Discussion Assemblee Nationale Algérie Michel Diefenbacher. A Évian, tout avait été prévu. Sur le terrain, rien n'a été respecté.  
 
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Diefenbacher.
M. Michel Diefenbacher. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, tous ceux qui restent fidèles à la grande aventure conduite outre-mer par la France attendaient ce débat avec impatience.
Le projet de loi que vous présentez, monsieur le ministre, comporte des avancées majeures qu'il convient de saluer : d'abord l'affirmation claire et forte de la reconnaissance de la nation à ceux qui ont porté haut, pendant des générations, les couleurs de notre drapeau ; un effort supplémentaire de solidarité envers les harkis et leurs familles, plus important encore que ceux qui avaient été faits en 1987 et 1994 et dont chacun, à l'époque, soulignait déjà l'ampleur et la générosité ; une réparation juste et nécessaire pour les rapatriés dont l'indemnisation avait été amputée du montant des prêts de réinstallation ; enfin, la prise en compte de la situation particulière des exilés.
Ces avancées substantielles sont-elles, pour autant, suffisantes ? La réponse à cette question est nécessairement subjective. Ce qui est sûr, malheureusement, c'est qu'aucune loi ne pourra jamais réparer les atrocités de la haine, les violences de la guerre, la douleur du départ, le sentiment de l'incompréhension et de l'oubli.
Quoi qu'il en soit, le dispositif qui nous est présenté aujourd'hui peut sans doute être encore amélioré. Des amendements seront proposés : je ne doute pas, monsieur le ministre, qu'ils seront examinés dans l'esprit le plus constructif et je vous en remercie d'avance.
Il s'agit d'abord d'évoquer clairement, dans la loi elle-même, ce qui a si longtemps été occulté : la tragédie des disparus, celle des victimes civiles et militaires, la souffrance des familles, auxquelles il nous revient aujourd'hui de rendre un solennel hommage.
Il s'agit ensuite d'affirmer la ferme volonté de la représentation nationale que l'histoire enseignée à nos enfants dans nos écoles garde intact le souvenir de l'épopée de la plus grande France et qu'elle dise la vérité sur ces hommes et ces femmes qui, partis les mains nues, avaient au fond du coeur la confiance et l'espérance des peuples qui n'avaient pas encore appris à douter d'eux-mêmes.
Il s'agit enfin de donner aux enfants des harkis toutes leurs chances d'entrer de plain-pied, non pas dans de nouveaux dispositifs d'assistance, mais, la tête haute, dans la vie professionnelle de ce pays que leurs pères ont si généreusement et si courageusement servi.
Je ne doute pas, monsieur le ministre, que nous soyons entendus.
Reste la question - peut-être la plus difficile - qu'évoquait tout à l'heure M. le rapporteur : celle de la responsabilité.
Comment ne pas respecter la souffrance de tous ceux qui soulèvent aujourd'hui cette question ? Mais comment imaginer que cette souffrance si légitime et si profonde puisse être apaisée par ce qui, faute d'un recul historique suffisant, risquerait de se transformer en mauvais procès ?
À Évian, tout avait été prévu. Sur le terrain, rien n'a été respecté.
Souvenons-nous qu'arrachés de haute lutte après tant de jours et de nuits de discussion, les accords comportaient un ensemble très complet, très détaillé, très précis de mesures destinées à assurer non seulement la protection des personnes et des biens, mais aussi la participation de tous ceux, européens ou musulmans, qui avaient servi la France, à la vie politique, économique, administrative, sociale, syndicale de l'Algérie devenue indépendante. Il s'agissait d'assurer le maintien, sur place, du plus grand nombre de ceux qui avaient construit l'Algérie et de jeter ainsi les bases d'une coopération entre les deux pays.
De tout cela, rien n'a été respecté. Faut-il incriminer les hommes ? Et si oui, lesquels ? Ceux qui avaient donné leur parole, ou ceux qui n'ont pas voulu ou pas pu la tenir ?
Plutôt que d'ouvrir de nouvelles déchirures, le temps est sans doute venu de constater que nous sommes en présence d'un de ces processus inexorables dont l'histoire a parfois le triste et douloureux secret.
Face à la tragédie des harkis, à celle des disparus, à la fusillade de la rue d'Isly, au massacre d'Oran, à toutes les blessures anonymes dont le souvenir disparaît chaque jour avec ceux qui les ont subies, la modestie et le silence ne constituent-ils pas aujourd'hui l'attitude la plus conforme à l'image que nous ont donnée les vrais pionniers : celle de la grandeur d'âme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bascou.
M. Jacques Bascou. Madame la présidente, monsieur le ministre délégué aux anciens combattants, mes chers collègues, le week-end dernier a été marqué par les cérémonies célébrant le soixantième anniversaire du débarquement des troupes alliées en Normandie. A cette occasion, un hommage fort et unanime a été rendu à tous les anciens combattants, américains, britanniques, canadiens, polonais, français, qui ont permis la libération de notre pays. Un autre moment fort a été la présence du chancelier Schröder, qui, dans son discours, a reconnu la responsabilité de l'Allemagne devant l'histoire.
Si je commence mes propos par cette double évocation, alors que nous allons examiner un projet de loi portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, c'est d'abord pour rappeler que la libération de la France, notamment celle du Sud, dont je suis l'élu, c'est aussi à l'Armée d'Afrique que nous la devons : une armée trop souvent oubliée de l'histoire composée d'Africains du Maghreb, d'Afrique noire, de pieds-noirs qui ont payé un lourd tribut lors des combats de Tunisie, de la campagne d'Italie, de la libération de la Corse ou du débarquement en Provence. Cette Armée d'Afrique, mal reconnue, mérite d'être placée aux tous premiers rangs pour sa contribution à la chute de l'Allemagne nazie.
La réconciliation franco-allemande fut très vite engagée sous le signe de la construction européenne. Le temps passé depuis l'indépendance algérienne n'a pas aussi bien fait son oeuvre. Il a fallu attendre trente-sept ans pour rompre un simple tabou de vocabulaire : pour que, par la loi n° 99-882 du 18 octobre 1999, la République reconnaisse enfin qu'il y avait eu une guerre en Algérie.
M. Gérard Bapt. Eh oui !
M. Jacques Bascou. D'autres tabous restent à lever.
Quarante-deux ans après, notre pays s'honorerait à reconnaître les épreuves, les souffrances, les drames vécus, mais surtout sa responsabilité envers les Français rapatriés, sa responsabilité dans l'abandon des supplétifs, dans les conditions d'accueil et de vie en métropole des rapatriés d'Algérie comme d'Indochine.
Notre pays s'honorerait s'il faisait toute la lumière sur les épisodes les plus sombres de la guerre d'Algérie.
Ce projet de loi, dont l'intention de réhabiliter l'oeuvre de la France outre-mer est louable, doit aller plus loin en reconnaissant la responsabilité de l'État français dans les événements qui ont suivi le cessez-le-feu. Nous avons présenté un amendement en ce sens à l'article 1er, mais il a été repoussé par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Aussi, nous demandons que soit créée une commission d'enquête sur les responsabilités dans l'abandon des supplétifs et des harkis, dans les massacres et les enlèvements des civils et des harkis après le cessez-le-feu. Il convient, notamment, de connaître ce qui s'est passé le 26 mars 1962 dans la rue d'Isly à Alger, ou le 15 juillet de la même année à Oran.
M. Gérard Bapt. Très bien !
M. Jacques Bascou. Autre insuffisance du projet de loi : la non-reconnaissance des spoliations et des pertes matérielles subies par les rapatriés, et du bien-fondé des indemnisations qui en découlent.
Les associations de rapatriés ne perçoivent pas, dans ce texte, des réponses à leurs attentes qui, depuis quarante-deux ans, demeurent en souffrance.
Cette déception est à la mesure de l'espoir que les débats du 2 décembre à l'Assemblée et du 17 décembre derniers au Sénat avaient fait naître.
Je pourrais citer les propos de nombreux parlementaires, notamment de la majorité, réclamant une loi complémentaire d'indemnisation ou soutenant des demandes d'associations de rapatriés, propos qui ont pu faire croire que le Gouvernement répondrait à l'ensemble de ces revendications en inscrivant des mesures dans son projet de loi, pour enfin tourner la page.
Votre façon de laisser croire que la plupart de leurs problèmes seraient discutés et réglés par ce projet de loi a également donné de faux espoirs.
Vous avez mis en place le Haut conseil des rapatriés, qui a proposé vingt-neuf sujets d'études. Vous avez demandé à notre collègue Michel Diefenbacher de faire un rapport pour « parachever l'effort de solidarité nationale envers les rapatriés », qui a débouché sur vingt-six propositions.
Des parlementaires vont ont interpellé, monsieur le ministre, sur plusieurs sujets auxquels sont attachés les rapatriés. Vous leur avez répondu que ces sujets seraient abordés lors de l'examen de ce projet de loi.
S'agissant des problèmes de l'indemnisation et du surendettement, vous avez déclaré : « II faut aussi parfaire les dispositifs des différentes lois d'indemnisation et, en particulier, réparer un certain nombre d'injustices qui subsistent et que nous connaissons. Par ailleurs, il convient de clore avec équité le traitement des dossiers de surendettement des rapatriés. »
Concernant le projet de loi, vous avez répondu à un parlementaire que « le problème de l'indemnisation, qui reste au cœur des revendications matérielles, sera bien entendu largement évoqué ».
M. Dubourdieu, président de la mission interministérielle aux rapatriés, a lui-même indiqué que les mesures proposées par les associations seraient étudiées dans le cadre du débat organisé au Parlement.
Dès lors, comment s'étonner que les associations de rapatriés soient déçues de voir que leurs propositions ne figurent pas dans ce projet de loi et ne seront donc pas débattues aujourd'hui ?
Pour notre part, nous avons présenté un certain nombre d'amendements afin d'enrichir ce projet. Ils ont été repoussés par la commission des affaires sociales, alors que, j'en suis persuadé, nombreux sont ceux qui, sur tous les bancs, les soutiennent.
Car c'est là l'ambiguïté qui a été relevée par notre collègue Christian Kert, dont on connaît l'action en faveur des rapatriés : ce projet de loi ne constitue pas une quatrième loi d'indemnisation. Or, depuis deux ans, vous avez présenté les choses de telle façon qu'il semblait que nous pourrions, par cette loi, clôturer le dossier des rapatriés, en faisant oeuvre de mémoire, en traitant le problème de l'indemnisation des rapatriés et des harkis, en réhabilitant l'oeuvre collective de la France en outre-mer.
Vous indiquez vous-même dans l'exposé des motifs que cette loi « vient parachever l'édifice législatif édifié depuis plus de quarante ans » en faveur de nos compatriotes rapatriés. Or, si ce texte est voté en l'état, les injustices demeureront, des préjudices subsisteront, des lacunes resteront.
Je ne rappellerai pas, au risque d'allonger le débat, ce qu'ont dit fort justement un certain nombre de nos collègues : les efforts réels des trois lois d'indemnisation n'ont pas permis d'assurer une réparation intégrale des préjudices subis. L'ensemble des problèmes liés au surendettement ne sont pas aujourd'hui totalement pris en compte. Sur ce sujet, nous défendrons des amendements en séance, bien qu'ils aient été rejetés en commission.
En ce qui concerne les harkis, des mesures ont été prises. Nous proposerons, par voie d'amendement, qu'elles soient élargies. Nous souhaitons ainsi permettre de mieux indemniser les sacrifices consentis par les familles harkies grâce au cumul de l'allocation et de la rente. La question a évoquée à cette tribune.
Pour les membres des unités supplétives, leurs veuves ou leurs ex-épouses qui n'ont pas pu prétendre à leurs droits par le passé, nous souhaitons que soient levés les délais de forclusion.
Nous souhaitons que soit étendus les bénéfices du dispositif dérogatoire aux populations civiles rapatriées qui ont transité par les camps d'accueil.
A propos de ces camps, je souhaiterais appeler votre attention, monsieur le ministre, sur d'autres oubliés de l'histoire : les rapatriés eurasiens d'Indochine. Nos compatriotes d'Extrême-Orient rapatriés en métropole depuis les accords de Genève de 1954 ont été regroupés notamment dans les camps de Sainte-Livrade-sur-Lot et Noyant-d'Allier. Depuis 1961 ils semblent avoir été laissés à l'écart de la communauté nationale et des mesures d'intégration en faveur des rapatriés d'Algérie. Cette loi, qui pourrait permettre de leur rendre justice sur les plans matériel et moral, ne les mentionne pas.
Vous jugerez sans doute sévère mon analyse de votre texte. Je dois dire, par souci d'objectivité, qu'il comporte des avancées et que des amendements comme celui interdisant toute allégation injurieuse envers une personne en raison de sa qualité de harki, ou celui créant une fondation pour l'histoire et la mémoire des Français rapatriés, adoptés par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, recueilleront notre adhésion car ils amélioreront votre texte.
Il est vrai également qu'un certain nombre de demandes des associations ne relèvent pas du domaine de la loi, comme la libre circulation des citoyens français harkis en Algérie, l'entretien des cimetières ou encore la création de centres d'insertion ou de formation professionnelle pour les jeunes de la deuxième et de la troisième génération. Au-delà de ce débat, il conviendra d'y répondre.
Ce projet de loi est donc une avancée, mais pour qu'il devienne « l'acte de cohésion nationale très attendu par un million et demi de rapatriés », selon les termes du Premier ministre, il ne faut laisser personne au bord du chemin. Cela suppose qu'il soit enrichi par des amendements qui peuvent être votés sur tous les bancs de l'Assemblée. Quarante-deux ans après, ce n'est pas la responsabilité de tel ou tel gouvernement qui est en question, c'est la responsabilité de la France dont nous sommes les représentants.
Quarante-deux ans après la fin de cette guerre que certains ressentent comme un abandon et un reniement, alors que d'autres la considèrent comme une résultante de l'histoire, les Français rapatriés d'Algérie, pieds-noirs et harkis, attendent la reconnaissance de la responsabilité de l'État qui n'a pas protégé ses ressortissants des massacres, des enlèvements, des disparitions qui ont suivi le cessez-le-feu. Il est temps que la France reconnaisse ces préjudices et assume leur réparation morale et matérielle.
Ce texte, s'il est amendé et donc enrichi, pourra largement y contribuer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Robert Lecou.
M. Robert Lecou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite commencer mon intervention par une citation : « On parlait de reconnaissance il y a vingt ans, mais il me semble aujourd'hui que c'est par la connaissance qu'il faut commencer, pour ne pas laisser persister et s'aggraver le malaise. »
De quel malaise s'agit-il ? De celui d'un fils de harki qui m'a écrit récemment que des jeunes de la deuxième et de la troisième génération de harkis étaient parfois obligés de mentir en se présentant comme enfants d'immigrés algériens ou marocains !
Il est en effet nécessaire aujourd'hui d'agir et de légiférer. D'autant que certaines autorités algériennes tiennent publiquement, lors de voyages officiels ou de grands débats à la télévision, des propos traduisant une interprétation de l'histoire de France.
Monsieur le ministre, votre projet de loi est utile. J'ai tenu à participer au débat en m'inspirant du vécu d'une circonscription où les rapatriés sont venus nombreux s'installer en participant au renouveau d'une région, et en m'inspirant du vécu de la ville dont je suis le maire, Lodève. De nombreux harkis s'y sont fixés et ils contribuent aujourd'hui, avec leurs enfants et leurs petits-enfants, à sa diversité et donc à sa richesse.
Oui, cette loi doit encourager la recherche historique afin de favoriser une meilleure connaissance de notre histoire ; oui, cette loi doit exprimer la réhabilitation de ceux qui ont été calomniés ; oui, cette loi doit exprimer la reconnaissance de la nation envers celles et ceux qui ont accompagné la France dans son action dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc et en Tunisie, ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française.
Oui, la reconnaissance des souffrances éprouvées et des sacrifices endurés par celles et ceux qui ont été victimes des événements sanglants de la France d'outre-mer est un devoir de notre pays, qui justifie cette loi.
L'histoire de France doit rappeler l'oeuvre de la France d'outre-mer, où des générations de toutes conditions et de toutes religions ont participé avec courage au développement de territoires.
Si ces gens ont contribué au rayonnement de la France dans le monde, ils ont aussi participé à la modernisation de ses territoires, ils y ont construit des routes, des ports, des aéroports, des écoles, des hôpitaux et bien d'autres équipements utiles au développement, au savoir ou à la santé.
Il faut le dire à nos enfants dans nos écoles, une grande œuvre a été accomplie et elle mérite le respect.
Cette reconnaissance rappellera l'action des Français partis s'installer outre-mer et entraînera le respect pour celles et ceux qui avaient choisi la modernisation de leur pays. Je pense aux rapatriés, qui ont dû laisser leur bien et une part de leur vie. Je pense à ceux qui, à l'époque, ont fait confiance à la France en agissant à ses côtés, ont fait confiance à cette oeuvre pour défendre des valeurs de progrès et d'humanité, et qui ont dû quitter leur terre.
C'est par le biais de la mémoire et du travail de mémoire vraie que la reconnaissance de l'oeuvre perdurera, oeuvre qui sera inscrite dans le patrimoine de la République française. À cet égard, je salue les initiatives qui ont permis d'instaurer une journée nationale d'hommage aux harkis le 25 septembre ainsi qu'une commémoration officielle des morts pour la France pour les combattants d'Afrique du Nord le 5 décembre et qui, bientôt, permettront l'édification, à Marseille, d'un mémorial national dédié à l'oeuvre de la France d'outre-mer.
C'est par cette mise en valeur de la mémoire que les enfants de harkis retrouveront leur fierté d'être des Français à part entière. C'est aussi grâce à des efforts concrets pour la formation nécessaire préalable à l'emploi que l'on aidera ces enfants qui connaissent des difficultés issues de leur malaise.
Ainsi reconnus et accompagnés, ils seront plus enclins à prendre toute leur part dans le devoir de construction de la France d'aujourd'hui et de demain.
C'est dans cet esprit que je défendrai, à l'article 1er, des amendements tendant à exprimer cette reconnaissance et à favoriser la réhabilitation de la présence française en outre-mer, en lui donnant la place qu'elle mérite dans les programmes scolaires et en promouvant des programmes de recherche historique. Je soutiendrai également la mesure, proposée par le rapporteur, d'interdiction de toute allégation injurieuse envers une personne en raison de sa qualité, vraie ou supposée, d'ancien supplétif ou de parent de supplétif de l'armée française ou assimilé.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, prévoit un régime d'indemnisation des harkis. S'ajoutant aux lois de 1987 et 1994, adoptées sous les gouvernements Balladur et Juppé, il devrait inciter à plus de modestie ceux de nos collègues qui ont soutenu, pendant vingt-trois ans, des gouvernements de gauche restés, eux, inactifs.
M. Kléber Mesquida. Nous verrons ce que vous ferez tout à l'heure !
M. Robert Lecou. Il faut tenir compte, pour l'indemnisation de réparation, des situations d'âge et de famille des futurs bénéficiaires. C'est pourquoi le maintien de l'allocation de reconnaissance jusqu'à la fin de vie, ainsi que le versement d'un capital en complément, constituent une juste mesure.
En appelant à honorer notre devoir de mémoire et de réparation à travers plusieurs amendements que je défendrai, j'ai souhaité participer à l'amélioration d'un texte de progrès qui va dans le bon sens. La France sortira grandie de cette oeuvre de reconnaissance. Puissions-nous, tous ensemble avancer ainsi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Mme la présidente. La parole est à M. Lionnel Luca.
M. Lionnel Luca. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la première fois, un texte visant à l'indemnisation de nos compatriotes d'Afrique du Nord évoque clairement la reconnaissance de la nation et la contribution de celle-ci en leur faveur. Plus de quarante ans après l'exode tragique, vécu dans l'indifférence et l'incompréhension de la métropole, nous affirmons enfin qu'il n'était pas honteux d'avoir été présent sur cette terre, de l'avoir travaillée, de s'y être enraciné et de l'avoir fait prospérer.
Après l'institution, par le Président de la République, du 25 septembre comme journée nationale d'hommage aux harkis, puis, par vous-même, monsieur le ministre, du 5 décembre pour la célébration du souvenir de nos morts, ce texte fera date chez nos compatriotes, enfin reconnus comme Français à part entière et non plus comme Français entièrement à part.
Mais des progrès restent à accomplir, ne serait-ce que pour reconnaître ce que nous leur devons dans la libération de notre territoire. Après les imposantes et dignes célébrations du 6 juin 1944, on regrettera la relative discrétion de la commémoration des combats menés par l'armée française en Italie, sous le commandement du général Juin, il y a également soixante ans presque jour pour jour. Après la déroute de 1940, ces premiers combats d'une armée française forte de 175 000 hommes, ont été menés glorieusement, ensemble, par nos 130 000 compatriotes d'Algérie, mais aussi ceux du Maroc, de Tunisie et les populations de souche. En mai et juin 1944, là où l'armée américaine avait échoué et piétinait depuis un an devant la capitale italienne, c'est « l'Armée d'Afrique », comme on l'a appelée, qui ouvrit la route de Rome, avec les batailles victorieuses du Garigliano et de Monte Cassino. Le 15 août, c'est encore cette armée qui s'illustra lors du débarquement sur les côtes de Provence, en libérant Marseille et Toulon, avant Colmar.
Nous comptons, monsieur le ministre, que vous célébriez avec autant d'éclat que celui de Normandie le débarquement de Provence, accompli avec la participation très majoritaire des armées françaises. L'annonce de la venue du Président de la République va dans ce sens. Il conviendrait, cependant, de ne pas ternir cet hommage de la nation par des présences indésirables, comme celle du Président algérien, dont la rumeur indique qu'il serait invité. Ce serait un geste inopportun et provocateur, car celui-ci, à la différence du Chancelier allemand, n'a jamais exprimé ni regret ni repentance pour les massacres et exactions commises à l'encontre des civils français, encore moins de nos soldats et des harkis qui, il n'y a pas si longtemps encore - et sur notre sol ! - étaient qualifiés de collaborateurs.
En rappelant cette page d'histoire, largement oubliée dans les manuels et donc jamais apprise à l'école par nos enfants, je veux exprimer ici que la France allait bien de Dunkerque à Tamanrasset, que les populations qui la composaient étaient rassemblées sous un même drapeau et qu'elles avaient ensemble versé leur sang pour la libération de la patrie. Quelles qu'aient été les erreurs, ou même les fautes, commises par les gouvernements qui se sont succédé, la France n'a jamais asservi les peuples qu'elle a dirigés et l'armée française n'a jamais été une armée de tortionnaires, comme certains, complaisamment, veulent le faire croire.
Au-delà des nouvelles mesures financières importantes, complémentaires et indispensables que vous nous proposez, il nous faut surtout exprimer notre reconnaissance à nos compatriotes qui ont travaillé, bâti, éduqué, soigné, développé les peuples de ces territoires où flottait notre drapeau. Ils ont été les meilleurs ambassadeurs des valeurs de notre République et la France le leur a bien trop mal rendu jusqu'à présent.
Nous devons donc, sans plus tarder, ériger le mémorial de la France d'outre-mer à Marseille. Plus encore, il faut que toutes les communes de France comptent une place, une rue, un boulevard, un carrefour de la France d'outre-mer, qui rappelle ce qu'a été l'œuvre de la France. Il nous faut écrire l'histoire et l'enseigner pour que les enfants de notre pays sachent que la France n'a pas été colonialiste mais colonisatrice, qu'elle a transmis aux peuples les valeurs républicaines et formé leurs élites dirigeantes, dont certaines ont siégé dans cette enceinte avant d'être parfois admises à l'Académie française. La colonisation française a fait œuvre d'intégration et l'armée française s'est comportée de manière telle que les enfants et petits-enfants de ceux qui l'ont si bien servie et sont morts pour elle n'ont pas à en rougir.
Pour cela, il faut que les archives s'ouvrent aux historiens, qui doivent pouvoir y trouver les éléments nécessaires à l'écriture de la véritable histoire de la présence française outre-mer. Il faut en particulier exiger l'accès aux archives du Gouvernement algérien pour que ceux qui ont été portés disparus ne le restent pas à jamais.
Certains de nos amendements ont été frappés de l'article 40. Mais il faudra bien un jour, et le moins tard possible, reconnaître que les gouvernements de la IVe et de la Ve République n'ont pas fait tout ce qu'il fallait pour protéger nos concitoyens livrés à la barbarie et au génocide. Il nous faudra bien l'assumer avec humilité et dignité.
Votre texte, monsieur le ministre, est un premier pas important dans l'hommage que doit la nation à nos compatriotes, que l'histoire a si maltraités. Le paradoxe veut que cet hommage ait d'abord été rendu par les peuples que nous avons dirigés, à travers la francophonie dont la colonisation est le socle. Les quelque cinquante États qui aujourd'hui y participent affirment qu'ils se reconnaissent dans nos valeurs, à travers notre langue, notre culture, notre histoire, qu'ils veulent continuer avec nous dans l'indépendance. Voilà pourquoi il n'est que temps d'affirmer à notre tour notre fierté de l'oeuvre accomplie pour nos compatriotes en outre-mer. Le temps de la mauvaise conscience et de la repentance à quatre sous est terminé.
Comme l'exprime si bien le Chant des Africains, qui, comme La Marseillaise, est un hymne d'amour à la patrie, nos compatriotes déracinés ont porté haut et fier le beau drapeau de notre France entière. Ils en ont été dignes, plus que bien d'autres. À eux tous, nous disons merci. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) | page suivante |