LES ELITES MUSULMANES EN ALGERIE FRANÇAISE DE 1830 A 1962

La politique de Naegelen et l'Assemblée algérienne - La situation de 1955 à 1962
 
 
 
     

Le Président de la République, Vincent Auriol, et le Gouvernement Ramadier espéraient, au moment du vote du statut, que celui-ci pourrait rallier les amis de Ferhat Abbas et isoler les messalistes. Ce fut l'une des origines des équivoques qui allaient se perpétuer durant toute la Quatrième République.
Les critiques étaient nombreuses. Jacques Soustelle, Secrétaire général du Rassemblement du Peuple français (RPF), donnait une conférence de presse à Alger le 6 juin 1947, donc avant le vote du statut. Il défendait le double Collège et repoussait l'autonomie. Dès janvier 1947, à la tribune de l'Assemblée nationale, les critiques contre Chataigneau étaient virulentes. Les plus résolues étaient celles du général Aumeran, député d'Alger.
En 1946/1947, Chataigneau, appuyé par le ministre de l'Intérieur du Gouvernement Ramadier, Edouard Depreux, a imposé une politique qui manquait de cohésion, au point de provoquer une peur collective dans la population européenne. Ferhat Abbas avait mal accepté les manœuvres de Chataigneau, qui, lors des élections à l'Assemblée nationale du 10 novembre 1946 avait utilisé le MTLD contre l'UDMA, en pensant que les "Amis du Manifeste" se retourneraient plus tard contre les messalistes. Tout comme le préfet Mecheri, conseiller de Vincent Auriol pour les affaires Nord africaines, Chataigneau avait gravement sous estimé le courant messaliste.
En février 1948, le gouvernement présidé par Robert Schuman, qui avait succédé à Ramadier, décidait le remplacement de Chataigneau par le ministre de l'Education nationale, Marcel Edmond Naegelen.


La politique de Naegelen et l'Assemblée algérienne


La nomination de Naegelen était avant tout un gage politique donné à la SFIO, pour compenser le départ de Chataigneau. Naegelen, patriote alsacien, appartenait à ce courant du socialisme français épris d'humanisme colonial. Il avait parcouru l'Algérie en tant que ministre de l'Education nationale et il allait bientôt s'y attacher.
En juin 1948, quatre mois après sa nomination, Naegelen notait chez les ministres et parlementaires "influents", dont ceux du comité directeur de la SFIO, une "ignorance aggravée de la prétention de donner des leçons". A Paris, dominait l'illusion que tout allait pour le mieux en Algérie, puisqu'on en entendait moins parler, et Naegelen n'a jamais pu faire comprendre aux ministres que l'insurrection messaliste n'était pas à écarter.
Lors des élections à l'Assemblée algérienne, en mars/avril 1948, Abbas et plusieurs de ses amis furent élus, mais les candidats du MTLD quoique minoritaires, devançaient ceux de l'UDMA.
Lorsque Naegelen fut remplacé en avril 1951 par le préfet Roger Léonard, le désarroi dans les esprits était moindre, mais la question des élites musulmanes continuait à se poser, tandis que l'attitude équivoque de Ferhat Abbas se poursuivait.


La situation de 1955 à 1962


Après la Toussaint 1954, et le déclenchement de la guerre d'Algérie, le Gouverneur général Léonard est remplacé par Jacques Soustelle. Ce dernier arrive le 15 février 1955 à Alger et le 5 janvier 1956 il communique un plan d'intégration dont les principaux articles sont "l'égalité des droits et des devoirs", la suppression de l'assemblée algérienne, l'augmentation du nombre des parlementaires et des réformes économiques et sociales. Cette intégration progressive est acceptée par l'ensemble de la population européenne, sauf sur la question essentielle du Collège unique que le plan Soustelle a adopté. Beaucoup de notables musulmans, ralliés en secret au FLN, sont hostiles et exigent la reconnaissance de la nationalité algérienne.
Le gouvernement Guy Mollet, constitué en janvier 1956, ne renouvelle pas la mission de Soustelle, qui quitte Alger le 2 février, remplacé par le général Catroux, qui a le titre de ministre résidant.
Catroux démissionnait avant même d'entrer en fonction, à la suite des manifestations de la population européenne d'Alger le 6 février, et il était remplacé par Robert Lacoste.
Sans employer le terme d'intégration, Lacoste poursuivait les réformes administratives annoncées par Soustelle. Un décret de mars 1956 augmentait le nombre des Musulmans admis dans la fonction publique et dans l'armée. Mais, les conditions exigées pour les Européens étaient plus strictes que celles demandées au Musulmans, ce qui devait proposer de nombreuses critiques dans la population européenne.
A la fin avril 1956, on comptait 2000 personnes entrées dans la fonction publiques, 250 élèves officiers musulmans et 400 000 bénéficiaires de l'allocation vieillesse.
Le 13 mai 1958 aurait pu être l'occasion de promouvoir l'élite musulmane, à condition d'affirmer l'intangibilité de la souveraineté française. Faute de cela, après le drame des barricades, l'imposture de l'autodétermination, nous devions arriver à une situation qui préfigurait l'abandon.
Pour conclure, nous pouvons nous reporter aux écrits d'Emile-Félix Gautier, dans la Revue de Paris, en 1934 :
"Les Musulmans, sortis de nos écoles, deviennent automatiquement nos pires ennemis. Et c'est normal. Dans les vieilles colonies à esclaves, ce sont les métis qui ont été le ferment des insurrections. En Afrique du Nord, on ne le dit jamais, parce qu'un fait négatif n'attire pas l'attention ; il n'y a pas un seul métis avoué selon la chair, tant est forte la cohésion de la famille musulmane. Mais les bacheliers sont les métis intellectuels. Ils souffrent parce qu'ils sont suspendus entre les deux sociétés. Ils ne sont plus tout à fait semblables à leurs pères et ils ne dépend ni de nous ni d'eux qu'ils soient tout à fait semblables à nous."
Ces propos restaient tragiquement actuels au début des années 1960, à la veille de l'abandon ignominieux.
Pierre GOURINARD

 
Marcel Naegelen
 
Roger Léonard
 
Jacques Soustelle
 
Guy Mollet
 
Robert Lacoste
 
     
 
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