Diefenbacher.
Tout d'abord, reconnaître l'œuvre française outre-mer et les souffrances éprouvées par nos rapatriés lors de l'indépendance de ces départements d'Afrique du Nord où des centaines de milliers d'entre eux ont laissé leurs biens, certains des leurs, et les souvenirs ensoleillés de leur enfance. Leur vie là-bas, commencée dans la plénitude, s'achevait dans le déchirement.
Certains auraient aimé que l'on parlât de « responsabilité » plutôt que de reconnaissance. Vous avez, monsieur le ministre, écarté cette solution et la commission des affaires sociales, familiales et culturelles vous a suivi. Comme vous, en effet, nous avons estimé que, malgré le recul de quarante ans, le temps de la définition des responsabilités n'était pas venu.
Trop de zones d'ombre, trop de malentendus méritent encore d'être observés au prisme de l'histoire. Ce sera le rôle, la mission de la fondation nationale dont vous évoquez la création dans l'exposé des motifs et que plusieurs de nos collègues veulent voir « entrer dans la loi » dès aujourd'hui. Je sais, monsieur le ministre, que vous nous rejoignez sur ce point. Nous attachons en effet une réelle importance à la création à Marseille d'un mémorial de la France d'outre-mer car sa mission nous paraît essentielle : expliquer aux générations qui arrivent ce que fut l'oeuvre accomplie outre-mer par la France et les Français.
Ce texte se doit enfin d'être pédagogique et nous exprimons le souci que les manuels scolaires tiennent compte de cette aventure humaine et l'inscrivent dans l'histoire de notre pays. En politique et en histoire, il est des héritages auxquels il ne faut pas renoncer : l'oeuvre française outre-mer est de ceux-là.
Le deuxième objectif de votre projet de loi, c'est de rétablir l'équité entre les rapatriés métropolitains ou européens, on pourrait dire entre pieds-noirs, nul ne nous le reprochera. Soyons clairs : il ne s'agit pas d'une quatrième loi d'indemnisation ! Autant le reconnaître avant d'admettre que les dispositions du texte étaient attendues autant que l'est la clôture de l'indemnisation, qui représenterait un engagement de 12 milliards d'euros environ. Les rapatriés ont bien compris que le temps économique n'était pas propice à de tels engagements. Mais ils attendent de nous que nous ne fermions pas la porte à l'idée de clore un jour ce dossier.
Aussi préconisons-nous de « réveiller » l'esprit des accords d'Évian dont il est sans doute inutile que je rappelle qu'ils faisaient de l'Algérie le partenaire principal de la réparation matérielle. Même si nous ne pouvons donner visage de réalité à nos vieux rêves, nous voudrions inciter le Gouvernement, la MIR et le Haut conseil aux rapatriés à imaginer des solutions qui ne laissent pas l'État français seul face à cette exigence de l'histoire.
Pour le reste, votre texte fait faire un véritable bond à l'esprit d'équité entre les rapatriés métropolitains. S'il est une revendication qui s'exprime avec force depuis tant d'années chez nos concitoyens rapatriés, c'est bien celle relative à l'application de l'article 46 de la loi de 1970 qui prévoyait qu'avant tout paiement, la contribution nationale à l'indemnisation, créée par la loi, était affectée au remboursement des prêts qui avaient été consentis par l'État ou par un organisme de crédit au rapatrié au moment de sa réinstallation. L'enfer, dit-on, est pavé de bonnes intentions. C'en était une.
Par son article 5, le présent projet remédie à cette iniquité. Il étend par ailleurs ces droits nouveaux aux rapatriés de Tunisie. Certains rapatriés n'y croyaient plus. Leurs fédérations sont unanimes à penser que c'était là une disposition essentielle.
Il reste une préconisation qui ne concerne pas directement le texte mais à laquelle nos rapatriés sont particulièrement attachés : il nous faut veiller à ce que la Commission nationale d'aide au désendettement des rapatriés réinstallés, la CONAIR,...
M. Gérard Bapt. Elle a été oubliée !
M. Christian Kert, rapporteur. ...termine rapidement l'examen des dossiers en suspens en veillant en permanence à respecter les orientations données au préalable par les CODAIR sur chaque cas individuel et à prendre en compte les drames humains dont les dossiers sont les témoignages comptables.
Quant à l'article 6, il vient également corriger l'une de ces injustices dont l'histoire a le secret : il prévoit que les droits à la retraite des exilés politiques salariés du secteur privé seront reconstitués sur le modèle des mesures adoptées dès 1982 pour les personnes relevant du code des pensions civiles et militaires de retraite. Au-delà de l'aspect matériel de cette disposition, votre rapporteur y voit une façon de délivrer enfin cette catégorie de personnes de la situation de paria dans laquelle les textes les avaient jusqu'à présent confinées.
Outre l'indemnisation, il reste à traiter la situation d'une poignée de médecins rapatriés qui, n'ayant pas cotisé à temps pour leur retraite, s'en voient privés partiellement. Le texte laisse également entier le problème des enfants de rapatriés étrangers pour lesquels les parlementaires ne sont pas parvenus à suggérer une solution qui permette d'éviter le couperet de l'article 40.
M. Gérard Bapt. Ils sont pourtant nombreux !
M. Christian Kert, rapporteur. Le troisième objectif, et ce n'est pas le moindre, c'est de poursuivre l'effort de solidarité envers les harkis. Disons-le également avec netteté ici : le texte s'adresse prioritairement à la première génération car c'est la génération du sacrifice, de l'honneur et de la dignité.
M. Jean-Pierre Soisson. Très bien !
M. Christian Kert, rapporteur. Ne le perdons jamais de vue.
Deux de nos collègues, Jean-Pierre Soisson et Francis Vercamer, sont l'un et l'autre l'auteur de propositions de loi qui cherchent à provoquer le sentiment de solidarité nationale. Ils sont allés loin...
M. Gérard Bapt. Trop loin pour le Gouvernement !
M. Christian Kert, rapporteur. ...mais ils ont eu raison, tant on voit bien aujourd'hui que l'on a eu besoin d'« éveilleurs de conscience » pour parvenir à ce texte qui consacrera 660 millions d'euros à cette action de réparation matérielle. Vous avez dit, monsieur le ministre, que vous étiez favorable à l'hypothèse d'une troisième voie et, bien entendu, nous nous rangeons à cette solution que nous avons préconisée dans le rapport.
Ensuite, le texte n'oublie pas la deuxième génération des familles harkis : non pour les traiter en assistés - à quelques exceptions près, ils refuseraient -, mais pour dire à ces jeunes hommes et à ces jeunes femmes que, conscients des difficultés qu'ils ont rencontrées, nous voulons poursuivre à leur égard une politique fondée non sur la discrimination mais sur le volontarisme. Qu'il s'agisse de formation, d'octroi de bourses ou de recherche d'emploi, nous avons emprunté la voie de la dignité, celle qui ne marginalise pas. La discussion des articles en témoignera.
Parce qu'il répond à de vraies préoccupations, ce texte, monsieur le ministre, est de nature à nous rassembler. On l'a bien vu au cours des débats en commission où nous avons mis en commun nos doutes et nos certitudes.
Je remercie notre collègue Alain Néri, porte-parole du groupe socialiste, qui a bien voulu apporter une franche contribution à nos travaux, ainsi que Francis Vercamer, qui a défendu avec conviction ses amendements tout en reconnaissant les avancées du texte tel qu'il nous est présenté. Mes remerciements vont bien entendu à tous mes collègues du groupe UMP pour le soutien qu'ils m'ont accordé. Notre ancien collègue, Philippe Douste-Blazy, et notre actuel collègue Jean Leonetti ont également joué le rôle de « passeur de message » avec leur proposition de loi sur la mémoire.
Je voudrais également remercier solennellement Marc Dubourdieu, président de la MIR, la Mission interministérielle aux rapatriés, et son équipe, qui m'ont apporté l'éclairage de l'histoire et de leur expérience, sans oublier Alain Vauthier, directeur de l'ANIFOM, l'Agence nationale pour l'indemnisation des Français d'outre-mer, et président du Haut conseil aux rapatriés, pour son assistance amicale. J'aimerais dire aux présidents des associations des deux communautés rapatriées combien nous avons aimé nous confronter à leurs idées, leurs convictions, leurs colères, parfois feintes mais le plus souvent très sincères !
Nous avons aimé les côtoyer parce que ceux qu'ils représentent font aujourd'hui pleinement partie de notre géographie patrimoniale.
Nous avons appris à leurs côtés ce que pouvaient être dans la vie d'un homme le sentiment de l'exil, l'effroi d'avoir dû quitter un territoire, une enfance, un lieu, des soleils, pour aller vers l'inconnu. J'ai appris leurs doutes dans leur quête de vérité face aux 3 000 disparitions, qui sont autant d'interrogations, dont fait état désormais la Croix-Rouge Internationale, et dont parlent aussi les dossiers personnels que les familles peuvent désormais consulter à Nantes ou à Paris. J'ai appris que, quarante ans après, on pouvait encore faire des cauchemars en revoyant le corps d'une mère ou d'une soeur, fauchée par les balles perdues d'une armée déchirée.
Comme vous tous ici, nous avons appris de cette communauté, le sens de la renaissance et de la vie. Je rappelle souvent à mes amis cette phrase de Camus qui les rassemble tous, rapatriés et harkis : « On ne vit pas toujours de lutte, il y a l'histoire, il y a autre chose, le simple bonheur, la passion des êtres, la beauté naturelle. » À quoi l'un d'entre eux, rapatrié métropolitain, présent dans les tribunes aujourd'hui, ajoutait : « Nous et les harkis, nous partageons l'amour pour le sol, pour les fleurs, pour l'odeur d'herbe, pour la sueur et l'eau fraîche, pour tout ce qui jaillit, remue, s'apaise, vibre et décline. »
Monsieur le ministre, je vous livre ces propos en guise de conclusion car cet hymne à la vie, c'est peut-être aussi une façon pour nous tous ici de dire que nous avons raison d'écrire, d'amender et de voter des textes de cette nature.
Bien entendu, la commission des affaires sociales, familiales et culturelles dont je suis le rapporteur a donné un avis favorable à votre texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Gérard Bapt.
M. Gérard Bapt. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais tout d'abord excuser l'absence dans l'hémicycle de plusieurs de nos collègues, notamment de M. Néri, cité par M. le rapporteur, et de M. Bacquet, qui avaient, au nom de notre groupe, conduit les audiences et les travaux sur ce texte après avoir noué les contacts avec les associations de rapatriés.
M. Jean-Pierre Grand. Il n'y a que trois députés socialistes en séance ! Il faut que cela se sache !
M. Gérard Bapt. C'est pour cette raison, mon cher collègue, que je vous demande d'excuser nommément deux d'entre eux, députés du Puy-de-Dôme.
M. Pierre-Louis Fagniez. Le Puy-de-Dôme est tout de même représenté. Et très bien !
M. Gérard Bapt. Certes, mais pas par un membre du groupe socialiste.
M. Pierre-Louis Fagniez. L'important, c'est qu'il soit représenté !
Mme la présidente. Il est dommage que la polémique s'installe. Mes chers collègues, écoutez M. Bapt et faites en sorte que les débats se poursuivent dans la sérénité !
M. Gérard Bapt. Je rappelle à l'intention de mon collègue Jean-Pierre Grand que la discussion de ce projet était initialement prévue le lundi 14 et que ce n'est qu'au début de la semaine qu'il a été décidé de l'avancer à aujourd'hui.
Polémique pour polémique, je fais remarquer que le texte a été adopté en conseil des ministres la semaine précédant les élections régionales et que c'est très opportunément que sa discussion a été avancée l'avant-veille des élections européennes.
M. Patrick Delnatte. C'est une remarque mesquine !
M. Gérard Bapt. Il est donc pour le moins déplacé de s'en prendre à des absents qui ont amplement participé aux travaux préparatoires.
Initialement, le projet de loi, présenté comme un texte de cohésion nationale, monsieur le ministre, prétendait solder le contentieux. À cet égard, j'ai pu noter quelques évolutions dans le langage de M. le rapporteur, qui a précisé qu'il s'agissait d'« avancées », et non plus du « solde de tout compte » qui était affiché à l'origine.
Le premier problème qui ne sera réglé que très partiellement, compte tenu du vote de la commission des affaires sociales, reste celui de la mémoire, celui de la dette morale envers les rapatriés de souche européenne ou algérienne. Le groupe socialiste estime qu'il est possible dès aujourd'hui de l'apurer définitivement en votant notre proposition de résolution visant à créer une commission d'enquête sur les responsabilités dans le massacre de nombreuses victimes civiles, rapatriées et harkis, après la date officielle du cessez-le-feu en Algérie.
Il aura fallu attendre la loi du 18 octobre 1999 pour que le Parlement reconnaisse comme telle la guerre d'Algérie : 1954-1962, huit années d'une guerre sanglante qui ont laissé des cicatrices ineffaçables. Quarante-deux ans après, il est temps d'avoir une vision objective de l'histoire. Pourtant, nos compatriotes rapatriés sont toujours dans l'attente d'une véritable et totale reconnaissance de la responsabilité de l'État. Quarante-deux après, ils attendent que la France reconnaisse les préjudices qu'ils ont subis, ou qu'elle les a laissés subir sans garantir leur protection, et qu'elle répare les spoliations.
Au-delà d'une disposition législative qui doit définitivement et solennellement reconnaître les responsabilités de la France dans le tragique et sanglant abandon de cette population française de toutes confessions, l'État français doit faire un travail de mémoire et de vérité sur les événements. Vous-même l'avez évoqué, monsieur le ministre, mais vous le laissez aux historiens.
Il faut d'abord parler du sort des harkis, pire que l'abandon. La France a mené une politique d'entrave à leur sauvetage. Parmi les ordres donnés, le télégramme du 16 mai 1962, émanant du ministre des armées de l'époque, M. Pierre Messmer, demande des sanctions contre les officiers qui avaient désobéi, mais agi dans l'honneur, en aidant à partir des harkis dont l'installation en métropole avait été interdite. Ainsi, 150 000 d'entre eux, désarmés, sans protection, furent arrêtés par l'armée algérienne, au mieux condamnés aux travaux forcés, au pire exécutés.
Les historiens estiment à 70 000, mais il y en eut plus, le nombre de victimes, souvent tuées dans des conditions horribles. Quant à ceux qui purent se faire rapatrier, ils furent parqués dans des camps, avec fils de fer barbelés et régime disciplinaire. Pour ces Français, le devoir de réparation autant matérielle et morale s'impose.
Sur ce dernier point, ce texte est l'occasion d'avancer. Voilà pourquoi nous avions proposé un amendement à l'article 1er. Il n'a pas été adopté mais M. le rapporteur a fait des ouvertures et nous apprécierons au cours de la discussion des articles. De même, nous avons proposé de créer une fondation pour la mémoire, à même de mener une politique ambitieuse - en travaillant sur la contribution des forces supplétives, les harkis et les rapatriés - en direction du grand public, de la jeunesse surtout, à qui il faut transmettre leur histoire.
Enfin, subsiste le douloureux problème des 3 000 disparus soulevé par notre rapporteur et auquel on ne peut rester insensible. Il serait juste d'étendre à leurs familles, après celles des victimes de la Shoah, l'indemnisation instituée par le gouvernement Jospin, et étendue à juste titre par le Gouvernement aux victimes de la déportation, pour la même réhabilitation morale.
La question de l'indemnisation est traitée partiellement, mais à bon escient, s'agissant de l'injustice créée par les prélèvements sur les indemnisations au titre de l'article 46 de la loi du 15 juillet 1970 et de l'article 3 de la loi du 2 janvier 1978. Il reste à espérer que les dispositifs seront rapidement mis en place et que les crédits seront au rendez-vous car il ne nous a pas échappé qu'au cours de deux dernières années les gels et les annulations n'avaient pas épargné les budgets affectés aux rapatriés.
Le traitement de l'indemnisation aurait dû imposer, dès aujourd'hui, la prise en compte des ventes forcées et à vil prix, qu'il s'agisse de biens immobiliers ou de parts de sociétés. Nous vous proposons que, dans un délai d'un an, le Haut conseil des rapatriés fasse des propositions visant à apporter réparation et que la situation des rapatriés initialement venus d'Espagne ou d'Italie et ayant conservé leur nationalité d'origine soit reconsidérée.
La grande lacune de votre texte, c'est qu'il ignore la situation des rapatriés réinstallés dans une activité non salariée et surendettés. Nous ne pouvons que déplorer le blocage actuel du fonctionnement de la CONAIR, qui n'a traité que quelques dizaines de dossiers, alors que des milliers sont en attente. À cet égard, monsieur le ministre, nous attendons que vous nous fassiez le point exact de la situation des dossiers en instance. Nous souhaitons connaître la façon dont ont pu être définitivement apurés les dossiers traités par la CONAIR et leur nombre. Je me suis laissé dire qu'ils n'étaient pas plus d'une trentaine, un nombre ridicule eu égard au nombre de dossiers en attente.
C'est la raison pour laquelle nous avons déposé des amendements, visant tous à régler enfin des situations souvent douloureuses. Certains se sont heurtés à l'article 40.
Lors de l'examen de la loi de finances rectificative pour 2004, j'avais incité mes collègues de la majorité à adopter un dispositif rapide et raisonnable, inspiré de celui que Pierre Bérégovoy, en 1992, avait mis en place pour utiliser les dispositions de droit commun relatives aux entreprises en difficulté, de sorte que les créanciers soient conduits à renoncer à l'ensemble des pénalités et des frais. Dans le même esprit, Pierre Bérégovoy incitait à l'époque les préfets et les trésoriers-payeurs généraux à user du système du crédit d'impôt pour les sommes restant dues aux créanciers. Un tel mécanisme permettait à l'État de n'avoir à supporter aucune inscription budgétaire, ce qui est à retenir dans la situation actuelle, mais au contraire à bénéficier de rentrées fiscales calculées sur les sommes que les établissements bancaires créanciers ne passeraient plus en profits et pertes. C'est la raison pour laquelle j'avais proposé un amendement, qui reprenait la proposition des associations de rapatriés d'une remise automatique de dettes, consentie à hauteur de 106 000 euros. Mais il s'est heurté à l'article 40. J'engage mes collègues de la majorité à le reprendre car, je le sais, le secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire sera plus attentif à une proposition émanant de leurs bancs que des nôtres. Un dispositif de remise automatique permettrait de désengorger la CONAIR, qui est submergée par les dossiers.
Monsieur le ministre, la question de la situation des anciens harkis et de leurs familles nous interpelle toujours : je ne pense pas seulement à la dette morale, que j'ai déjà évoquée, mais également à leur situation matérielle. À cet égard, sur le plan des ressources, de l'acquisition et de l'amélioration de l'habitation principale, de l'emploi et de la formation, le texte offre des avancées. De nombreux amendements visant à l'améliorer se sont vu opposer l'article 40, mais, je tiens à le noter, monsieur le rapporteur, d'autres amendements ont pu franchir l'obstacle.
La situation des orphelins de parents anciens harkis doit être reconsidérée au titre de l'allocation de reconnaissance, notamment quand la situation sociale est difficile. Notre présidente de séance, députée de Haute-Garonne, Mme Mignon, y est particulièrement attachée. L'amendement de la commission répond en partie à cette préoccupation.
De même, monsieur le ministre, il serait nécessaire de prendre en considération la situation des Français rapatriés d'Indochine en 1956 et installés dans les camps de Sainte-Livrade dans le Lot-et-Garonne et de Noyant, dans l'Allier. Ils y ont vécu, pour certains, plus de trente ans. Ils y sont arrivés démunis de tout, y compris de papiers. Ces Français d'Indochine sont, eux aussi, toujours victimes de leur attachement à la France. Ils ont vécu et vivent encore parfois dans des conditions semblables à celles de trop nombreuses familles d'anciens harkis. Ils ne méritent pas de rester dans l'oubli alors même que l'anniversaire de la catastrophe militaire et humanitaire de Diên Biên Phu a récemment rappelé leurs sacrifices et leur drame.
Monsieur le ministre, votre texte a le mérite d'offrir des avancées. Il ne règle que partiellement les questions en suspens et laisse dans l'ombre la situation la plus obscure, celle faite à nos compatriotes réinstallés et surendettés. Le groupe socialiste, comme il a déjà pu le montrer en commission, aborde la discussion dans un d'état esprit constructif et ouvert. Il jugera la portée de votre texte à l'aune des améliorations qui pourront y être apportées durant la discussion. Toutefois, je ne me fais guère d'illusions, compte tenu des contraintes budgétaires qui pèsent sur l'ensemble des ministères, notamment sur celui de Mme Alliot-Marie, qui est aussi le vôtre.
Je le répète : c'est, dans un état d'esprit positif, à la lumière de la discussion, que le groupe socialiste se déterminera sur votre texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Mme la présidente. Je vous remercie d'avoir respecté votre temps de parole, monsieur Bapt. Je demande à tous nos collègues inscrits dans la discussion générale de faire de même.
La parole est à M. Francis Vercamer.
M. Francis Vercamer. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous ne serez pas surpris de mon intervention sur ce projet de loi, car vous connaissez mon attachement et celui du groupe UDF à la cause des rapatriés et l'attention particulière que mon groupe porte à leur situation. Vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, André Santini est à l'origine de la première loi d'indemnisation.
Le texte que le Gouvernement nous propose aujourd'hui était attendu avec impatience par la communauté pied-noire, dont nous avons entendu les aspirations. Mes collègues Yvan Lachaud et Rudy Salles, très sensibles à ces attentes, ont eu à coeur de déposer plusieurs amendements visant à y répondre.
Cette communauté nourrit deux espérances majeures.
La première concerne l'expression officielle de la reconnaissance profonde de la nation pour l'action de développement entreprise par les Français établis outre-mer, une oeuvre qui a contribué au rayonnement de la France. Elle concerne également la reconnaissance officielle des conditions dramatiques dans lesquelles ont eu lieu le départ des Français de leur terre natale et de leur installation en métropole. Elle concerne enfin la reconnaissance officielle des drames et des crimes qui se sont déroulés en Algérie, après le 19 mars 1962.
La deuxième espérance porte sur le règlement de l'indemnisation, question non résolue à ce jour, de ceux que l'on appelle les « harkis blancs », les supplétifs de souche européenne.
Le groupe UDF souhaite enfin que l'État français engage des négociations avec le Maroc et la Tunisie, tout comme il l'a déjà fait en 2003 avec l'Algérie, afin de trouver un accord permettant la restauration et l'entretien des cimetières européens sur leurs sols respectifs.

La communauté rapatriée, dans son ensemble, sera très attentive à la réponse qui sera apportée à ces questions, et nous ne doutons pas que le Gouvernement y donnera une suite favorable.
J'en viens aux problèmes spécifiques qui concernent les harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives.
C'est une communauté à laquelle je suis très attaché. Je suis en effet le député d'une agglomération qui ne compte pas moins de 8 000 de ses membres. Je sais quelle est leur souffrance et quels sont leurs espoirs.
C'est pourquoi j'avais déposé, en son temps, une proposition de loi visant à résoudre les problèmes qu'ils ont rencontrés et qu'ils rencontrent encore. M. Kert, notre rapporteur, l'a évoquée. Je salue, à cette occasion, le travail qu'il a réalisé et je le remercie d'avoir retenu, dans ses amendements, certains éléments de ma proposition de loi. J'ai néanmoins déposé quelques sous-amendements.
La commission - je le constate - a amorcé une réelle avancée en faveur de la première génération. Vous avez indiqué, monsieur le ministre, que vous étiez ouvert à une avancée encore plus importante.
Je souhaite sincèrement que ce débat soit le dernier...
M. Kléber Mesquida. Ce n'est pas possible !
M. Francis Vercamer. ...et que nous apportions, enfin, à nos compatriotes harkis et rapatriés, les réponses qu'ils sont en droit d'attendre.
Je ne doute pas de la bonne volonté de tous : beaucoup, dans le passé comme aujourd'hui, se sont prononcés sur le drame des harkis et ont ardemment défendu leur cause. Je pense notamment à mes amis Christian Vanneste et Patrick Delnatte, qui sont députés de l'agglomération tourcainoise et avec lesquels j'entretiens de nombreuses relations sur le problème harki.
Le temps n'est plus aux discours, il est aux actes. De même que nous avons honoré, il y a quelques jours, les combattants qui ont sacrifié leurs vies le 6 juin 1944 pour que la liberté et la démocratie ne demeurent pas de vains mots, de même que nous voulons transmettre ce magnifique héritage à notre jeunesse, de même que nous voulons que l'histoire, parfois cruelle, serve à construire un avenir meilleur, c'est-à-dire de paix, de même je souhaite que nous honorions ces hommes et ces femmes qui ont combattu, avec courage et fierté, pour leur patrie, sous son drapeau, sur tous les fronts où la France était engagée.
Ce sont ces héros, anonymes et modestes, que nous évoquons aujourd'hui : ceux qui ont servi dans les tranchées sanglantes de Verdun, ceux qui ont défendu, pied à pied, vie à vie, les pentes de Monte Cassino en Italie, ceux qui ont participé, après la campagne d'Italie, à la libération du sud de notre pays, ceux qui ont vécu les affres de la cuvette infernale de Diên Biên Phu, ceux qui étaient dans les rangs de notre armée, dans les Aurès, les villes et les villages de l'Algérie encore française, ceux qui, en un mot, ont cru en notre patrie et son drapeau et ont, souvent, fait le sacrifice de leur vie.
Ils ont payé tragiquement leur bravoure. La guerre d'Algérie, en changeant le cours de notre histoire, a changé dramatiquement le cours de la leur et brisé leurs destins. Comme l'a rappelé le Président de la République, la France « n'a pas su sauver ses enfants ». Elle en porte aujourd'hui la lourde et triste responsabilité.
Aucune indemnisation ne leur fera oublier les assassinats, les proches disparus, le sentiment d'abandon et d'humiliation, l'honneur perdu, la relégation et l'oubli.
M. Christian Vanneste. Très juste !
M. Francis Vercamer. Pour qu'ils puissent enfin croire à la reconnaissance de la nation, il faut la leur prouver par des actes forts, qui tenteront d'effacer le traumatisme qu'ils ont subi.
En voici la trame, telle que je l'avais développée dans ma proposition de loi.
Avant toute réparation matérielle du préjudice subi, les harkis et les rapatriés attendent de leur pays qu'il assume, en priorité, sa part de responsabilité dans leur drame et son devoir de mémoire.
Cela passe par deux axes primordiaux : l'affirmation claire de la faute commise, qui nécessite réparation et justice, et la création d'une fondation, qui permettra de conduire une politique pédagogique vis-à-vis du grand public et de revoir la relation de l'histoire de la guerre d'Algérie dans les programmes scolaires.
M. Gérard Bapt. Très bien !
M. Francis Vercamer. Pour que les aînés puissent profiter au plus vite de la mise en oeuvre de nos décisions, il nous faut également décider rapidement du versement à la première génération, qui a été la plus spoliée, d'une prime significative et digne de ce nom, en plus de l'allocation de reconnaissance tout aussi légitime.
L'indemnisation doit également toucher les enfants de la deuxième génération, qui ont vécu avec leurs parents l'horreur et les atrocités de la guerre, l'évacuation, l'exode, la relégation, voire l'exclusion de notre société.
Cette aide, volontariste et efficace, doit permettre de redonner à cette génération une deuxième chance d'insertion, par le rétablissement du droit républicain à l'égalité des chances, notamment en matière d'emploi, de formation et de logement.
L'État français doit également leur garantir, comme à chacun de ses ressortissants, la libre circulation, notamment vers l'Algérie. Il doit enfin sanctionner sévèrement tous ceux qui pratiquent le négationnisme ou le révisionnisme du drame harki.
Je ne l'ignore pas : certains de mes amendements ont subi le couperet de l'article 40.
M. le ministre délégué aux anciens combattants. Ce ne sont pas les seuls !
M. Francis Vercamer. J'ose espérer que le Gouvernement en reprendra quelques-uns. Je reviendrai sur la question lors de l'examen des articles.
Les harkis sont français, non seulement par choix, mais également par la naissance. Ils souhaitent pouvoir être inhumés sur le sol de leur patrie, c'est-à-dire en France. Notre devoir est de le leur permettre en respectant leur croyance : c'est un geste simple, pour un acte fort. Je ne doute pas que vous serez sensible à cette demande, monsieur le ministre, et que vous comprendrez combien elle est signe de citoyenneté française. Alors que nous luttons contre la ségrégation et la discrimination dans la vie de tous les jours, nous avons, ici, l'occasion d'en abolir une dans la mort.
Monsieur le ministre, chers collègues, il y aurait encore beaucoup à dire, mais d'autres l'ont fait avant et mieux que moi. J'espère surtout que personne n'aura plus à le faire après nous.
Nous devons décider, ensemble, de briser enfin la chape de plomb qui était tombée sur la communauté harkie, de lui rendre justice et de réparer nos fautes passées, afin de dessiner un avenir commun. Le temps est venu de prendre nos responsabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. François Liberti.
M. François Liberti. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a quarante deux ans se terminait la dernière guerre coloniale, menée par la France. Après les accords d'Évian, signés le 18 mars 1962 par le gouvernement français et le gouvernement provisoire de la République algérienne, le cessez-le-feu était proclamé le 19 mars de la même année.
Le souvenir et la mémoire de tous ceux qui ont péri avant et après cette date, de tous ceux que l'on a appelés les pieds-noirs et les harkis, de ces hommes et de ces femmes qui ont vécu un véritable drame, de ce million de Français d'origine européenne qui sont devenus des repliés et des rapatriés, doivent nous aider à leur rendre hommage et à leur adresser la reconnaissance qui leur est due, à eux et au travail considérable qu'ils ont accompli durant cent trente-deux ans sur des terres ingrates.
M. Jean-Pierre Grand. Les communistes, eux, soutenaient le FLN !
M. François Liberti. Madame la présidente, pourriez-vous faire taire le perturbateur de service ? (Protestations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Mme la présidente. Continuez, monsieur Liberti.
M. François Liberti. L'État français a des responsabilités à l'égard de ces personnes et de leurs descendants.
Les Françaises et les Français nés en Algérie, leurs enfants, les orphelins de guerre, les veuves de guerre, qui résident en France, ne demandent pas la charité, ni la repentance, mais simplement l'application de leurs droits, comme pour tout citoyen à part entière, et une condamnation de la politique qui a plongé un peuple entier dans le malheur.
La France a envers eux, toutes confessions confondues, un devoir de mémoire.
La politique de la sélection, menée pour raison d'État, a conduit la France à ne pas assumer ses responsabilités vis-à-vis des rapatriés, des harkis et des supplétifs...
M. Jean-Pierre Grand. Vous ne manquez pas de culot !
M. François Liberti. ... qui, dans des circonstances tragiques, sont arrivés en France dans le plus grand désarroi, dans un dénuement complet et le plus souvent dans l'indifférence totale.
Le dossier des rapatriés d'Afrique du Nord a été instruit avec beaucoup de retard et beaucoup d'injustice depuis 1962.
M. Jean-Pierre Grand. Quel scandale d'entendre cela !
Mme la présidente. Laissez parler M. Liberti, monsieur Grand ! Vous vous exprimerez ensuite !
M. Kléber Mesquida. Gardez la tête froide, monsieur Grand !
M. François Liberti. Aujourd'hui, rapatriés comme harkis doivent être reconnus pour ce qu'ils sont : des victimes de guerre auxquelles doit être appliquée la législation en vigueur. Il est grand temps que la France assume toutes ses responsabilités, ce qu'elle n'a pas su ou voulu faire jusqu'à présent, et présente un projet de loi de réparation enfin définitive.
M. Jean-Pierre Grand. Un communiste ne peut pas dire ça !
Mme la présidente. S'il vous plaît, monsieur Grand !
M. François Liberti. Tel était le voeux que j'exprimais déjà, au nom du groupe des député-e-s communistes et républicains, lors du débat parlementaire du 2 décembre 2003 sur les rapatriés. J'avais demandé au Gouvernement une loi forte qui complète les dispositions déjà prises en faveur des rapatriés et des harkis, et surtout qui corrige les inégalités et les injustices dénoncées par toutes leurs associations.
Car ce sont les petites gens, ouvriers, artisans, commerçants, salariés, agriculteurs, pêcheurs, petits fonctionnaires, qui ont été les moins bien indemnisés : en moyenne, 22 % des pertes en principal, c'est-à-dire 10 % à peine si l'on tient compte de l'absence de compensation de la perte de jouissance des biens pendant un tiers de siècle.
Les précédentes lois d'indemnisation, à application différée et étalée dans le temps, n'ont pas été suffisamment volontaristes et n'ont rempli que partiellement les objectifs, contribuant même parfois à créer des situations d'injustice entre rapatriés.
Il importe surtout que la responsabilité de l'État soit reconnue expressément dans la tragédie des pieds-noirs et des harkis, et que le droit à réparation qui en découle permette une juste indemnisation à la hauteur des préjudices subis.
Actuellement, la plupart des spoliés directs ne sont plus là, et les survivants disparaissent à la cadence de 20 000 par an. Une ultime indemnisation est donc devenue une nécessité absolue et immédiate...
M. Jean-Pierre Grand. C'est surréaliste !
M. François Liberti. ...pour ces survivants dont beaucoup sont maintenant au seuil du quatrième âge et bien souvent dans une situation matérielle et morale très préoccupante.
Votre projet de loi portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés comprend quelques mesures ponctuelles positives, quoique sous-évaluées, monsieur le ministre : ainsi la possibilité de bénéficier de l'allocation de reconnaissance à son niveau actuel ou de se voir verser un capital de 20 000 euros - ce montant ayant donné lieu, d'ailleurs, à un débat en commission, car les associations de rapatriés souhaitent qu'il soit porté à 50 000 euros.
Le texte demeure cependant totalement vide en ce qui concerne une indemnisation complémentaire ultime, mesure qui intéresse pourtant l'immense majorité des rapatriés d'Algérie et d'outre-mer. Il ne prend pas en compte les nécessaires valorisations des indemnisations actualisées au 1er janvier 2004 en euros et ne comporte pas d'échéancier d'application n'excédant pas 2006.
M. Roland Chassain. Que ne l'avez-vous fait lorsque vous étiez au pouvoir !
M. Jean-Pierre Grand. Oui : qu'avez-vous fait ?
Mme la présidente. Laissez parler M. Liberti ! C'est un sujet suffisamment important pour qu'on s'écoute dans le silence et le respect mutuel !
M. François Liberti. Ils ne savent que polémiquer !
M. Jean-Pierre Grand. Les communistes ont soutenu le FLN, ils n'ont rien fait pour les rapatriés quand ils étaient au pouvoir, et maintenant ils nous donnent des leçons !
Mme la présidente. Ce n'est pas le sujet ! Si vous voulez vous expliquer là-dessus, faites-le hors de l'hémicycle !
M. Kléber Mesquida. Du sang-froid et de la dignité, monsieur Grand !
M. Jean-Pierre Grand. Quelle indécence !
M. François Liberti. Tout le monde aura compris de quel côté se trouve l'indécence !
Je poursuis, madame la présidente.
Le principe même de la réinstallation qui est due aux rapatriés fait cruellement défaut dans ce texte.
Lors de la réunion de la commission du 8 juin, M. Christian Kert, rapporteur, reconnaissait que les dispositions contenues dans ce texte n'avaient pas vocation à renouveler les principes du droit à réparation en faveur des rapatriés et ne constituaient pas une quatrième loi d'indemnisation. Je le regrette.
M. Jean-Pierre Grand. Quel culot !
M. François Liberti. La plupart des amendements qui tendent à instaurer une réparation juste et équitable en élargissant l'ouverture de droits à d'autres victimes et à la deuxième génération pour les harkis - notamment à l'article 3 pour l'acquisition et le logement social et à l'article 4 - ont été rejetés, à l'exception de celui que j'ai soutenu avec quelques collègues et qui vise à allonger de quelques mois les délais de demande de dérogation. On est donc bien loin du compte !
Votre projet n'aborde la question de l'indemnisation que par le biais des dispositions qui pourront être prises en faveur des bénéficiaires des trois premières lois auxquels ont été retenues les annuités d'emprunt de réinstallation. Le versement des sommes prélevées dans des conditions très discutables est en effet envisagé. Cette mesure répare, certes, une inégalité de traitement entre rapatriés, mais elle en introduit une autre : l'absence de toute mesure pour corriger l'insuffisance des sommes allouées par les lois précédentes.
Comme je vous l'indiquais dans mon intervention du mois de décembre 2003, les lacunes de ces lois, tant dénoncées par les associations de rapatriés, sont loin d'être comblées. Les principales revendications des associations ne sont même pas abordées dans votre texte : je citerai, à titre d'exemple, les propositions relatives à l'application d'un coefficient correcteur équitable et loyal aux sommes antérieurement liquidées, à la modification du dispositif pluriannuel pour régler plus rapidement les situations en attente, aux règles de plafonnement, aux parts sociales détenues par les petits porteurs, aux ventes forcées, à l'indemnisation des biens spoliés ou perdus pour raison d'État et par la volonté du gouvernement de l'époque, au cas des enfants français nés de parents étrangers et non indemnisés.
À l'épouvantable traumatisme de l'exode et de la perte de tous les patrimoines - sans parler de la douleur morale de l'abandon de la terre natale et des cimetières, celle de la disparition des familles, voire des conséquences tragiques des exactions, des attentats et des enlèvements - s'ajoute depuis quarante-deux ans, hélas ! un autre traumatisme provoqué par le refus de l'État français de procéder à l'indemnisation, sous prétexte que le plus urgent était la réinstallation des rapatriés en métropole.
Pourtant, la cause de l'indemnisation des rapatriés est une cause juste, tant au regard du droit français qu'au regard de l'équité. Son enjeu dépasse les seuls rapatriés : le déni de justice dont ces derniers sont victimes met en évidence l'absence de droit en la matière depuis plus de quarante-deux ans. J'avais soulevé ce sujet dans une question écrite adressée au Gouvernement le 23 mars 2004. La réponse qu'y apporte ce texte est loin d'être satisfaisante.
En défendant nos amendements, nous ne faisons que soutenir les propositions défendues par le Comité de liaison des associations nationales de rapatriés, celles de la Confédération des Français musulmans et rapatriés d'Algérie, ou encore de l'Union syndicale de défense des intérêts des Français repliés d'Algérie, qui souhaitent que d'autres articles, bien plus ambitieux et volontaires, soient intégrés au projet de loi afin de l'enrichir.
Comme nous l'avons déjà dit en commission, nous trouvons dommage, monsieur le ministre, que vous n'ayez pas voulu intégrer ces propositions dans le projet que vous nous présentez. En commission, les amendements sur la question de l'indemnisation se sont vu opposer massivement l'article 40 de la Constitution. Allez-vous, monsieur le ministre, donner votre accord à ces propositions au cours de ce débat ? En tout état de cause, c'est ce qui déterminera notre vote sur ce texte.¦ la page suivante ¦