LES ELITES MUSULMANES EN ALGERIE FRANÇAISE DE 1830 A 1962

Catroux et les réformes - événements du Levant et le discours de Constantine
 
 
 
     

Le général Catroux et les réformes


Giraud et De Gaulle étaient co-présidents du comité français de la Libération nationale (CFLN) depuis le 2 juin. Désigné par De Gaulle, Catroux, Commissaire aux Affaires musulmanes, était chargé à ce titre, de régler la question des réformes. Le 24 juin, devant la Commission des réformes, Catroux précisait que le statut présent de l'Algérie serait maintenu jusqu'à la fin de la guerre, ce qui excluait toute référence à des idées d'indépendance ou pan-maghrébines. Le Gouverneur général fit signer six ordonnances de réformes le 12 août 1943.
Elles concernaient la citoyenneté française, la fonction publique, l'enseignement primaire et les sociétés indigènes de prévoyance. Quelques jours après, Catroux révélait à Bendjelloul qu'il était allé "au-delà de ce qu'il était possible de faire, et qu'il ne pouvait pas donner davantage".

 
     
   
Georges Catroux
 
 
     
 

Ferhat Abbas se plaignait, dans une lettre à De Gaulle, de ce qu'il estimait être la mauvaise volonté de l'administration. En septembre, ses amis, signataires du Manifeste, boycottaient une session des délégations financières. Catroux suspendait l'assemblée, et faisait arrêter deux délégués, Ferhat Abbas lui-même, et Saïah Abd El Kader. Mais Berque obtenait leur libération et, gagnant à lui une douzaine de délégués, permettait la reprise de la session des Délégations financières.
Le 11 décembre 1943, Berque obtenait du général Catroux la constitution de nouvelles commissions, destinées à présenter des propositions "pour tendre, de façon continue et progressive, à élever la condition politique, sociale et économique des Musulmans au niveau des Français".
Ces mesures correspondaient à l'esprit du projet de 1940/1941. Il s'agissait d'augmenter le nombre des Musulmans dans les assemblées déliberatives algériennes et dans un plus grand nombre de postes administratifs. Mais tandis que Catroux préparait ses réformes, le CFLN prenait plusieurs initiatives.


Les événements du Levant et le discours de Constantine


Ces initiatives révélaient l'influence sur le CFLN d'événements qui se déroulaient hors d'Algérie pendant les années 1941/1943. Pour les comprendre, il faut se reporter au 8 juin 1941, où des troupes britanniques et une brigade de la France Libre avaient envahi les Etats du Levant, alors sous mandat français. Le général Catroux, après l'armistice de Saint Jean d'Acre, qui mettait fin aux combats, proclamait, au nom du Comité de Londres, l'indépendance de la Syrie et du Liban. La Grande Bretagne garantissait cette déclaration d'indépendance, ce qui confirmait son ingérence dans les affaires françaises.
La proclamation de Catroux reposait sur une équivoque, puisque les instructions du général De Gaulle stipulaient que le mandat de la SDN devait être remplacé par des traités d'alliances comparables à ceux conclus par la Grande Bretagne avec l'Irak et la TransJordanie.
Mais le 8 novembre 1943, la Chambre des députés libanaise, nouvellement élue, abrogeait différentes clauses de la constitution, dont celle d'après laquelle les traités devaient être conclus par l'intermédiaire de la France, puissance mandataire.
Quelques jours plus tard, le Haut Commissaire Helleu, réagit en nommant directement un nouveau premier ministre. Les Etats-Unis, la Grande Bretagne, le roi d'Egypte Farouk protestèrent avec vigueur. Le secrétaire d'Etat américain, Cordell Hull, adressa un ultimatum au CFLN, en lui demandant d'octroyer une indépendance totale au Liban.
Le 22 décembre 1943, le général Catroux signait à Damas les accords qui transféraient, aux gouvernements syriens et libanais, les attributions exercées jusque là par la France. Il paraissait alors urgent au CFLN de se justifier, aux yeux des Musulmans du monde entier, comme auprès des Anglais et des Américains. Ainsi, apparaissait l'idée d'appliquer des réformes en Algérie, afin de prouver un véritable libéralisme vis-à-vis de l'Islam. Dans cet esprit, le 12 décembre 1943, De Gaulle prononçait son discours de Constantine.


Le discours de Constantine et l'ordonnance du 7 mars 1944



 
     
 
 
     
 
De Gaulle saluait au passage la colonisation :
"Personne ne peut nier que rien ne serait concevable sans le labeur acharné de ces colons qui fait jaillir du pays les richesses de la nature."
Mais, ces propos de circonstance masquaient mal une réalité. Pour l'ensemble des Métropolitains qui avaient suivi De Gaulle à Alger et qui gravitaient autour du CFLN, il était de bon ton de mépriser les Français d'Algérie.
Un commentaire officiel affirmait, avec une assurance effarante, que rien n'avait été fait pour les Musulmans depuis le Senatus Consulte du 14 juillet 1865 !
Le discours de Constantine annonçait, comme mesure prochaine, l'extension des droits politiques, avec maintien du statut personnel et coranique, pour un certain nombre de Musulmans. L'accroissement de la représentation dans les assemblées locales et l'accès, plus largement ouvert, à tous les emplois administratifs. Il fallait donc étendre la citoyenneté française aux Musulmans et faire d'eux des citoyens français à part entière, en leur laissant leur statut personnel. Le 14 décembre 1943, un arrêté du gouverneur général Catroux instituait une commission des réformes, chargée de l'application du discours de Constantine.
Il en résultait l'ordonnance du 7 mars 1944, relative au statut des Français musulmans d'Algérie. Tous les Musulmans de 21 ans devenaient électeurs. Mais, l'exercice de l'ensemble des droits attachés à la citoyenneté entière, était réservé à certaines catégories : titulaires du Brevet élémentaire, fonctionnaires, membres des Chambres économiques, titulaires de décorations. L'ordonnance du 7 mars avait pour premier effet l'intensification de la vie politique. Le 14 mars 1944, avec la bienveillance des autorités, Ferhat Abbas fondait un nouveau parti, "Les amis du Manifeste et de la liberté". L'objectif était clair : une république algérienne fédérée à la France, afin de "rendre familière la formation d'une nation algérienne".
Mais les propos restaient obscurs, ainsi était-il question de "condamner les contraintes du régime colonial". Sans doute, le nouveau parti était-il accueilli avec faveur par la direction des affaires musulmanes qui redoutait un regain d'activité du PPA de Messali. Pour ces autorités, Abbas était ménagé parce qu'il était le seul homme qui bénéficiait d'un grand prestige auprès des Musulmans. L'administration laissait parfois les "amis du Manifeste" créer des cellules dans les Communes mixtes, tandis qu'Abbas continuait, dans un journal, Egalité, à éviter de parler d'indépendance.
En réalité le gonflement rapide des adhérents du parti d'Abbas s'expliquait par l'inscription de centaines de militants messalistes, ce que les autorités algériennes n'ignoraient pas, mais trop souvent laissaient faire.
Au début de 1945, Ferhat Abbas tenait un congrès où il donnait la parole à tous les représentants des mouvements nationalistes algériens. Il bénéficiait de l'appui du gouverneur général Yves Chataigneau, qui avait succédé au général Catroux en septembre 1944.
         
   
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