IV— POLITIQUE INDIGÈNE : LES SOUVERAINS ET  LES ÉLITES.

 
         
 
     
 

Noro-dom Sihanouk (1941)
 
 
 

La politique qui avait été suivie à l'égard des souverains d'Annam du Cambodge et du Laos, au cours de la Troisième République, avait manqué de continuité, voire de cohérence.
En 1940, grâce au Résident supérieur, Maurice Graffeuil, l'Empereur d'Annam Bao Daï jouait dans ses états un rôle de plus en plus efficace. Mais, au Cambodge et au Laos, le prestige de la fonction royale se trouvait en déclin.
Aussi l'Amiral Decoux, soucieux de témoigner à chaque occasion le plus possible d'égards aux souverains protégés, tenait-il à rehausser leur prestige. De 1941 à 1945, la liste civile des trois souverains fut augmentée.
Au début de juin 1941, l'Amiral se rendit à Phnom Penh pour saluer le nouveau Roi du Cambodge, Noro-dom Sihanouk, qui venait de succéder à son grand-père Sisowath Moni-vong.
Le Gouverneur général avait fait, quelques mois auparavant, la connaissance à Saigon de Norodom Sihanouk, alors brillant élève de rhétorique, du lycée Chasseloup-Laubat à Saigon. L'Amiral apprit avec plaisir que ce "prince charmant" s'intéressait déjà activement à toutes les affaires d'état qui lui étaient exposées. "Il se prêtait en outre, avec une parfaite bonne grâce, à l'exécution du programme de causeries et de conférences ayant pour but de compléter sa formation générale, et de l'adapter à l'exercice effectif de la fonction royale.
Comment concevoir une politique indigène ? Le mot avait souvent prêté à équivoque dans les diverses parties de l'Empire français. En Indochine particulièrement, une politique indigène devait comporter d'abord le développement des élites comme des masses autochtones. Tout sentiment de reconnaissance envers la France était à ce prix. Il fallait maintenir, parmi les populations protégées la fierté de se réclamer de la France avec la volonté bien arrêtée de demeurer fidèle au drapeau.

 
 

Malheureusement, l'Indochine de la Troisième République fut victime de surenchères démagogiques, au nom de la propagation de la démocratie, expression qui n'avait aucun sens parmi les populations indochinoises. Dans beaucoup de domaines, particulièrement l'Instruction publique, beaucoup restait à faire. (12) La France de la Troisième République avait commis la grave erreur de s'imaginer que l'instruction en Indochine pouvait être considérée comme une fin en soi. Aussi, pouvait-on assister à un spectacle déconcertant : non seulement l'effectif des diplômés indochinois augmentait à mesure que les possibilités d'enseignement étaient plus largement diffusées, mais encore le nombre de places offertes aux jeunes gens du pays, tant dans l'administration que dans les diverses branches d'activités (agriculture, commerce, industrie), demeurait à peu près stationnaire. Donc, l'accroissement des débouchés était loin de correspondre à celui des postulants.
Les diplômés sans emploi, arrachés à leur milieu d'origine et à leurs traditions, constituaient une masse de déracinés perméables à toute propagande révolutionnaire, en particulier communiste, à partir des années 1920.

 


Faculté de médecine de Hanoi
 
 
 
 
 
Ceux que l'on nommait " les retour de France " avaient été particulièrement influencés par les doctrines subversives pendant leurs études en Métropole.
Les doléances de ces déracinés étaient d'autant plus justifiées que la plupart des administrations indochinoises contenaient une proportion considérable d'emplois subalternes qui auraient pu être confiées à des Indochinois, mais qui continuaient de l'être à des fonctionnaires français. D'après le barème des soldes coloniales françaises, ces emplois étaient occupés par des Européens avec des traitements particulièrement élevés. On en arrivait à des situations invraisemblables. Ainsi, un mandarin annamite, de l'échelon le plus élevé, percevait un traitement inférieur à celui d'un sous-brigadier des Douanes françaises. En règle générale, tous les mandarins autochtones touchaient encore, en 1940, des traitements dérisoires qui n'étaient guère faits pour les mettre à l'abri des tentations de concussion. (13) La situation du mandarinat était devenue angoissante. L'amiral Decoux fut autorisé en 1941, par le Ministère des Colonies à relever, dans de substantielles proportions, les échelles de traitements des mandarins. Parallèlement, une révision méthodique des cadres mandarinaux fut entreprise de façon à débarrasser ceux-ci de tous les éléments insuffisants ou corrompus, et à donner ainsi aux sujets plus jeunes et bien notés, des possibilités d'avancement améliorées. Le principe décidé par l'Amiral Decoux fut : "à égalité de titres,  égalité de situations, et, à égalité de situations, égalité de traitements. "
Il était mis fin à une erreur impardonnable qui avait été commise en laissant un trop grand nombre de jeunes intellectuels indochinois, aller compléter leur formation dans des Facultés métropolitaines. L'Université indochinoise devait donc prendre un essor indispensable, comme en témoignait à Hanoï « l'École des Sciences ».

(11)        Amiral Decoux op. cit. p. 287 / 288
(12)        Amiral Decoux op. cit. p. 397 / 398
(13)        Amiral Decoux op. cit. p. 399