Assemblée
nationale Compte rendu 3ème séance
Session ordinaire de 2003-2004 - 33ème jour de séance,
84ème séance3ème
SÉANCE DU MARDI 2 DÉCEMBRE 2003
PRÉSIDENCE de M. Éric RAOULT vice-président
Sommaire
DÉCLARATION DU GOUVERNEMENTET DÉBAT SUR LES RAPATRIÉS
(suite)
PARTIE 3
La séance est ouverte à vingt et une
heures trente.*
DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT ET DÉBAT
SUR LES RAPATRIÉS (suite)
L'ordre du jour appelle la suite du débat
sur les rapatriés.
M. Georges Colombier
- J'ai été le témoin direct d'une guerre qui
n'a pas dit son nom. J'ai été l'acteur parfois mal
compris des efforts parlementaires pour reconnaître cette
guerre, puis pour lui donner une date officielle de commémoration.
Mon engagement n'avait pour but que de permettre à la nation
d'exercer son devoir de mémoire à l'égard des
victimes du conflit et de l'exil. Je ne peux donc que me réjouir
que le Gouvernement offre à la représentation nationale
une nouvelle opportunité de débattre de la politique
en faveur des rapatriés. Mais si ce débat fait naître
les plus grands espoirs, il suscite en même temps la crainte
de perdre une fois de plus l'occasion de clore un passé qui
ne passe pas. Il faut reconnaître au Président de la
République, au Gouvernement et spécialement à
vous, Monsieur le ministre, la volonté de garantir la solidarité
nationale envers les rapatriés. La création de la
mission interministérielle aux rapatriés en fut le
premier exemple. De nombreux efforts visent à approfondir
le devoir de mémoire, avec la journée nationale d'hommage
aux harkis, le 25 septembre, le mémorial national pour la
guerre d'Algérie, quai Branly et le mémorial de l'oeuvre
française d'outre-mer à Marseille. D'autres expriment
une reconnaissance matérielle, avec les allocations de reconnaissance
pour les harkis et leurs veuves, le plan harki et le délai
supplémentaire accordé aux salariés pour leur
retraite complémentaire. D'autres enfin visent à poursuivre
le dialogue avec les rapatriés et à préparer
l'avenir, avec l'installation du Haut conseil des rapatriés,
la mission de bilan et de prospective confiée à Michel
Diefenbacher et le débat parlementaire. Toutes ces actions
méritent d'être saluées comme un effort sans
précédent du Gouvernement, dans le droit fil des engagements
du Président de la République, pour améliorer
la situation des rapatriés en général et de
la communauté harkie en particulier, trop souvent touchée
par l'exclusion. Les harkis et leurs descendants ne doivent pas
être déçus par le pays dont ils sont amoureux
et pour lequel ils ont pris les armes et seraient prêts à
recommencer, ainsi qu'ils me l'ont dit. C'est vers eux que la solidarité
nationale doit converger, alors que 68 % de la population estime
que la France s'est mal comportée à leur égard.
Une attention toute particulière doit être portée
aux propositions 13 à 17 du rapport Diefenbacher, relatives
à l'accompagnement matériel des familles. Il s'agit
notamment du choix entre le doublement de l'allocation de reconnaissance
et une mesure mixte, combinant une majoration de la rente et l'attribution
d'un capital, des mesures en faveur de la première et de
la deuxième générations et une discrimination
positive en matière d'emploi et de logement, tant que le
taux de chômage de la communauté restera anormalement
élevé. Ces efforts matériels ne sauraient faire
oublier notre devoir de mémoire et de reconnaissance. Le
rapport suggère la création d'une fondation d'utilité
publique dédiée à la mémoire des harkis
et à l'intégration de leurs enfants. La priorité
en faveur des familles de harkis n'est pas incompatible avec la
prise en compte de nombreuses revendications légitimes des
associations de rapatriés, parmi lesquelles la poursuite
de la reconstitution des droits à la retraite des salariés
ou la restitution des sommes prélevées au titre des
lois de 1970 et de 1978. C'est à ce prix que nous pourrons
enfin commencer à apaiser cette souffrance de la mémoire
collective et faire de l'oeuvre française outre-mer un souvenir
assumé. Deux expositions récentes permettent de fonder
des espoirs : l'une présentait l'architecture du paysage
urbain d'Alger pendant la colonie sous un jour positif et l'autre
mêlait les souvenirs d'une communauté heureuse, disparue
d'un coup. La France s'est engagée dans un lourd travail
de mémoire envers ses enfants victimes de la guerre. Cette
déchirure est encore difficile à imaginer pour les
jeunes générations. Perpétuer la mémoire
est un devoir, et je rends hommage au Gouvernement qui s'y attache.
Mais si le souvenir est essentiel, il faut aussi multiplier les
efforts de réparation pour le sang versé, les racines
perdues et l'intégration forcée sur un sol inconnu
mais adoré (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
M. Lionnel Luca.
- Vendredi aura lieu la première célébration
officielle de la fin des combats en Afrique du nord. Cette date,
choisie par la commission présidée par Jean Favier
à l'unanimité moins une voix, est déconnectée
de toute signification historique. Traditionnellement, l'armistice
ou le cessez-le-feu s'imposent comme date d'une célébration
nationale, mais les morts, en l'occurrence, ont été
plus nombreux après le cessez-le-feu que pendant toute la
durée du conflit. C'est si vrai que la représentation
nationale a reconnu la guerre en Afrique du nord entre janvier 1952
et le 3 juillet 1962, date de l'indépendance algérienne.
Il convient donc, pour l'Etat, de donner toute l'importance qu'elle
mérite à cette première célébration.
Plus de quarante ans après, il est temps que justice soit
rendue à toutes les victimes de la raison d'Etat et de la
falsification historique. Les Français d'Algérie n'ont
pas été défendus comme ils auraient dû
l'être ; la fusillade de la rue d'Isly et le massacre d'Oran
en sont de tragiques illustrations. Ceux qui ont été
engagés comme supplétifs dans l'armée n'ont
pas été protégés comme ils auraient
dû l'être, et les survivants ont été mis
à l'écart dans un pays inconnu. C'est donc une dette
matérielle, mais aussi morale qui doit être réglée.
La France a un devoir de mémoire et de reconnaissance envers
ceux qui ont bâti son empire. La France doit être fière
de son oeuvre civilisatrice, en particulier en Afrique du nord.
Sans la France, l'Algérie d'aujourd'hui n'existerait pas.
C'est la France qui lui a donné son territoire et son identité,
qui l'a organisée et développée. L' oeuvre
de la France outre-mer est méconnue et déformée,
voire calomniée, sous le vocable de colonialisme. Nous n'avons
pas à rougir de la colonisation, engagée par la gauche
à la fin du XIXe siècle au nom des grands principes
républicains. Elle doit être réhabilitée,
car c'est elle qui a donné naissance à la francophonie.
Les quelque cinquante Etats qui y participent, sous la houlette
bienveillante de la France, sont tous issus de notre empire. Quel
plus bel hommage que celui rendu par des pays qui, ayant acquis
leur indépendance, acceptent librement de s'engager aux côtés
de l'ancien colonisateur pour défendre sa langue, sa culture
et les droits de l'homme ? Cet hommage doit se concrétiser
à Marseille, avec le mémorial de l'oeuvre française
outre-mer, à laquelle le rapport Diefenbacher rend justice
de manière exemplaire. Je souhaite simplement que le Gouvernement
prolonge sa réflexion sur un certain nombre de points : en
terminer avec l'indemnisation des rapatriés, des harkis de
la première génération et des supplétifs
européens ; favoriser l'accès à l'emploi et
au logement des enfants de harkis des deuxième et troisième
générations ; obtenir du gouvernement algérien
le libre accès de son territoire pour tous ceux qui en sont
originaires et l'entretien des cimetières trop souvent abandonnés
ou profanés, et obtenir des informations sur les enlevés
disparus ; ouvrir les archives françaises et algériennes
à une commission mixte qui permette d'écrire une véritable
histoire de l'Algérie française ; reconnaître
les erreurs, les insuffisances et surtout témoigner l'hommage
de la nation aux survivants de ce drame. Malgré les difficultés
de l'heure, il est nécessaire d'en terminer avec la réparation
matérielle due à ces compatriotes. Il est surtout
indispensable que vienne le temps de la réparation morale
(Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
M. Jean-Pierre Grand - Robert Lecou
S'associe à mon intervention. Je garde toujours
en mémoire le souvenir de l'arrivée des familles rapatriées
d'Afrique du nord, comme j'ai une pensée pour les maires
de ma région qui ont su leur offrir le meilleur accueil possible.
Quarante ans plus tard, nous avons le devoir de reconnaître
tout ce qu'ils ont apporté aux régions où ils
se sont installés. Auparavant, par leur travail, l'amour
de leur terre, ils ont contribué pendant un siècle
à l'oeuvre de la France outre-mer. Qu'ils en demeurent fiers,
comme nous leur en sommes reconnaissants. Je félicite le
Gouvernement d'avoir compris que le 19 mars ne pouvait être
la journée nationale d'hommage aux morts pour la France pendant
la guerre d'Algérie. La guerre n'a pas cessé ce jour-là.
Souvenons-nous des 1 736 disparus après cette date, des 145
soldats tués et des 102 autres disparus après le cessez-le-feu.
Souvenons-nous de l'assassinat de 2 000 Oranais lors de l'horrible
journée du 5 juillet 1962, et de l'exécution, vers
le 15 juillet, de milliers de harkis dans les forêts de Tlemcen.
Choisir le 19 mars comme journée du souvenir aurait offensé
la mémoire de ces victimes et de leurs familles. Le 19 mars
n'a pas été un jour de gloire pour notre nation, sachons
le reconnaître. Sur le plan matériel, je souhaite des
mesures urgentes en faveur des 21 000 rapatriés d'Algérie
et des 7 500 rapatriés du Maroc et de Tunisie dont les dossiers
entrent dans l'application de l'article 46 de la loi de 1970. Ils
ressentent la façon dont on les a traités comme une
injustice. On ne la réparera ou on ne l'atténuera
qu'en restituant à ces familles les sommes prélevées
au titre de cet article 46.De même, j'insiste pour que l'on
assure la sécurité matérielle des épouses
et veuves de harkis. Majorer la rente leur garantirait un minimum
vital. La nation ne peut se soustraire à cette mesure de
solidarité et de reconnaissance. Enfin, il faut clôturer
les quelques centaines de dossiers d'aménagement des dettes
des " réinstallés " actuellement à
l'étude. Je félicite encore M. le Premier ministre
d'avoir eu le courage d'organiser ce débat (Applaudissements
sur les bancs du groupe UMP).
M. Rudy Salles
- Les députés UDF, attachés
à la cause de leurs frères pieds noirs et harkis,
auxquels l'Etat a tant tardé à accorder sa reconnaissance,
saluent la décision du Gouvernement d'organiser ce débat.
L'un des nôtres, André Santini, chargé de cette
épineuse question en 1986, sut faire avancer les dossiers
et pieds noirs et harkis lui en sont reconnaissants. Peu de réformes
d'envergure ont été accomplies depuis lors. Nous voulons
aujourd'hui témoigner notre reconnaissance aux rapatriés,
dont la contribution a été essentielle au développement
de notre pays. Il est indispensable d'accomplir le travail de mémoire
pour les jeunes générations qui n'ont pas connu les
huit années atroces de la guerre civile, ni ne savent les
conditions dramatiques de l'exode des pieds noirs et des harkis
qui ont pu échapper aux massacres. Les rapatriés attendent
que justice leur soit rendue. La nation doit reconnaître leurs
sacrifices, comme elle a commencé à le faire timidement
pour les harkis. Les rapatriés attendent aussi qu'elle répare
les torts qu'elle leur a causés ou qu'elle a laissé
leur porter sans les protéger. Si les opinions demeurent
partagées sur la nécessité pour la France de
renoncer à sa présence en Algérie, il y a consensus
pour reconnaître que les conditions de l'indépendance
ont gravement lésé les Français d'Algérie
de toutes confessions. Après le cessez-le-feu, le sang n'a
cessé de couler. Qui n'a été révolté
en entendant l'enregistrement de la fusillade de la rue d'Isly ?
Aux appels désespérés de " halte au feu
" répondit le bruit des armes qui firent cent morts
et plus de deux cent blessés parmi les manifestants pacifiques.
Faute de réparation, les familles de ces innocentes victimes
n'ont encore pu faire leur deuil. La France n'a pas su protéger
la population civile contre les enlèvements et les massacres,
a restreint les recherches sur les disparus, a rapatrié un
million de nationaux dans une totale improvisation. N'a-t-elle pas
sacrifié les Français d'Algérie à la
raison d'Etat ? La question dérange mais mérite d'être
posée. Le rapport de M. Diefenbacher suscite l'espoir dans
son introduction, mais la suite a déçu les rapatriés.
Sur l'indemnisation, il n'est guère audacieux. Or, elle a
été fragmentaire et tardive et les trois premières
lois n'auraient couvert que 22 % des préjudices subis. De
plus, les régimes d'indemnisation sont multiples et complexes,
les procédures longues et ardues, la séparation entre
ceux qui y ont droit et ceux qui n'y ont pas droit pas toujours
logique. Même si les contraintes budgétaires sont fortes,
il faut prendre en compte les attentes des rapatriés. Le
groupe UDF veut, comme eux, que la question de l'indemnisation soit
réglée une fois pour toutes. Nous ne voulons pas avoir
à voter une nouvelle loi dans dix ans et nous ne cautionnerons
donc ni les demi-mesures ni les indemnités au rabais.
M. Kléber Mesquida - Très bien !
M. Rudy Salles
- Certes, le rapport propose des mesures positives
comme la restitution des sommes prélevées au titre
de l'article 46 de la loi de 1970 et de l'article 3 de la loi de
1978 ou la revalorisation des retraites des anciens cadres de l'Algérie
française. Mais globalement, il reste insuffisant, qu'il
s'agisse de rétablir la vérité historique ou
de terminer l'indemnisation. Sur l'après 19 mars, seul le
sort des disparus fait l'objet d'une mention assez timide. Si ce
rapport est une étape importante, il reste au Gouvernement
à prendre les mesures que les rapatriés attendent.
Au-delà de la dette matérielle, la République
doit s'acquitter de la dette de sang qu'elle a contractée
envers les harkis. Nous nous sommes indignés quand le Président
Bouteflika, en visite en France, a osé les traiter de "
collabos ", injuriant toute la communauté nationale
dont ils font partie.
M. Kléber Mesquida - Très bien !
M. Rudy Salles
- Nous espérons que depuis le voyage du
Président Chirac en Algérie, il y a eu une évolution
sur ce point. Ce n'est qu'en respectant la mémoire de tous
que nous pourrons construire une société plus sereine.
Le groupe UDF demande qu'un effort financier important soit consacré
aux harkis. Leur allouer à chacun un capital de 20 000 €,
comme le propose le rapport, ne compensera pas vingt-cinq ans d'errance,
de souffrance et d'exclusion. Pour effacer définitivement
notre dette, nous demandons que ce capital soit revalorisé.
Il faut également prendre en compte le fait que les indemnités
allouées tant aux harkis qu'aux rapatriés dans leur
ensemble sont versées à des personnes qui ont, pour
la plupart d'entre elles, plus de 70 ans. Nous demandons, outre
que ces indemnités soient exonérées d'impôt
sur le revenu, que la communauté harkie et rapatriée
bénéficie de droits de succession à taux préférentiel,
voire de leur exonération totale. Il ne faudrait en effet
pas reprendre ces indemnités par l'impôt ! Les générations
futures doivent pouvoir hériter d'une indemnisation substantielle,
et non d'un reliquat d'indemnités amputé des droits
de succession. Il est temps de songer à un dispositif efficace
qui permette à la deuxième génération
de harkis de s'intégrer pleinement dans notre société.
Alors que le rapport Diefenbacher évoque de manière
abstraite un dispositif de discrimination positive à son
profit, nous demandons, nous, des mesures concrètes pour
que le taux de chômage anormalement élevé qui
sévit dans cette communauté diminue enfin - bourses
d'étudiants attribuées de façon prioritaire,
emplois réservés dans l'administration...J'évoquerai
maintenant un sujet qui me tient particulièrement à
coeur, celui des supplétifs de souche européenne auxquels
on a refusé le bénéfice de l'allocation de
reconnaissance allouée aux harkis depuis 1987, alors même
qu'ils ont accompli des missions extrêmement périlleuses
au service de la nation dans les formations supplétives et
que certaines personnes ont bénéficié, elles,
indûment de l'allocation de reconnaissance par le biais de
la directive du 30 janvier 1989. Comme leurs frères musulmans,
les supplétifs de souche européenne ont, pour beaucoup,
payé de leur vie leur engagement aux côtés de
l'armée française, été la cible de massacres
après-guerre et vécu un exil douloureux, suivi d'une
intégration difficile en métropole. Les traiter de
manière différente des premiers serait enfreindre
le principe constitutionnel d'égalité devant les citoyens.
Aujourd'hui, la communauté harkie, d'une seule voix, réclame
l'attribution de l'allocation de reconnaissance aux supplétifs
de souche européenne. Je demande donc au Gouvernement de
rendre justice à cette communauté, qui ne dépasse
d'ailleurs pas trois cents personnes. Elle a besoin de la reconnaissance
de la nation, non de son indifférence, pis de son ingratitude.
Je ne peux, enfin, passer sous silence la controverse suscitée
par le choix de la date du 5 décembre pour rendre hommage
aux morts pour la France lors de la guerre d'Algérie et des
combats du Maroc et de la Tunisie. Ce choix a suscité des
réactions diverses parmi les anciens combattants et dans
leurs associations, de l'approbation à l'opposition la plus
nette. Il était indispensable de perpétuer l'hommage
rendu à la troisième génération du feu,
tout spécialement à ceux tombés en Afrique
du Nord. Nous regrettons donc profondément que le Gouvernement
ait choisi une date qui a contribué à relancer le
débat. Nous avions refusé la date du 19 mars pour
plusieurs raisons. D'une part, parce que les morts et les souffrances
n'ont pas cessé à cette date : nous avons tous en
mémoire le drame du 26 mars à Alger ou encore du 5
juillet à Oran, et la période terrible, couleur de
sang, qui s'est alors ouverte pour la communauté harkie,
massacrée. Le 19 mars restera dans l'histoire comme la date
d'un accord de paix non respecté, c'est-à-dire d'une
défaite. Or, que je sache, les défaites ne sont célébrées
dans aucun pays. D'autre part, la date du 19 mars ne concerne pas
tous les rapatriés, puisqu'elle laisse à l'écart
ceux du Maroc et de Tunisie. Lors du débat organisé
à ce sujet par le précédent gouvernement, nous
avions exprimé le souhait que la date retenue soit le plus
consensuelle possible, car les monuments aux morts doivent être
des lieux où la communauté nationale se rassemble,
et non se divise. Le Gouvernement a pensé que la date du
5 décembre serait neutre. Elle n'a, hélas, aucune
signification ni sur le plan historique ni sur le plan de la mémoire
et risque bien d'alimenter la polémique. Il faut trouver
le moyen de commémorer dignement cette page douloureuse de
notre histoire.
Une question mérite encore d'être évoquée,
celle de la situation des cimetières en Algérie. Faute
de la présence des familles, beaucoup sont à l'état
d'abandon, mais certains, les cimetières juifs en particulier,
ont été profanés. Qu'a fait l'Etat français
auprès de son homologue algérien sur le sujet ?En
conclusion, je me félicite de l'organisation de ce débat
ici aujourd'hui, qui a permis de faire le point sur la situation,
mais nos amis rapatriés attendent des pouvoirs publics d'abord
des mesures concrètes. Nous espérons donc que le Gouvernement
annoncera un calendrier précis. Les rapatriés ne peuvent
attendre davantage, eux qui n'ont pas attendu, dès leur retour
en métropole, pour mettre leur amour de la France et leurs
talents au service de notre pays. Leur installation sur le territoire
métropolitain s'est traduite par des progrès significatifs
pour l'ensemble de la collectivité nationale. Au nom de la
reconnaissance due et de la justice, nous vous demandons solennellement
de répondre à ces demandes en souffrance, afin de
clore définitivement ce dossier douloureux et laisser enfin
l'Histoire faire son oeuvre (Applaudissements sur les bancs du groupe
UDF et du groupe socialiste).
M. Daniel Spagnou
- Voilà quarante et un ans que l'une des
pages les plus difficiles de notre histoire s'écrivait en
Algérie. Personne n'a oublié le lourd tribut payé
au lendemain des accords d'Evian par les pieds-noirs et les harkis.
Il ne faut pas oublier ces patriotes combatifs qui ont fait partie
de la belle et renommée Armée d'Afrique, non plus
que les sacrifices des milliers de Français d'Afrique du
Nord qui, après cent trente années de dur labeur,
et parfois de sang versé, ont été déracinés
de leur terre natale. Le traumatisme et les souffrances qu'ils ont
subis suscitent encore leur douleur et expliquent leur forte demande
de reconnaissance et de réparation. L'histoire de la France
en Algérie, c'est aussi, et avant tout, celle de milliers
de familles européennes, qui ont fait la grandeur de notre
nation outre-mer. Ce n'est que justice de rouvrir ici aujourd'hui
le débat sur les rapatriés. Au nom de tous nos concitoyens,
des rapatriés et de leurs descendants, je rends hommage à
ce Gouvernement qui en a pris l'initiative, répondant ainsi
à la volonté du Président de la République
d'aborder ce sujet avec courage et responsabilité. Nous pouvons
être fiers de l'action menée depuis dix-huit mois par
ce Gouvernement, qui a permis de renouer le dialogue avec l'ensemble
des rapatriés, dans le prolongement de ce qui a été
fait par notre famille politique depuis quarante ans. Je me réjouis
que ce Gouvernement ne se contente pas de saupoudrer des aides mais
s'attaque véritablement aux problèmes fondamentaux,
comme le Président de la République lui-même
s'y était engagé. Une première étape
a été l'instauration de la journée d'hommage
national aux harkis, le 25 septembre. Devoir de mémoire,
devoir de vérité et devoir de reconnaissance, voilà
la triple dette d'honneur que le Président Chirac s'est engagé
à honorer. Et le Gouvernement a déjà beaucoup
avancé dans cette voie. Contrairement à notre collègue
Salles, je trouve remarquable le rapport de Michel Diefenbacher.
Le travail de fourmi réalisé par la mission interministérielle
aux rapatriés a permis d'établir un bilan objectif
et précis des actions menées par le passé,
d'écouter les demandes des associations représentatives
et de formuler des propositions destinées à parachever
l'effort de reconnaissance de la nation. Il est grand temps, après
tant d'années de refus, de regarder la tête haute cette
page d'histoire, afin de pouvoir la refermer. Nous avons le devoir
historique de saisir l'occasion qui nous en est donnée. Je
souhaite, pour ma part, que soit présentée une grande
loi de programmation qui irait plus loin que les propositions du
rapport Diefenbacher, et se rapprocherait de la proposition de loi
Soisson que j'ai cosignée. A la logique d'assistance, substituons
celle de la responsabilité et de l'initiative. Cette loi
devra être généreuse, quitte à être
étalée dans le temps. Il nous faut aussi, par souci
d'équité, prendre en compte la situation des harkis
arrivés individuellement en France, lesquels n'ont perçu
à ce jour aucune indemnité, effacer les disparités
de traitement entre régions pour l'accession à la
propriété, et élargir l'aide à la réinstallation.
Patriotisme, nationalité et liberté, les harkis et
les pieds-noirs en connaissent tout particulièrement le prix.
Ils ont dû travailler dur pour s'en sortir, élever
leurs enfants et leur donner une situation meilleure que la leur.
Plus que jamais, notre pays doit faire face à son histoire,
dans le triomphe comme dans les blessures, et regarder l'avenir,
réconcilié avec lui-même. D'où l'importance
de ne pas manquer le prochain rendez-vous législatif. Saint-Exupéry
faisait dire au Petit Prince : " Il y a des choses qu'on ne
voit bien qu'avec le coeur ". Alors, une fois pour toutes,
mettons du coeur à cet ouvrage et ne laissons pas seulement
entrevoir la lueur d'un espoir. Montrons-nous courageux pour apurer
notre passé, affirmer notre présent et construire
notre avenir (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
M. Georges Fenech
- A l'heure de ce débat historique, je regrette
que les bancs de la gauche soient si dégarnis. Si la majorité
n'était pas aussi bien représentée, nous débattrions
à la sauvette, avec plus de public dans les tribunes que
de députés dans l'hémicycle. Mais cela n'a
rien d'étonnant quand on sait que la gauche n'a jamais rien
fait de tangible, lorsqu'elle était au pouvoir, pour les
pieds-noirs et les harkis rapatriés.
M. Kléber Mesquida - Un peu de dignité, je
vous prie. Pas de polémique !
M. Georges Fenech.
- Je ne polémique pas. Je réponds à M. Bacquet,
que j'ai applaudi tout à l'heure. Pourquoi avez-vous voulu
faire adopter la date du 19 mars, à laquelle le Président
Mitterrand lui-même était opposé ? Pourquoi
le précédent gouvernement a-t-il fait charger les
CRS lors d'une manifestation de harkis devant l'Assemblée
nationale ? (Protestations de M. Mesquida et de Mme Mignon)
C'est seulement un constat. Et, pour ma part, je suis fier d'appartenir
à une majorité qui, quarante ans après, va
enfin reconnaître les injustices subies par les rapatriés.
Nous débattons ce soir par la volonté du Président
de la République, attaché à ce que la République
" assume son devoir de mémoire " (Interruptions
de Mme Mignon). Laissez-moi parler, je vous prie. Monsieur le secrétaire
d'Etat, vous avez aujourd'hui l'occasion, historique, de prendre
les mesures voulues par le chef de l'Etat et attendues par le pays.
Malheureusement, à entendre certaines répliques, j'ai
le sentiment que rien n'est encore réglé. J'ai entendu,
y compris dans ma circonscription, certains maires socialistes et
communistes annoncer qu'ils ne pavoiseraient pas le 5 décembre.
Tout a été dit déjà sur l'injustice
subie par les pieds-noirs, dont l'oeuvre n'a pas été
reconnue, et sur l'injustice dont ont été également
victimes nos amis harkis, abandonnés à leur triste
sort. Il nous faut ouvrir les archives, afin d'établir la
vérité. Je voudrais en terminant rappeler la mémoire
de ce capitaine harki qui nous a quittés il y a peu, qui
fut le seul à désobéir aux ordres du général
Katz et sauva des centaines de pieds-noirs. Monsieur le ministre,
attachez votre nom à une loi historique, que la France attend
pour se réconcilier avec elle-même (Applaudissements
sur les bancs du groupe UMP).
M. Jean-Pierre Giran
- Voilà un peu plus de quarante ans, des
hommes et des femmes attachés à une terre où
ils étaient nés et qu'ils avaient su faire prospérer
durent la quitter sans délai. Depuis, avec leurs enfants,
ils attendent de l'Etat que soit enfin assumé pleinement
par la communauté nationale le traumatisme sans précédent
qu'ils durent subir. La communauté harkie attend légitimement
une reconnaissance de ses sacrifices, elle qui paya de plusieurs
dizaines de milliers de morts le choix de la France. Notre dette
est immense. Les harkis et leurs enfants ont eu parfois l'impression
que l'ajournement des décisions tenait lieu de politique.
Seuls les gouvernements issus de la même majorité que
la nôtre ont pris des décisions positives, en particulier
en 1987, en 1994 et en 2001.C'est l'honneur du Président
de la République et du Gouvernement de vouloir honorer la
communauté harkie et célébrer le devoir de
mémoire le 25 septembre et le 5 décembre. C'est leur
honneur de s'engager dans la réalisation d'un mémorial
de l'œuvre de la France outre-mer. Mais la reconnaissance morale
ne suffit pas. Il est de notre devoir de passer des symboles aux
actes et, dans le cadre d'un véritable plan Marshall pour
les harkis, de leur permettre enfin de se sentir Français
à part entière.
Tout d'abord, un nouveau capital doit être attribué
aux harkis. Le rapport de notre collègue Diefenbacker propose
soit un doublement du montant de l'allocation de reconnaissance,
soit l'attribution d'un capital de 20 000 € joint à
une augmentation de 30 % de l'allocation. Ce serait déjà
un progrès important, mais pour solder définitivement
la situation, je propose l'attribution d'un capital un peu plus
important, afin de répondre aux besoins des familles, toutes
générations confondues, d'autant que si on leur avait
attribué un capital plus vite, son montant actualisé
serait beaucoup plus important que ce dont nous parlons aujourd'hui.
En deuxième lieu, il convient de faciliter le logement des
harkis. Une discrimination positive, qui ne ferait que compenser
la discrimination négative dont ils ont longtemps été
victimes, doit favoriser leur accession à la propriété.
On peut aussi leur attribuer des quotas minimaux de logements sociaux.
Enfin, il faut favoriser l'accès à l'emploi, notamment
pour les jeunes. C'est d'autant plus légitime que les conditions
de vie auxquelles ils ont été soumis ne leur ont pas
toujours permis une scolarité normale. Il serait bon de s'appuyer
sur les lois de décentralisation pour imposer aux communes
et aux conseils généraux de réserver des emplois
aux membres de la communauté harkie. L'administration d'Etat
devrait s'imposer la même obligation. Une décision
législative en cette matière nous éviterait
de devoir sans cesse intervenir en faveur de personnes dont il faudrait
simplement reconnaître les droits. On pourrait également
envisager de rendre les membres de cette communauté éligibles
à des prêts à taux zéro pour créer
leur entreprise. Jamais nous ne pourrons solder les dégâts
psychologiques et humains de cet épisode de notre histoire.
Faisons notre possible pour réparer au mieux les dégâts
économiques et sociaux. Permettez-nous, Monsieur le ministre,
d'être fiers de la France, cette France que les harkis portent
au fond de leur coeur (Applaudissements sur les bancs du groupe
UMP).
M. Roland Chassain .
- Je suis particulièrement ému d'évoquer
la mémoire des harkis et supplétifs de l'armée
française en Algérie. J'ai en effet la fierté
et l'honneur d'être le député de Mas-Thibert,
petit village situé sur la commune d'Arles qui a accueilli
au lendemain des accords d'Evian le Bachaga Saïd Boualem, accompagné
de membres de sa harka et de leurs familles. Je veux dire à
tous ses descendants, et en particulier à son fils Lacèhne
Boualem, combien la France est fière des hommes qui se sont
battus comme lui avec un tel amour pour le drapeau tricolore. Les
députés lui avaient rendu hommage à leur manière
en l'élisant à l'unanimité à quatre
reprises à la vice-présidence de l'Assemblée
nationale. Je suis aussi maire des Saintes-Maries-de-la-Mer, où
repose l'un des trois généraux qui avaient refusé
d'obéir. La nation a une responsabilité dans les terribles
drames qui ont touché les harkis et leurs familles, et la
France se doit de leur apporter réparation. Mais j'ai été
choqué par une récente opération que je serais
tenté de qualifier de révisionniste, puisqu'elle essayait
de faire passer le général de Gaulle pour un monstre
sanguinaire, alors que c'est le FLN qui porte la responsabilité
des massacres de harkis et supplétifs (Interruptions sur
les bancs du groupe socialiste). Ceux dont les familles de pensée
ont pendant tant d'années manifesté leur amitié
pour le FLN feraient mieux de balayer devant leur porte. M. Chirac
a été le premier à prendre avec détermination
d'importantes mesures en faveur des harkis en 1987. La loi Romani
de 1994 a poursuivi cet effort. Plus récemment, l'instauration
de la journée du 25 septembre, à la demande du Président
de la République permet à la nation d'affirmer sa
reconnaissance envers des hommes qui l'ont servie avec fierté,
au péril de leur vie. Nous devons maintenant achever notre
action par des mesures fortes et définitives. La mission
confiée à notre collègue Michel Diefenbacher
était difficile. Cosignataire de la proposition de loi de
Jean-Pierre Soisson, je souhaiterais que le Parlement soit appelé
à légiférer à partir de ce texte ambitieux
et profondément juste. Nous pourrons également nous
inspirer de la proposition déposée par notre collègue
Francis Vercamer en particulier à l'égard des femmes,
veuves ou divorcées. Par ailleurs, Monsieur le ministre,
j'insiste sur le fait qu'on ne peut fixer de plafond de ressources
lorsqu'il s'agit de réparer une faute ou d'indemniser un
dommage. Enfin, nous avons collectivement le devoir de prendre des
mesures courageuses en faveur des descendants des harkis. Nous ne
pourrons estimer avoir rempli notre devoir aussi longtemps que ces
jeunes compatriotes compteront deux fois plus de chômeurs
que les autres citoyens français du même âge.
Une mesure particulière doit en outre être prise en
faveur des enfants de harkis, pupilles de la nation. Nos amis attendent
que la vérité soit dite sur l'histoire de leur tragédie,
mais aussi que leur soit enfin accordée la place qui leur
est due au sein de la communauté nationale. Une réponse
doit être apportée à tous les harkis que j'ai
rencontrés dans ma circonscription et dans mon département,
en particulier aux amis avec lesquels nous nous sommes recueillis
hier sur la tombe du Bachaga Boualem, en présence de M. Renaud
Muselier. J'espère que ce débat sera suivi d'une très
bonne loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
M. Jean-Claude Flory
- Nous connaissons ici l'engagement et le parcours
des harkis qui se sont, eux-mêmes ou leurs parents, mobilisés
sous le drapeau français au péril de leur vie. N'oublions
pas que ces populations avaient aussi largement contribué
au développement de l'Algérie, territoire français,
pendant des décennies. Par leur engagement à nos côtés,
les harkis ont tout perdu. Outre les pertes matérielles,
ils ont subi et portent encore dans leur conscience collective le
massacre de proches et d'amis. Pour ceux qui ont pu rejoindre la
métropole, a commencé le parcours difficile de l'intégration
sur un sol où ils n'étaient pas toujours attendus.
Aussi leur devons-nous la reconnaissance et le respect qui, par
décision du Président de la République, s'expriment
officiellement depuis deux ans chaque 25 septembre. La dette contractée
par la nation française doit aussi se solder par le développement
d'actions ciblées en faveur de l'insertion des nouvelles
générations harkies, dans le droit fil des lois de
juillet 1987 et de juin 1994.L'effort de formation, condition de
l'ascension sociale, doit ainsi être maintenu et amplifié.
En effet, l'échec scolaire, les difficultés d'insertion
professionnelle, prévalent trop souvent, en dépit
de trop rares cas de réussites sociales exemplaires. La volonté
nationale nous commande de relever ensemble le défi de l'insertion
sociale des populations harkies, en particulier sur les sites historiques
de leur première implantation en métropole, comme
la commune de Largentière, dans ma circonscription. Ainsi,
le soutien scolaire, organisé d'abord avec l'aide de militaires
du contingent, doit bénéficier d'actions mieux coordonnées
et financées. Pour pérenniser l'aide au suivi de formations
qualifiantes et à la mobilité professionnelle, il
appartient à l'Etat, au travers de ses services déconcentrés
et en application de la circulaire de février 2003, de définir
des programmes d'actions ciblées, en partenariat avec les
collectivités locales. La déconcentration des moyens
permettra d'agir avec souplesse et réactivité. Les
harkis, et en particulier les plus jeunes, veulent vivre comme toutes
les familles de France. Notre histoire commune justifie que nous
les y aidions.
Je vous remercie, Monsieur le ministre, d'avoir souhaité
ce débat sur les rapatriés. Je vous remercie de prendre
en compte les propositions de M. Diefenbacher et celles de la représentation
nationale. Je vous remercie de vouloir bien concrétiser les
attentes d'une communauté qui nous a tant donné (Applaudissements
sur les bancs du groupe UMP).
M. le Président - Le débat est clos.
M. Hamlaoui Mékachéra,
Secrétaire d'Etat aux anciens combattants
- Je remercie chacun des orateurs. La hauteur, la chaleur de vos
discours marquent un moment historique pour les rapatriés.
Ce moment était très attendu. J'ai éprouvé
une intense émotion à l'évocation de "
ces pionniers partis les mains nues " décrits par Michel
Diefenbacher, qui ont porté au plus haut les valeurs de la
France et servi jusqu'au sacrifice suprême le drapeau français.
Tous, vous souhaitez apporter des réponses efficaces à
leurs attentes matérielles et morales. C'est aussi la volonté
du Gouvernement. Nous tiendrons le plus grand compte de vos propositions,
de l'esprit de solidarité nationale et de reconnaissance
qui les animait. Je vous confirme notre décision de déposer
un projet de loi. J'adresse des remerciements particuliers à
ceux qui ont salué les mesures déjà prises
par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, conformément
à la volonté du Président de la République,
qui suit avec attention la situation des rapatriés. Evoquant
les tragédies qu'ils ont subies, vous avez tous soulevé
la question de la vérité historique et des responsabilités,
notamment celle de l'Etat français, dans les drames intervenus
après le 19 mars 1962.Sur ces sujets encore très présents
dans les mémoires, les polémiques ne font pas avancer
le débat. Les évènements douloureux qui ont
conduit la France et l'Algérie à séparer leur
destin soulèvent toujours les passions, des deux côtés
de la Méditerranée. Il est vrai que le silence qui
entoure cette période devient trop lourd. Certes, l'expression
du devoir de mémoire et de reconnaissance a largement été
engagée en 1994 et a repris activement avec ce gouvernement.
Le travail de vérité doit s'exercer aussi bien sur
les évènements dramatiques qui ont suivi en Algérie
les accords d'Evian que sur les conditions du rapatriement des harkis
dans une métropole qui ne les attendait pas. La guerre d'Algérie
fut, comme toute guerre qui engage les populations civiles, le théâtre
de haines et d'atrocités. Nombre de familles n'ont jamais
pu faire le deuil de leurs proches en raison des circonstances et
de l'absence d'explications. Elles demandent aujourd'hui à
être éclairées. Le Gouvernement souhaite que
l'examen des archives par les historiens y contribue. Déjà
le rapport établi par la Croix rouge internationale en 1963
sur le sort des prisonniers et disparus en Algérie a été
communiqué à des historiens, et la direction des archives
du ministère des affaires étrangères a identifié
plus de 3000 dossiers. Ceux-ci n'étant communicables que
passé un délai de soixante ans, nous étudions
la possibilité de dérogations pour les familles concernées.
Le Gouvernement n'a donc pas hésité à ouvrir
les archives de la guerre d'Algérie. Il faut encourager les
historiens à travailler pour que la prise de conscience collective
s'exerce en toute objectivité. Le Président Teissier,
M. Merly et M. Salles m'ont interrogé sur les cimetières
français en Algérie, thème important de la
visite du Président de la République en Algérie
en mars 2003.La France et l'Algérie coopèrent déjà
activement et des travaux importants ont été réalisés.
Un plan de réhabilitation sur cinq ans a été
établi. Une commission technique franco-algérienne
s'est d'abord attachée à dresser un état précis
des 549 cimetières dénombrés. Dès demain,
l'ambassade de France va mettre sur internet un recensement qui
porte sur près de 200 cimetières. Je vous invite à
consulter ce site. Le ministère des affaires étrangères
va présenter un calendrier de travaux prioritaires en liaison
avec les autorités algériennes, la mission interministérielle
aux rapatriés et les associations de rapatriés. Pour
répondre aux collectivités territoriales qui ont souhaité
participer financièrement au plan de réhabilitation
lancé par l'Etat, un fonds de concours sera prochainement
ouvert par le ministère des affaires étrangères.
Nombre d'entre vous ont souhaité voir mise en valeur l'oeuvre
de la France outre-mer. C'est une priorité du Gouvernement.
Il est plus que temps de veiller à conserver et à
transmettre le patrimoine historique et les richesses culturelles
léguées par les rapatriés. Le Premier ministre
a annoncé en août dernier que l'Etat participerait
au projet de mémorial lancé à l'initiative
de Jean-Claude Gaudin et apporterait 5 millions d'euros en crédits
d'investissement. Monsieur Teissier, je vous assure que le maire
de Marseille et moi-même serons attentifs à y associer
les rapatriés. Nous disposerons ainsi d'un outil de valorisation
de l'engagement français outre-mer. Monsieur Roubaud, cette
période de notre histoire doit être mieux traitée
dans les manuels scolaires, je vous l'accorde. En liaison avec mon
collègue de l'éducation nationale, nous nous y employons.
Un groupe de travail a d'ailleurs été constitué,
auquel participent des rapatriés. MM. Kert, Fenech, Roubaud,
Lachaud, Douste-Blazy et Diefenbacher ont évoqué les
mesures de réparation encore nécessaires à
l'égard des harkis et de leurs familles. Le Gouvernement
partage cette approche. C'était déjà l'esprit
de la loi Romani de 1994.Il s'agit pour nous d'améliorer
la vie quotidienne des harkis ou de leurs veuves en revalorisant
significativement l'allocation de reconnaissance, qui, dès
le 1er janvier prochain, sera portée à 453 €
par trimestre. Nous connaissons par ailleurs les difficultés
éprouvées par les harkis pour justifier de titres
de propriété qui leur auraient permis d'être
indemnisés. C'est pour y remédier que les lois de
1987 et 1994 avaient prévu des allocations forfaitaires de
60 000 puis de 110 000 F. Le Gouvernement sera attentif à
votre souhait de voir compléter les efforts déjà
accomplis. MM. Flory, Kert, Vercamer et Douste-Blazy m'ont interrogé
sur les jeunes issus de familles harkies. L'accès à
l'emploi est essentiel pour eux, d'autant qu'ils souffrent plus
que d'autres du chômage. Il s'agit de les accompagner dans
les dispositifs d'accès à l'emploi et à la
formation jusqu'à leur insertion professionnelle. Il s'agit
aussi, je l'ai dit, de mobiliser les grands employeurs publics.
Les premières actions sont actuellement conduites sous le
contrôle des préfets. Elles seront suivies, dès
2004, d'opérations ciblées sur les départements
les plus concernés. M. Fenech l'a souligné, les cas
de réussite professionnelle des enfants de harkis sont nombreux.
Pour qu'ils le soient encore plus, il convient de se battre contre
le fléau de la discrimination. Afin de prendre en compte
les revendications légitimes des anciens supplétifs
et de leurs familles, le Gouvernement a décidé de
prolonger en 2004 les mesures d'accession à la propriété,
le désendettement immobilier, et de réactiver également
les mesures d'aide à l'amélioration de l'habitat.
Plus de 50 % des familles harkies sont propriétaires de leur
logement grâce à l'action conduite dans le cadre de
la loi Romani. M. Lachaud m'a posé la question de la réintégration
dans la nationalité française. Essentiellement des
veuves, souvent mal informées, ont en effet conservé
la nationalité algérienne faute de maîtriser
les démarches administratives. Elles ne peuvent bénéficier
des mesures législatives prises en leur faveur puisqu'il
faut pour ce faire avoir été réintégré
dans la nationalité française avant le 10 janvier
1973. Le Gouvernement étudie dans quelles conditions des
mesures dérogatoires pourraient être mises en place
pour leur permettre de recouvrer la plénitude de leurs droits.
MM. Teissier et Salles m'ont interrogé sur la situation des
harkis de souche européenne. Le législateur veut témoigner
de la reconnaissance de la nation à l'égard de ceux
qui, ayant choisi de lier leur destin à la France, ont été
contraints de quitter leurs racines et ont éprouvé
des difficultés très spécifiques d'insertion
en métropole. Les harkis de souche européenne n'ayant
pas connu les mêmes difficultés, la reconnaissance
de la nation ne peut s'exprimer de manière identique. Cette
question reste à l'étude. L'idée d'une fondation
harkie évoquée par MM. Kert, Vanneste et Colombier
est portée par plusieurs associations qui souhaiteraient
favoriser ainsi l'intégration des enfants de harkis et valoriser
le travail de mémoire et de vérité sur leur
histoire. Le Gouvernement n'est pas défavorable, bien au
contraire, à une telle initiative. Monsieur Colombier, je
vous informe qu'une réflexion est engagée à
ce sujet en liaison avec le Haut conseil des rapatriés. Concernant
les crédits en faveur des rapatriés, je vous rappelle,
Monsieur Mesquida, qu'en 1987, Jacques Chirac proposait au Parlement
de voter une loi d'indemnisation : 30 milliards de francs avaient
été prévus. En 1994, la loi Romani reconnaissait
les sacrifices des harkis et mettait en place un plan sur cinq ans
pour lequel 2,5 milliards de francs avaient été engagés.
Mais comment oublier qu'entre 1997 et 2001, les crédits consacrés
aux rapatriés diminuaient de 35 % alors que la France se
trouvait dans une période de croissance économique
? Depuis 2002, les crédits ont progressé de 33 %.La
question de ce qu'il est convenu d'appeler l'article 46 a été
abordée notamment par plusieurs d'entre vous. Le Gouvernement
souhaite que la solidarité nationale s'exprime pour réparer
l'injustice née de l'application des lois de 1970 et 1978.
Ces législations prévoyaient en effet des remboursements
anticipés de prêts de réinstallation prélevés
sur les certificats d'indemnisation. Or, certains prêts ont
été effacés en 1986, d'autres non. MM. Kert
et Douste-Blazy ont évoqué les personnes qui, ayant
dû s'exiler en raison de leur action politique en Algérie,
ont quitté leur entreprise ou leur métier ; elles
n'ont pu bénéficier des dispositions prévues
dans la loi du 3 décembre 1982 pour la reconstitution des
carrières des agents du secteur public. Il me paraîtrait
normal que ces rapatriés puissent recevoir aujourd'hui une
compensation qui améliorerait leurs retraites. En ce qui
concerne les médecins rapatriés, un accord est intervenu
entre les pouvoirs publics et la direction de la sécurité
sociale pour leur permettre de racheter les cotisations de retraite
correspondant aux années d'exercice en Algérie. MM.
Grand, Bapt et Liberti m'ont interrogé sur les difficultés
liées au fonctionnement de la CNAIR. Je rappelle que ce dispositif
a été mis en place en 1999 pour prendre la succession
de commissions départementales qui étaient en passe
de régler cette question, ce dossier ayant fait l'objet de
mesures successives depuis 1969. Sur les 26 000 dossiers de réinstallation
ouverts lors du rapatriement, 800 environ exigent encore d'être
traités faute d'avoir bénéficié pleinement
des dispositifs antérieurs. Force est de constater que les
mesures prises par décret il y a maintenant près de
quatre ans n'ont pas été efficaces. Jusqu'au troisième
trimestre de 2002, le nombre de dossiers traités est resté
très faible. Dès son arrivée, le Gouvernement
a pris plusieurs mesures, et tout d'abord renforcé le personnel.
Ainsi, en un an, près de 1 000 dossiers ont été
examinés contre 900 entre 1999 et 2001.Par ailleurs, un audit
a été demandé par le Premier ministre à
l'inspection générale des finances et à l'inspection
générale de l'administration. Les mesures qu'il suggère
pour accélérer de manière équitable
le dossier de la réinstallation vont être rapidement
étudiées, puis mises en oeuvre. Dès à
présent, le Gouvernement a souhaité l'inscription
de crédits significatifs en loi de finances rectificative
pour permettre une accélération des aides de l'Etat.
MM. Vercamer, Chassain, Spagnou, Salles et Giran ont interrogé
le Gouvernement sur les suites qui seront données au rapport
remis par M. Diefenbacher ainsi qu'aux propositions de lois déposées
par leurs collègues. Le rapport de M. Diefenbacher a nourri
significativement la réflexion des pouvoirs publics. Les
propositions de lois que vous avez déposées ces derniers
mois montrent tout l'intérêt que vous portez aux harkis
et aux rapatriés. Elles ont assurément contribué
au débat et alimenté la réflexion du Gouvernement.
Voilà les premières réponses que je voulais
vous apporter. S'ouvre maintenant une nouvelle étape de notre
action, qui reposera sur vos analyses et vos propositions, que nous
allons étudier en profondeur. Nous nous retrouverons ensuite
autour d'un projet de loi qui permettra de manifester la reconnaissance
et la solidarité de la nation envers nos compatriotes, qui
lui ont donné beaucoup, et parfois sans retour (Applaudissements
sur tous les bancs).La séance, suspendue à 23 heures.
© Assemblée nationale
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