V — LE COUP DE FORCE DU 9 MARS 1945 ET SES CONSEQUENCES.

 
   
 

Dès le printemps 1943, des réseaux de résistance, en liaison avec le Comité de libération d'Alger devenu ensuite Gouvernement provisoire, s'établirent en Indochine. L'amiral Decoux fut mis au courant en octobre 1944, c'est-à-dire à une époque où le Gouvernement de Vichy n'existait plus. La situation était d'autant plus délicate que le Gouverneur général maintenait, malgré tout, la présence française en Indochine, où le Japon était toujours une menace.
Les groupements de résistance commettaient de graves imprudences, d'autant plus qu'ils étaient en concurrence ouverte les uns avec les autres. Les uns passaient des renseignements aux Anglais, certains autres aux Services secrets américains établis en Chine, et d'autres encore directement aux Chinois, ou aux postes diplomatiques français à Chunking.
Pour comble de confusion, il était demandé à l'Amiral Decoux de communiquer directement avec le Gouvernement provisoire du général De Gaulle.

 
 
 

Assemblée Algérienne
Charles de Gaulle (Alger - 1944 )
 
 

En d'autres termes, d'après ce raisonnement, il existait désormais deux autorités, celle du général commandant les organisations de résistance, en liaison avec le Gouvernement provisoire et le Gouverneur général.
L'Amiral Decoux, après avoir pris l'avis de ses conseillers, adressa un télégramme au général De Gaulle par l'intermédiaire du Commandant supérieur en Indochine, le général Aymé.(14) Dans ce message du 30 octobre 1944, l'Amiral déclarait au Chef du Gouvernement que la confusion des pouvoirs rendait la situation très grave. En conséquence, il demandait au Chef du Gouvernement de lui dire s'il était encore la seule autorité suprême en Indochine. La réponse parvint au bout de trois semaines. Le gouvernement "acceptait l'assurance de l'Amiral que sa politique était actuellement guidée par le seul souci de garder l'Indochine à la France ". Mais certains termes du message étaient pour le moins équivoques, en particulier l'Amiral recevait l'ordre formel de ne pas se démettre de son poste tant qu'il ne recevait pas l'ordre du Gouvernement, soit directement, soit par celui du général Mordant, chef des organisations de résistance, mais qui n'avait aucune fonction officielle.
II ne pouvait s'agir que de mesures de circonstances, sans portée réelle et qui ne devaient pas empêcher les Japonais, alertés par les graves imprudences des organisations de résistance à déclencher, le 9 mars 1945, le coup de force sur la Fédération indochinoise.
L'Amiral Decoux et toutes les autorités françaises en Indochine, furent prisonniers des Japonais, et, après la capitulation japonaise d'août 1945, devait commencer une ère de confusion où les autorités mises en place par le Gouvernement provisoire avaient une lourde responsabilité.
L'exemple le plus scandaleux fut le sort réservé à l'Amiral Decoux et à ses principaux collaborateurs. Après la capitulation japonaise et durant un mois et demi, rien ne fut changé à leur régime. Ainsi, ils furent laissés sous la garde des Japonais vaincus sous les regards déconcertés des populations annamites, co-chinchinoises, cambodgiennes et laotiennes. De toute évidence, l'Amiral Decoux aurait dû recevoir entre ses mains la capitulation japonaise en Indochine.
Le plus grand tort, lors de l'effondrement de la puissance japonaise fut de ne pas rétablir partout, au moins provisoirement, ceux qui, en considération des seuls intérêts de la France avaient, de 1940 à 1945 , servi celle-ci en Indochine. On préféra épurer. L'Amiral Decoux posait ainsi la question (13) : "Est-ce ainsi que l'on prétend assurer le prestige de notre pays aux yeux de populations auxquelles nous avons la prétention d'apporter les bienfaits de l'ordre et de la civilisation ? ".
La faute capitale fut de confier en 1945, aux Anglais et surtout aux Chinois, la sauvegarde des intérêts français en Indochine.


(13) Amiral Decoux op. cit. p. 399
(14-15) Amiral Decoux op. cit. p. 283, 284 et 285