LES ELITES MUSULMANES EN ALGERIE FRANÇAISE DE 1830 A 1962

La politique de Chataigneau : les hésitations entre Ferhat Abbas et Messali

 
 
 
 
     
   
 

La politique de Chataigneau :
les hésitations entre Ferhat Abbas et Messali


Après l'armistice de 1945, et la tragédie du 8 mai à Sétif et dans le Constantinois, le gouvernement s'est efforcé de poursuivre la politique amorcée en 1943/1944 en lui donnant un cadre institutionnel. Cette politique devait aboutir au "statut de l'Algérie", adopté par l'assemblée nationale le 20 septembre 1947.
Avec une certaine incohérence, certains crurent judicieux d'autoriser Messali, alors en résidence surveillée, à s'installer dans la banlieue d'Alger. Ainsi, l'agitateur reprit-il en main l'appareil du PPA qui lui avait échappé.

 
 
De son côté, Chataigneau s'appuyait sur Ferhat Abbas au nom d'une politique musulmane libérale qui se voulait "progressiste contre les injustices". Ce programme, généreux en apparence, se heurtait aux réalités algériennes de l'époque et ne réussissait qu'à créer une vive animosité de la population européenne douloureusement impressionnée par le drame du Constantinois. Chataigneau, critiqué avec force, ne bénéficiait pas moins de l'appui la SFIO, en particulier de Charles-André Julien, professeur d'histoire de la colonisation en Sorbonne, qui, à l'époque, à peu près seul dans son parti, soutenait la thèse de l'indépendance de l'Algérie.
Ferhat Abbas exploitait l'ambiguïté de son attitude en 1945. Il fit valoir que, contrairement au PPA, les "amis du Manifeste" étaient étrangers aux émeutes de 1945. Une partie de l'administration en était persuadée, ce qui avait permis au commandant Schoen, des Affaires indigènes, de rencontrer Ferhat Abbas lors de son emprisonnement, entre mai 1945 et avril 1946. Sur les conseils du commandant, Ferhat Abbas s'engageait à réconcilier les deux communautés. Il n'en annonçait pas moins la création de "l'union démocratique du Manifeste algérien" (UDMA) avec la collaboration de notables appartenant pour la plupart aux professions libérales, comme les avocats Boumendjel et Sator, les médecins Saadane et Ahmed Francis.

Les nouvelles orientations de Ferhat Abbas

Le Manifeste de 1943 tenait lieu de programme à l'UDMA. Le premier mai 1946, Abbas publiait un "appel à la jeunesse algérienne et musulmane" où l'affirmation de la réconciliation entre les communautés côtoyait les diatribes anticolonialistes, stigmatisant le "crime colonial et la forfaiture de l'administration". Il s'agissait peut-être d'une tactique qui pouvait être utilisée pour parler à de jeunes Musulmans, tentés par les arguments messalistes. En tout cas, nous sommes loin du Ferhat Abbas d'inspiration maurassienne d'avant guerre, surtout lorsqu'il propose un état algérien autonome "Jeune démocratie naissante, guidée par la grande démocratie française".
 
 
     
Lors des élections à la première assemblée constituante, en octobre 1945, Abbas était encore inculpé et les "amis du Manifeste" ne participaient pas au scrutin. Ils s'étaient contentés de soutenir certains candidats, en particulier dans le Constantinois, ceux de "l'Union démocratique franco-musulmane" du docteur Bendjelloul, qui devait compter quatre élus. Mais, pour la deuxième assemblée constituante, élue le 2 juin 1946, les "Amis du Manifeste" étaient majoritaires et Ferhat Abbas était élu lui-même, pour le département de Constantine. Selon des consignes secrètes lancées par le PPA, 40 % des inscrits s'étaient abstenus en octobre 1945 et 65 % en juin 1946. Enfin, aux élections de la première assemblée nationale de la quatrième République, le 10 novembre 1946, l'UDMA s'effaçait devant les candidats du PPA, devenu le "mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques" (MTLD) qui obtenaient 5 sièges sur 15.
Le avait cru habile d'autoriser le MTLD, malgré l'interdiction antérieure du PPA. Cette attitude tortueuse ne fit qu'accroître l'hostilité de l'opinion publique contre Chataigneau, d'ailleurs en conflit ouvert avec le secrétaire général du gouvernement général, Pierre René Gazagne.
L'UDMA se réservait pour les élections au conseil de la République en décembre 1946. Ce scrutin à deux degrés lui fut favorable, avec quatre élus et trois autres bénéficiant de son soutien. Le MTLD n'avait aucun élu.
Ferhat Abbas obtenait une représentation parlementaire, tandis que les aspirations des notables politiques, issus des "Jeunes algériens" et de la "Fédération des élus musulmans" de Bendjelloul étaient en bonne voie. Ce dernier, député aux deux assemblées constituantes, avait demandé à faire introduire, dans le projet de constitution, la citoyenneté pour les Musulmans, la suppression du Gouvernement général, incompatible avec le statut départemental de l'Algérie, l'abolition des Communes mixtes, au profit des communes de plein exercice, comme en Métropole.
Mais, la constitution de 1946 n'accordait à l'Algérie que 35 députés, et tous les groupes politiques de l'Assemblée nationale, y compris les communistes, rejetaient le Collège unique. A la fin de 1946, la situation juridique de l'Algérie restait imprécise. Le 20 septembre 1947, après 20 jours de débats, l'Assemblée nationale votait la loi donnant à l'Algérie un statut particulier.
 
 
Gouverneur général Chataigneau
 
 
 
 

Le statut de 1947 et l'échec de la politique de Chataigneau


L'Algérie était définie comme "un groupe de départements dotés de la personnalité civile, de l'autonomie financière et d'une organisation particulière". Les lois, votées par le Parlement français, et qui pouvaient être appliquées en Algérie, ne concernaient que les libertés constitutionnelles, l'état civil, les accords internationaux, l'organisation militaire, administrative et judiciaire, le régime financier fondé sur la zone franc. Toutes ces exceptions existaient avant 1939.
En second lieu, une assemblée algérienne, élue au suffrage universel, devait émettre son avis sur les textes propres au pays. Les Musulmans recevaient la citoyenneté par une naturalisation collective. Le droit de vote pour les femmes était reconnu, mais devait être effectif dans un avenir qui n'était pas précisé.
Le texte du statut écartait toute idée d'autonomie. Il maintenait la distinction entre les deux Collèges électoraux des citoyens. Le premier Collège comprenait des Français de naissance, et les Musulmans bénéficiaient de l'ordonnance du 7 mars 1944, et le second Collège, tous les autres Musulmans.

 
Lire la suite .....