Déclaration du gouvernement et débats Assemblée Nationale sur les Rapatriés Algérie le 2 décembre 2003 première partie séance de l' après midi , la deuxième partie suite
 
Assemblée nationale
COMPTE RENDU ANALYTIQUE OFFICIEL
Session ordinaire de 2003-2004 - 33ème jour de séance, 84ème séance
3ème SÉANCE DU MARDI 2 DÉCEMBRE 2003 PARTIE 1
PRÉSIDENCE de M. François BAROIN vice-président
DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT ET DÉBAT SUR LES RAPATRIÉS


L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur les rapatriés et le débat sur cette déclaration.
M. Hamlaoui Mékachéra, secrétaire d'Etat aux anciens combattants - Ce débat montre l'attention que portent le Gouvernement et la représentation nationale, en un mot la nation, à la situation des rapatriés.
Il y a quarante ans, ces hommes, ces femmes, ces enfants, quittaient leur terre natale dans des conditions dramatiques. Beaucoup d'entre nous ont pour toujours, en mémoire, des . Beaucoup d'entre nous ne peuvent évoquer leurs derniers moments sur la terre algérienne sans ressentir une émotion profonde, sans penser aux heures heureuses qui s'achevaient en tragédie, sans revoir des visages disparus de façon parfois indicible. Beaucoup d'entre nous portent encore au fond du c_ur cette épreuve qui a marqué leur vie.
Aujourd'hui, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin souhaite apporter une réponse aux questions qui demeurent, plus de quarante ans après la séparation douloureuse de la France et de l'Algérie.
Après avoir renoué le dialogue avec les rapatriés et pris la mesure de leurs attentes, avant de définir des moyens nouveaux, il nous semble légitime d'associer le Parlement à ce processus, conformément aux engagements pris par le Président de la République. Je ne vous cacherai pas l'émotion que je ressens en parlant au nom du Gouvernement sur ce sujet majeur.
Un départ précipité, une arrivée non préparée en métropole ont eu, pour des centaines de milliers de nos compatriotes, des conséquences que le temps n'a pas effacées.
Au fil des ans, de nouvelles difficultés économiques, sociales ou morales sont venues s'ajouter au déracinement.
Aujourd'hui, le moment est venu d'entendre le message des rapatriés.
Le Gouvernement s'est donné les moyens d'établir des relations de confiance avec les rapatriés d'origine européenne comme avec les harkis.
La création de la Mission interministérielle aux rapatriés a permis de donner aux rapatriés un interlocuteur et et de disposer d'un catalyseur pour l'action des pouvoirs publics.
La création du Haut conseil aux rapatriés a fourni une instance de débat, de réflexion et de proposition, qui s'est très vite imposée comme un partenaire indispensable.
Nous avons ensuite voulu qu'un état des lieux approfondi soit dressé en dehors de l'administration. Je remercie votre collègue Michel Diefenbacher qui a bien voulu accepter cette délicate mission. Grâce à son travail, nous disposons de toutes les données nécessaires pour poser un diagnostic et définir des pistes d'action.
Dans le même temps, nous avons pris des mesures d'urgence importantes.
Dès janvier 2003 l'allocation de reconnaissance aux harkis a été mise en place afin de leur assurer un complément de retraite. D'un montant de 343 €, non imposable et indexée, elle est accordée à tous les harkis ou à leurs veuves de plus de 60 ans, sans condition de ressources, contrairement à ce qui existait précédemment. Le Gouvernement vous propose de réévaluer cette allocation de 30 % dès le 1er janvier 2004.
Par ailleurs, les pensions des veuves de guerre, d'invalides et de grands invalides augmenteront de 15 points d'indice, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2004.
Le contexte économique difficile que nous traversons n'épargne évidemment pas les familles de harkis. Pour remédier autant que possible à ces difficultés nouvelles, la Mission interministérielle au rapatriés a mobilisé les préfets.
Le Premier ministre va demander aux grands employeurs publics - ministère de la défense, de l'intérieur ou de la santé notamment - de porter une attention particulière aux candidatures des jeunes issus de familles harkies. Ces administrations sont également invitées à accompagner les préparations aux concours ou les formations aux métiers qu'elles proposent.
La mémoire est une préoccupation majeure. Vous le savez, le Président de la République a pris deux décisions hautement symboliques, et tout d'abord l'institution de la journée nationale d'hommage aux harkis et aux membres des formations supplétives et assimilées. Désormais, tous les 25 septembre, la nation salue la mémoire de ces combattants valeureux.
L'institution d'une journée nationale d'hommage aux « morts pour la France » de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie est également une décision dont les rapatriés ont mesuré l'importance. Vendredi prochain, à Paris et dans tout le pays, nous nous souviendrons de ceux qui sont tombés au champ d'honneur pendant ces sombres années.
Cette politique ne doit pas faire oublier les efforts consentis par la nation dans le passé. Le rapport de votre collègue Diefenbacher fait le point sur la succession des mesures prises.
Passée l'urgence de la réinstallation, à laquelle la France a consacrée en 1963 plus de 4,5 milliards d'euros, soit 5 % du budget total d'alors, il est vrai que les politiques envers les rapatriés ont tardé à se mettre en oeuvre. Les premières mesures d'indemnisation ne furent prises qu'en 1970, avec une contribution nationale à l'indemnisation des Français rapatriés du Maroc, de Tunisie et d'Algérie.
Les lois de 1978 et 1987 apportèrent ensuite des compléments d'indemnisation.
Parmi les rapatriés, une catégorie a été trop longtemps oubliée par l'Histoire : les harkis (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).
Leur engagement au service de la France, la tragédie qu'ils ont traversée, leur abandon, leur détresse morale ont été longtemps ignorés de la communauté nationale. Les familles ont souffert de l'isolement et des conditions de vie qui leur ont été réservées. Leur insertion dans le tissu économique et social n'en a été que plus difficile.
Les harkis bénéficièrent d'une première mesure spécifique d'indemnisation avec la loi de 1987 déposée par le gouvernement Chirac, vingt-cinq ans après leur arrivée en métropole.
La loi Romani du 11 juin 1994, votée à l'unanimité par votre assemblée, exprima enfin, officiellement, la reconnaissance de la République française à leur égard. C'est d'ailleurs l'article premier de cette loi qui a été gravé sur les plaques apposées aux Invalides et dans 27 autres sites, à la demande du Président de la République, lors de la première journée d'hommage du 25 septembre 2001.
Cette reconnaissance a redonné de la fierté à de nombreux enfants et petits-enfants de harkis ; elle a parfois permis de resserrer des liens familiaux distendus entre des pères et des enfants séparés par l'Histoire.
Des mesures spécifiques d'indemnisation et de solidarité ont été prises. Le plan de cinq ans prévu dans la loi de 1994 s'est traduit par un effort financier de 2,6 milliards de francs.
Depuis la loi Romani, plus de 20 000 enfants issus de familles de harkis ont pu trouver ou retrouver le chemin de l'emploi.
Le débat qui nous réunit aujourd'hui est une nouvelle étape importante pour les rapatriés. Il n'est pas fréquent que leurs aspirations, leurs souffrances, leur situation, soient évoquées aussi solennellement.
M. Guy Teissier - C'est important, en effet.
M. le Secrétaire d'Etat - Ce débat est également important parce qu'à l'issue de notre réflexion commune, le Gouvernement entend prendre des mesures concrètes.
M. Guy Teissier et plusieurs députés UMP - Très bien.
M. le Secrétaire d'Etat - Le temps est venu de reconnaître de façon apaisée l'oeuvre accomplie par la France au-delà des mers.
Notre pays peut et doit être fier de ses pionniers et de ses combattants. Sur les terres d'Asie ou d'Afrique, ils ont grandement contribué au développement agricole et économique d'immenses territoires. Ils ont contribué à ancrer les valeurs républicaines d'égalité et de démocratie.
Ce patrimoine, cette histoire, cette culture et ces traditions que portent les rapatriés, doivent être mieux connus, notamment des jeunes générations.
L'Etat a donc décidé de s'associer au projet de Mémorial national de l'outre-mer conçu à l'initiative du maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin.
Plusieurs députés UMP - Très bien.
M. le Secrétaire d'Etat - Il présentera l'oeuvre de la France dans tous ses territoires aujourd'hui indépendants, les richesses léguées par les rapatriés et encouragera la recherche ainsi que la préservation de la mémoire.
Nous devons également avancer sur d'autres chantiers. Je pense tant de victimes innocentes de cette guerre fratricide.
Le Gouvernement entend aussi contribuer à l'oeuvre de reconnaissance et de solidarité nationales. Un geste supplémentaire s'impose pour nos anciens combattants harkis ou pour leurs veuves. A ce titre, il convient de s'appuyer sur l'allocation de reconnaissance, que nous avons mise en place et qui leur assure des revenus complémentaires réguliers. Il faut aussi parfaire les différentes lois d'indemnisation afin de réparer les injustices qui peuvent encore subsister.
Par ailleurs, il est temps de clore avec équité le traitement des dossiers de surendettement des rapatriés (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Il faut notamment améliorer les dispositions applicables aux régimes de retraite et régler la situation du petit nombre d'entre eux qui n'ont pas pleinement bénéficié des lois d'amnistie de l'époque.
Pour que ces dispositions aient toute la portée requise, le Gouvernement déposera un projet de loi devant le Parlement dans les tout premiers mois de 2004 (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).
Mais le dispositif ne serait pas complet si je n'évoquais les jeunes générations issues de familles rapatriées car elles méritent toute notre attention. Il ne s'agit évidemment pas de les inscrire dans une logique d'assistance mais, au contraire, d'égalité des chances. Ces jeunes, quelles que soient leurs origines, doivent être fiers de l'histoire et de l'oeuvre de leurs parents. Cependant, nous devons les aider à trouver toute leur place au sein de la communauté nationale, en favorisant leur insertion économique et sociale.
Le Gouvernement s'est mobilisé, je l'ai dit, pour leur donner toutes les chances d'accéder à l'emploi. Nous nous sommes également assurés qu'ils puissent bénéficier des dispositifs particuliers destinés à favoriser l'accès à l'éducation et à lutter contre toutes les formes discriminatoires. A cet égard, le parrainage, la préparation aux concours et l'aide à la création d'entreprise doivent être privilégiés.
Toutes ces actions seront poursuivies avec le plus grand pragmatisme. S'agissant de l'emploi, chacun sait bien qu'il faut agir au plus près du terrain pour réussir. L'action résolue du Gouvernement en faveur de nos compatriotes rapatriés touche aussi bien au symbolique qu'au concret. Nous en préciserons encore les principales orientations, après vous avoir tous entendus. Mais je ne saurais conclure sans évoquer les perspectives prometteuses nées du voyage historique qu'a récemment effectué le Président de la République en Algérie. Les relations apaisées et constructives que nous voulons établir bénéficieront aussi, le Gouvernement en est convaincu, aux rapatriés de toutes origines qui en seront des acteurs à part entière (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).
M. le Président - Nous allons entendre à présent les porte-parole de nos quatre groupes.
M. Christian Kert - Un jour de 1960, ici même, une grande voix, fière de ses origines, haute par l'intelligence et respectée pour sa volonté, s'élevait pour donner au débat national une nouvelle dimension. Nous traversions alors cette période tragique où la France cherchait un destin à l'Algérie lorsque le Bachaga Boualam, vice-président de notre assemblée, s'exclama : « Etant enfant en Algérie, j'ai été à l'école communale où il y avait des enfants de toutes confessions, et Dieu sait si elles étaient nombreuses. De cette cohabitation, il m'est resté un sentiment de fraternité, né du fait que nous parlions tous la même langue : le français. Cette langue faisait notre union et ceux qui l'enseignaient le renforcèrent encore en nous parlant de la France ». Quelle résonance ont ces propos dans la France de 2003 !
A partir de 1962, la France assista à un étrange exode : des milliers de ces Français « de là-bas » revenaient au pays. On les disait tous riches, et pourtant tous ne l'étaient pas ; on les disait gais comme des Méditerranéens, et pourtant la mélancolie colorait leurs propos. A leur côté, l'étrange cohorte des harkis, qui ne demandaient peut être rien d'autre que le droit de vivre ! Sèchement contée, cette histoire paraît avoir des siècles, mais elle n'a que quarante ans. Quarante ans, c'est le temps qui sépare l'enfant de l'homme mûr ; c'est aussi le temps qui aura transformé les jeunes hommes rapatriés de l'époque, porteurs de rêves, en des sages un peu résignés, un peu amers, un peu las d'avoir tant raconté une histoire dont ils ont bien compris désormais qu'elle n'appartient plus qu'à eux. à l'ouverture des archives de la guerre d'Algérie ainsi qu'au traitement et à la place de cette histoire dans l'enseignement.
L'Etat doit faciliter et encourager les recherches des historiens afin qu'ils puissent établir avec objectivité et sérénité la vérité sur ces événements. Je sais en effet que beaucoup de rapatriés attendent encore que la vérité soit faite sur certains épisodes particulièrement dramatiques. Il est temps de rappeler la mémoire de Nous allons, Monsieur le ministre, faire ensemble le voyage à travers tout ce qu'il reste à accomplir, non pas pour guérir de leurs maux la génération de ceux qui sont « rentrés » - car celle-là ne guérira plus - mais pour vous dire ce que nous croyons juste et bon, au regard de l'histoire, pour que notre génération ait une chance de clore enfin un dossier aux multiples aspects : mémoire de l'oeuvre française en Afrique du nord, réparation matérielle et morale auprès des rapatriés, dont certains sont encore dans une situation financière difficile, parce que les choses de la vie ne se sont pas déroulées comme il aurait fallu. Et puis, reconnaissance de nos erreurs, à l'égard de ce peuple fier et courageux que nous avons longtemps, trop longtemps abandonné dans des camps, qui faisaient penser aux enfants métropolitains de l'époque qu'un harki, c'était un drôle de type avec une grande famille, qui vivait presque libre dans un lieu qui ressemblait presque à une prison.
Le groupe UMP, va le faire de façon méthodique. Une vingtaine d'entre nous vont s'exprimer. Ils le feront en développant chacun l'un des thèmes qui constituent de justes revendications. Chacun de nous va s'appliquer à vous dire ce qu'il paraît raisonnable d'obtenir de l'Etat. Ce que nous allons vous dire, nous l'avons déjà dit au Président de la République, auquel personne ne peut dénier l'intérêt qu'il a toujours porté à cette question : mes collègues vont évoquer l'indemnisation, l'application de l'article 46, la situation des réinstallés, mais aussi le sort des exilés politiques ou encore celui des retraités du public comme du privé, et, singulièrement, celui des médecins.
En ouvrant solennellement ce débat, le Gouvernement a transformé un climat de résignation en un courant d'espérance. Attention, toutefois, de ne pas décevoir l'espérance ! Réalistes - et comment ne le seraient-ils pas quarante ans après ? - les rapatriés attendent des gestes. Ils savent que tout n'est pas possible et, qu'en période économiquement tendue, il faudra, quelles que soient les solutions retenues, du temps pour les appliquer.
Mais, qu'un calendrier soit déjà arrêté, que des dates soient fixées, qu'une volonté soit affirmée, alors oui, rapatriés et harkis comprendront ensemble que la France a décidé une bonne fois pour toutes, de tourner l'ultime page de ce qui aurait pu rester comme une épopée et qui s'est transformé en tragédie.
Nous voulons corriger les injustices qui n'ont toujours pas été réparées. Le Parlement s'y emploie à sa mesure : un groupe d'études a toujours travaillé sur ce sujet, sorte d'aiguillon des consciences, tour à tour agité par des hommes de droite et de gauche, tous aussi sincères, parce que tous touchés par les détresses. C'est à l'un des nôtres, Michel Diefenbacher que vous avez confié le soin d'établir un rapport contenant constat et propositions. C'est dans cet hémicycle, espérons-le, qu'à partir de ce débat, nous pourrons ensemble établir les fondements d'une loi de synthèse, faisant en sorte que demain chacun sache à quoi il peut prétendre, ce que l'avenir apportera à sa descendance, ce qui restera inscrit dans la mémoire collective .
Nous suivrons avec une attention particulière le projet de création d'un mémorial de la France d'outre-mer à Marseille. Sur près de quatre mille mètres carrés, ce mémorial doit être conçu non dans une optique passéiste, mais avec la volonté d'aller de l'avant, d'en faire un lieu d'histoire tourné vers les jeunes générations, sans pour autant oublier la douloureuse histoire de tous les rapatriements.
C'est cela le travail de mémoire. Reste à accomplir une autre tâche, la quête de la vérité historique. Ce que veulent les rapatriés et harkis, c'est que l'on ne travestisse pas leur propre aventure. Il ne s'agit pas d'opposer une vérité à une autre, mais de rappeler que si l'oeuvre française outre-mer a pu être synonyme de conquêtes, de guerres et de sacrifices, elle correspond aussi à une grande période d'échanges, de développements techniques, économiques, culturels, médicaux.
Ce que réclament les rapatriés, c'est d'être entendus des autorités de l'éducation nationale, afin que l'enseignement dispensé dans nos écoles tienne compte de leur point de vue. Ils souhaitent être associés au débat sur la colonisation et la décolonisation, notamment lors des grandes émissions télévisées. Certains souhaitent la création d'une fondation chargée d'animer le mémorial de Marseille.
Se souvenir, expliquer, réhabiliter, affronter la vérité. Ne craignons plus de le dire quarante après : la France a commis des erreurs, a parfois manqué de courage, même s'il est facile de juger aujourd'hui, avec le recul. Nous touchons là aux dossiers les plus douloureux de l'aventure française en Afrique du nord : le sort des disparus ; officiellement, on en reconnaît 3 000, trois mille d'entre les nôtres dont les proches s'interrogent toujours sur le sort qui leur fut réservé ! Il est temps d'ouvrir ce dossier pour aider ces familles à accomplir leur travail de deuil. Nous touchons là également aux manifestations de juillet 1962, à Oran, et au drame de la rue d'Isly. Ghislaine Grès avait 10 ans, Renée Ferrandis en avait 22, Gaspard Sanchis en avait 64 ; ils font partie de la centaine de Français de tous âges et de toutes conditions, tués ce lundi 26 mars 1962, rue d'Isly par des balles françaises dont personne, pendant douze longues et terribles minutes, ne parvint à arrêter le tir.
Ces dossiers-là, nous ne pouvons plus les laisser enfouis. Si l'oeuvre de la France reste porteuse de succès et d'espérances, il nous faut dire que l'on ne pourra tourner la page qu'en acceptant de regarder la vérité en face. A cet effet, il faut un comité de personnalités à l'objectivité inattaquable qui recherche et énonce la - ou les - vérité(s). Quarante ans après, les rapatriés sont capables de les entendre.
Et puis, dernière grande injustice de l'histoire : le sort réservé aux harkis. Ce n'est pas un hasard si, au nom de l'UMP, j'ai ouvert le débat par une phrase du Bachaga Saïd Boualam. Près de quarante ans d'ignorance, avant que nous ne réalisions ce que nous leur devions et ce que nous avons laissé faire. Quarante années de quasi abandon avant qu'enfin la nation fasse un premier geste dans la cour des Invalides. Mes collègues diront tout à l'heure les mesures concrètes que nous réclamons pour eux, sachant qu'il nous faut penser d'abord à la première génération des harkis qui, lentement, disparaît, à leurs veuves, aux femmes divorcées, mais qu'il nous faut aussi regarder du côté des deux générations suivantes, qui montent et qui ont droit à ce que nous appelons la « discrimination positive » et que votre collègue du Gouvernement, Mme Tokia Saïfi qualifie de « mise à niveau républicaine ».
Comme le mot « honneur », le mot « harkis » commence par un h. C'est une juste similitude. Nous devrons veiller à ce que nous ne confondions plus le harki avec l'immigré qui ne partage peut-être pas cet amour particulier pour la France qui fait la marque des rapatriés algériens. Et nous devrons impérativement veiller à ce que plus jamais sur notre sol, quiconque vienne dire aux harkis qu'ils étaient des ennemis de leur terre d'origine.
L'outre-mer peut redevenir une aventure culturelle unique. Monsieur le Secrétaire d'Etat, vous avez promis tout à l'heure que le Gouvernement répondrait aux attentes des rapatriés. Indiquez-nous, je vous prie, dans votre réponse quelles sont les mesures envisagées dans la loi que vous avez annoncée et leur échéancier (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
M. Kléber Mesquida - Quarante et un ans après la fin de la guerre d'Algérie, ce Gouvernement a souhaité organiser un débat sur les rapatriés. Depuis sa prise de fonctions, il n'a su qu'installer un Haut conseil des rapatriés en décembre 2002 et une mission interministérielle aux rapatriés en mai 2003... et diminuer dans le budget pour 2004 de six millions d'euros les crédits d'intervention des préfectures et de la mission interministérielle.
M. Richard Mallié - Et vous, qu'aviez-vous fait ?
M. Kléber Mesquida - On peut donc s'interroger sur les suites qui seront réservées à ce débat. Le Gouvernement est-il décidé à appuyer les propositions des parlementaires pour présenter un ultime projet de loi répondant à toutes les attentes des rapatriés et des harkis, à dégager les moyens nécessaires, dans des délais acceptables ? Je me demande plutôt si, à l'approche des échéances électorales de mars prochain...
Plusieurs députés UMP - Scandaleux !
M. Kléber Mesquida - ...le Gouvernement ne cherche pas plutôt à apaiser les rancoeurs qui s'accumulent chez les rapatriés, comme l'a bien montré le rapport établi, à votre demande, par notre collègue Michel Diefenbacher, chargé de dresser l'état des lieux et de faire des propositions. Nous jugerons aux actes, les communautés rapatriée et harkie aussi...
M. Richard Mallié - Elles ont jugé des vôtres !
M. Kléber Mesquida - En ouvrant ce débat, il faut d'abord rappeler ce que fut la guerre d'Algérie, cette guerre qui n'avait jamais voulu dire son nom et ne fut reconnue comme telle que par la loi du 18 octobre guerre qui n'avait jamais voulu dire son nom et ne fut reconnue comme telle que par la loi du 18 octobre 1999.
1954-1962 : huit années d'une guerre sanglante, qui a laissé sur des millions de Français des cicatrices ineffaçables. Au cours de cette guerre, comme après, chacun d'entre nous a réagi selon ses opinions politiques, ses origines sociales, ses convictions philosophiques, ses attaches matérielles ou affectives. Quarante et un ans après, le temps ayant fait oeuvre pacificatrice, nous pouvons avoir une vision objective de l'histoire, regarder en face toutes les vérités et n'en masquer aucune, car la vérité appartient à l'histoire. Vérité pour mieux comprendre les violences, le désarroi, la tristesse, mais aussi les blessures, les douleurs et les conséquences de cet exode forcé.
Les historiens se demandent si la guerre d'Algérie a éclaté le 1er novembre 1954 à 1 heure 15 du matin alors que plusieurs attentats faisaient les premiers morts de cette Toussaint rouge, ou si ce n'était là que la résurgence du soulèvement de mai 1945, rapidement étouffé dans l'oeuf par une vive répression. Pour ma part, je sais qu'un petit garçon de 9 ans, devenu parlementaire, a vu ses grands-parents, Claire et Joseph Yvorra, sauvagement et lâchement attaqués dans une ferme reculée une nuit de cet automne 1954. Comme lui, au cours de ces huit années, le peuple d'Algérie s'est trouvé écartelé entre la violente réalité de ce que l'on nommait alors pudiquement « les événements » et les propos des dirigeants français d'alors. En 1954, le président du Conseil Pierre Mendès-France déclarait : « L'Algérie, c'est la France » et le général de Gaulle en 1958, à la foule qu'il remerciait de lui avoir permis de revenir au pouvoir : « Tous Français, de Dunkerque à Tamanrasset ». Le chef de la France libre, l'auteur de l'appel du 18 juin 1940 avait alors redonné confiance à l'armée, aux soldats du contingent et au peuple d'Algérie. Français et Musulmans, au coude à coude, dans des convois en liesse plébiscitaient de Gaulle. Ces descendants des Phéniciens, des Byzantins, des Arabes, des Berbères, des Turcs, mais aussi de Français transportés en 1851, de pieds-noirs, d'émigrés espagnols, italiens, maltais, scandaient le nom du Général sans se douter que, quatre ans plus tard, après avoir fait couler beaucoup trop de sang, l'épilogue serait douleur, haine et déshonneur. Ils ont été les victimes d'une tromperie d'Etat.
Quarante et un ans après la fin de cette guerre que certains ressentent comme un abandon et un reniement, alors que d'autres la considèrent comme une issue logique de l'histoire, les Français rapatriés d'Algérie, pieds-noirs ou harkis, attendent toujours une véritable et totale reconnaissance de sa responsabilité par l'Etat. Il est temps que la France reconnaisse les préjudices qu'ils ont subis ou qu'elle leur a laissé subir sans garantir leur protection, et que les spoliations soient réparées. Une loi doit définitivement et solennellement reconnaître les responsabilités de la France et assurer une réparation morale et matérielle en complétant les dispositions d'indemnisation, en corrigeant les inégalités, en comblant les lacunes et en réparant les oublis.
Depuis 1962, tous les gouvernements se sont réfugiés derrière l'Etat algérien et les accords d'Evian. Pourtant, une partie de la France a bien été abandonnée en violation de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme qui dispose que la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. Certes, des lois d'indemnisation, bien tardives, ont permis de couvrir une partie des pertes subies en capital, mais l'Etat n'a pas rempli la totalité de ses obligations. De plus, ces lois, d'application différée et étalée dans le temps, ont entraîné une privation de jouissance qui n'a jamais été prise en compte. Les associations de rapatriés estiment que l'Etat pourrait réparer ces préjudices en appliquant un coefficient correcteur équitable et loyal aux sommes antérieurement versées.
Il conviendra aussi d'évoquer le cas particulier des ventes forcées. En effet, certains de nos compatriotes se sont résignés à brader leur bien dans un climat de terreur ou de menace. Mais toutes les ventes intervenues après les accords d'Evian se sont réalisées dans des conditions pénalisantes pour les vendeurs.
Il faudra également examiner le cas des ayants droit français de rapatriés étrangers. Ces personnes, pour la plupart venues d'Espagne ou d'Italie, avaient conservé leur nationalité d'origine, par ignorance ou par négligence. Toutes les lois votées à ce jour les ont exclues des dispositifs d'indemnisation. De ce fait, leurs enfants, pourtant Français, ont été spoliés de leur patrimoine sans aucun recours possible. Là également, une réparation s'impose.
S'agissant du remboursement des prêts, l'application de l'article 46 de la loi du 15 juillet 1970 a introduit une iniquité entre les rapatriés bénéficiaires d'une indemnité qui a été ponctionnée pour rembourser les prêts consentis et ceux qui ont pu bénéficier de l'annulation de leurs dettes. L'engagement pris, notamment lors des campagnes électorales, d'abroger cet article 46, doit être tenu.
Pour ce qui est de la situation des harkis, l'Etat doit renforcer les aides et les moyens mis en place, notamment pour l'acquisition d'un logement, la revalorisation et le versement global de l'indemnisation forfaitaire, mais aussi prendre des mesures d'envergure pour les deuxième et troisième générations. Le président Jacques Chirac n'a-t-il pas reconnu l'indemnisation des harkis comme une dette d'honneur ?
Rapatriés et harkis doivent être considérés comme des victimes de la guerre reconnue par la loi du 18 octobre 1999 et la législation sur les dommages causés par les deux guerres mondiales doit leur être transposée.
Ayons la lucidité de dire que les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes et qu'il était inéluctable que la France mette fin à sa présence tutélaire en Algérie. Mais elle avait aussi, et surtout, le devoir de préserver et protéger les Français d'Algérie, de toutes confessions. La France se serait grandie si, dès 1958, au lieu de tenir des propos démagogiques et trompeurs, elle avait formé à une gestion commune les futurs dirigeants de ce pays, nord-africains ou européens. Cela aurait évité les drames et les bains de sang d'hier, et peut-être ceux d'aujourd'hui dans ce pays. L'Afrique du Sud a montré, par la suite, qu'il existait des solutions de coexistence pacifique et de cogestion.
Au-delà, nous devons reconnaître les aspects positifs de l'action civilisatrice menée par l'ensemble de nos concitoyens ayant vécu en Algérie et rendre hommage au courage et à la ténacité de cette partie du peuple de France que la France a contrainte, en abandonnant sa protection, à fuir la terre d'Algérie dans des circonstances tragiques, à quitter définitivement ce sol d'Afrique du Nord, devenu terre natale depuis plusieurs générations. Il faut reconnaître l'impréparation de leur accueil en métropole, lequel a eu lieu dans l'indifférence et, parfois, dans l'hostilité. Quarante et un ans après, la France doit reconnaître sa responsabilité dans les massacres, les tortures, les enlèvements.
Les accords d'Evian du 18 mars 1962 imposaient un cessez-le-feu. Pourtant combien de sang a encore coulé après cette date ! Dès le 26 mars 1962, alors qu'une foule de civils manifestait pacifiquement rue d'Isly à Alger, l'armée française ouvrait le feu sans sommation. La fusillade dura douze interminables minutes et fit plus de 60 morts et 200 blessés. Parmi la trop longue liste des victimes civiles, de toutes confessions : Albert Blumhofer, Tayeb Chouider, Charles Ciavaldin, Renée Ferrandis, Abdallah Ladjadji, Jeannine Mesquida, Domingo Puig Server, Elie Zelphati. Noms dont la seule consonance montre le creuset de nationalité qu'était le peuple d'Algérie.
Il faudra aussi évoquer le génocide. Pis encore que de les abandonner, la France a entravé le sauvetage des harkis. C'est ainsi que, par un télégramme du 16 mai 1962 émanant du ministre des armées, Pierre Messmer demande des sanctions contre les officiers qui avaient désobéi et étaient à l'origine du rapatriement des harkis, dont l'installation en métropole avait été interdite. 150 000 d'entre eux, désarmés et sans protection, furent arrêtés par l'armée algérienne, condamnés au mieux aux travaux forcés, ou exécutés. Les historiens estiment à 70 000 et, certainement davantage, le nombre de victimes, souvent tuées dans des conditions horribles. Ceux qui purent se faire rapatrier furent parqués dans des camps entourés de fils de fer barbelés et soumis à un régime disciplinaire. A ces Français par le sang versé, nous devons aussi réparation.
Alors que tous les Français savent que le massacre d'Ouradour a fait 642 victimes, combien ont conscience que la France n'a pas apporté sa protection et a laissé massacrer des dizaines de milliers de ses ressortissants, toutes confessions confondues ?
Etant donné le temps de parole qui m'était imparti, je n'ai pu qu'évoquer quelques pistes. Il faut adopter une ultime loi qui reconnaîtrait la responsabilité de la France qui n'a pas protégé ses ressortissants des massacres, des enlèvements, des disparitions qui ont suivi le cessez-le-feu. Cette reconnaissance doit s'appuyer sur les conclusions d'une commission d'enquête qui mettrait à jour tous les dysfonctionnements et leurs conséquences. Cette loi devrait aussi comporter un volet sur l'indemnisation matérielle et morale. Alors les rapatriés et les harkis sauront que justice leur a été rendue. Alors la France aura véritablement rempli son devoir de reconnaissance, de mémoire et de réparation envers ses enfants (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).
M. Francis Vercamer - Le groupe UDF salue l'initiative prise par le Gouvernement d'organiser un débat, très attendu par nos amis harkis. Ce n'est pas le premier. J'espère sincèrement que ce sera le dernier. Cela signifiera qu'il aura débouché sur une solution consensuelle et satisfaisante. Le temps n'est en effet plus aux discours, mais aux décisions et aux actes.
Depuis plus de quatre décennies, aucune loi n'a vraiment résolu le problème douloureux de la communauté harkie. Nombre de nos concitoyens ignorent même le problème, l'histoire de la guerre d'Algérie, n'ayant jamais figuré dans les manuels scolaires, encore moins celle de la participation des harkis, sujet tabou qui, encore aujourd'hui, reste difficile à traiter tant il demeure sensible.
Le temps seul ne peut effacer les blessures de l'histoire. Il reste que les hommes de cette communauté se sont battus pour leur patrie, sous son drapeau, sur tous les fronts où la France était engagée durant la première guerre mondiale, la seconde, la guerre d'Indochine et la guerre d'Algérie.
Nombreux sont parmi eux les héros anonymes ; je pense en particulier à ceux qui se sont sacrifiés sur les pentes du Monte Cassino.
Selon les accords d'Evian, les harkis devaient pouvoir rejoindre la métropole ou rester, en toute sécurité, sur la terre algérienne. En réalité, ceux qui ont choisi de rester, militaires ou civils, ont été abandonnés à leur sort et souvent massacrés. Ceux qui ont quitté l'Algérie ont, hélas, trouvé sur notre sol, en lieu et place de l'accueil amical et reconnaissant qu'ils méritaient, au mieux l'indifférence, au pire le racisme. Ils ont souvent été traités comme des parias, parqués dans des bidonvilles, cachés derrière des murs, emprisonnés derrière des grillages, dans des camps où, parfois, s'étaient déroulés d'autres moments tragiques de notre histoire...
Peu a été fait pour les aider à vivre dignement, à s'adapter rapidement. Je ne parle pas d'intégration puisqu'il s'agit de Français qui avaient le sentiment de venir simplement d'une région française d'outre-mer pour s'installer en métropole. Au-delà de conditions de vie terriblement difficiles, ils ont subi des humiliations au quotidien : couvre-feux, signatures exigées au bas de documents que souvent ils ne pouvaient pas déchiffrer, manne publique chichement distribuée.
Je suis l'élu d'une agglomération, celle de Roubaix-Tourcoing, où cette communauté est importante. Ces gens du soleil sont venus travailler sous nos ciels que l'on dit souvent gris parce que leur seule chance, à l'époque, a été le manque de main-d'œuvre pour les métiers pénibles, en particulier dans les industries minières, textiles et sidérurgiques. Les harkis ont assumé les tâches les plus ingrates, les plus usantes, tout comme les étrangers ou les immigrés. Vivant d'abord en vase clos, ils ont peu à peu fait leur chemin, à force de courage et de volonté.
Leurs enfants ont subi, à leur tour, d'autres humiliations. Ils n'ont jamais eu le sentiment d'être reconnus comme des Français à part entière. Aucun plan global n'a été mis en oeuvre pour les aider, notamment dans l'école de la République, qui aurait pourtant dû mettre les bouchées doubles pour ces déracinés. Ils ont été rejetés de tous côtés, traités comme des étrangers par les uns, comme des traîtres par les autres, et n'ont pu trouver leur juste place dans la société. Ils ne savaient plus qui ils étaient, avaient perdu tous leurs repères. Ils ont connu une vie de galère. Quand on les fréquente, on comprend leur rancoeur, leurs déceptions, leurs ressentiments ; ils aiment plus que tout la France, mais nombre d'entre eux sont aigris car ils ont perdu leur confiance en leur pays. Ils ont vu leurs parents vieillir ou même mourir sans avoir été reconnus.
Les gouvernements successifs ne se sont penchés sur leur sort que tardivement et seulement de façon ponctuelle. Les lois de juillet 1987 et de juin 1994 prises à l'initiative de Jacques Chirac et d'Edouard Balladur ont fait avancer la réparation financière des dommages subis. Malheureusement, ces mesures n'ont plus été appliquées après 1997.
Plus récemment, le Président de la République a fait adopter la date du 25 septembre pour rendre un hommage annuel aux harkis et rappeler officiellement les services rendus à notre pays et les sacrifices consentis par cette communauté. La France reconnaît enfin, publiquement, qu'elle n'a pas su sauver ses enfants.
Par ailleurs, un mémorial devrait prochainement être érigé pour rappeler l'histoire de ces grands oubliés de la guerre d'Algérie et symboliser notre reconnaissance.
Mais ces gestes, malgré leur importance, ne sont pas suffisants pour cicatriser la plaie. Nous devons prendre les mesures que nos amis attendent qui leur permettront de devenir enfin des citoyens français à part entière. J'ai déposé avec mes collègues du groupe UDF une proposition de loi en ce sens. Rédigée avec l'aide d'associations et de personnalités de la communauté harkie, elle comporte quatre axes essentiels et indissociables.
Tout d'abord, et prioritairement, le devoir de mémoire.
Il s'agit de faire connaître à nos compatriotes l'histoire de la communauté harkie. Il faut commencer dès l'école primaire ou le collège, car l'ignorance provoque souvent l'intolérance ; c'est d'autant plus vrai dans des régions ou des agglomérations dont la population est riche d'une multiplicité d'origines.
Au-delà de l'enseignement scolaire, qui doit être serein, clair et précis, la communication passe par des expositions itinérantes, des documentaires, des débats, des reportages... Mais il y faut une véritable volonté politique.
Deuxième axe : la réparation des dommages subis.
L'indemnisation de la première génération - harkis, Moghaznis ou personnels des diverses formations supplétives - est la priorité. Une allocation forfaitaire, versée très rapidement et en une seule fois, compensera les pertes financières qu'ils ont subies. Par ailleurs, ceux d'entre eux qui ont acquis, à force de courage et de détermination une résidence principale, devraient pouvoir accéder aux aides à l'amélioration.
En ce qui concerne la deuxième génération, il faut distinguer ceux qui ont connu avec leurs parents la fuite précipitée, l'angoisse, les bateaux bondés, l'arrivée dans les camps, qui ont droit eux aussi à une indemnisation digne, mais qui pourrait faire l'objet d'un étalement dans le temps. Les autres, un peu plus jeunes, ont connu, eux, le rejet, l'échec scolaire, le chômage, l'impossibilité de trouver un logement... autant de problèmes qui les ont conduits parfois à des dérives. Il faut leur donner une deuxième chance, sous forme d'aides à l'accession à la propriété ou d'une compensation financière des années de chômage ou de précarité.
Troisième axe : l'insertion des jeunes de la deuxième génération.
Il faut commencer par réunir autour d'une même table tous les acteurs locaux de l'insertion, afin d'établir pour chacun des jeunes un plan individuel. Dans le même temps, il convient d'inciter, par des exonérations de cotisations, les employeurs du secteur privé à embaucher ces jeunes en contrat à durée indéterminée. A ceux qui ont déjà un emploi, il faut proposer un parcours de qualification, voire la possibilité d'une réorientation professionnelle.
Il faut aussi favoriser l'intégration dans le service public. Les collectivités territoriales doivent pouvoir accueillir dans leurs services des jeunes qui souhaitent préparer les concours de la fonction publique, en suivant une formation en alternance.
Dernier axe, enfin : la citoyenneté.
Pour se sentir citoyens français à part entière, les harkis, Moghaznis ou personnels des diverses formations supplétives ayant servi en Algérie, tout comme leurs enfants, doivent bénéficier de la libre circulation, quelle que soit leur destination. On ne peut leur refuser de retourner sur leur terre natale ou sur la terre de leurs ancêtres.
Enfin, et c'est essentiel, les personnes pratiquant le négationnisme ou le révisionnisme du drame harki doivent être sanctionnées.
Ces propositions ne sont pas exhaustives et seront, j'en suis certain, enrichies par mes collègues ; mais le groupe UDF tient à redire combien il est urgent d'agir. Nous n'avons plus le droit de décevoir une communauté qui a patienté plus de quarante ans, et dont je comprends l'exaspération. Notre proposition de loi, qui tend à réparer enfin définitivement les dommages de l'histoire, correspond dans ses grandes lignes aux promesses qui ont été faites lors de la campagne présidentielle. Vous avez, Monsieur le ministre, annoncé un projet de loi pour début 2004. J'espère qu'ainsi, les harkis se sentiront enfin des Français à part entière (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).
M. François Liberti - L'indépendance de l'Algérie fut proclamée le 3 juillet 1962, après huit ans de guerre et cent trente-deux années de colonisation.
Entre avril et juillet 1962, plus d'un million d'hommes, de femmes et d'enfants quittaient leur terre abandonnant tout ce qui faisait leur vie. La majorité d'entre eux y vivait depuis quatre ou cinq générations. Cette population a accompli sur des terres ingrates un travail considérable.
Sur un million de Français d'origine européenne, on comptait 22 000 agriculteurs, dont 13 000 possédaient moins de 17 hectares, et 450 seulement plus de 1 000 hectares. Le reste de la population était composé principalement d'ouvriers, de pêcheurs, de fonctionnaires, de professions libérales. Voilà comment des centaines de milliers de personnes sont devenues en France des dossiers classés dans la rubrique « Rapatriés », elles qui luttent depuis quarante et un ans pour obtenir réparation des séquelles de la guerre d'Algérie. Cette réparation ne répondrait pas pleinement au préjudice moral et matériel subi, mais satisferait au moins à l'exigence d'égalité.
Les victimes de la guerre d'Algérie sont d'abord des Algériens eux-mêmes, comme Larbi Ben M'hidi, pendu par les commandos d'Aussaresses. C'est encore Maurice Audin, mort sous la torture, ce sont les soldats du contingent tombés au combat, les victimes civiles de tous bords, européens ou harkis, qui ont enduré un véritable drame, avec les blessures physiques, l'exode en France, la soupe populaire, les centres d'accueil peu accueillants, les lits de camp dans des garages, l'humiliation et le mépris, l'injustice éprouvée chaque jour.
Ceux-là attendent toujours de la France qu'elle condamne la politique qui a plongé un peuple entier dans le malheur. La France a un devoir de mémoire envers les Français d'Afrique du Nord, quelle que soit leur confession, l'Etat doit reconnaissance à ces deux millions de personnes des malheurs subis durant huit années de guerre.
A la différence du Maroc et de la Tunisie, l'aspiration légitime du peuple algérien à l'indépendance s'est violemment heurtée à des intérêts économiques, notamment pétroliers, et à des intérêts stratégiques. L'évolution de la société, dans toute sa dimension humaine, a été totalement ignorée.
Ce dont ont besoin toutes les victimes de la guerre d'Algérie, ce n'est pas de campagnes de haines recuites, c'est de vérités et de droits effectivement reconnus. La complexité de l'histoire de la colonisation et du développement de l'Algérie comme nation, l'examen des décisions politiques prises par les gouvernements français successifs, nous conduisent à proposer qu'un collectif indépendant d'historiens travaille sur cette histoire dans toutes ses dimensions, et en toute objectivité.
Parmi les vérités, la première consiste à reconnaître que la guerre n'aurait pas dû avoir lieu, et que ceux qui l'ont condamnée dès le départ avaient raison. Il est également impératif d'ouvrir les archives relatives au conflit, et celles des périodes qui ont précédé et suivi. Tout n'était pas blanc ou noir, des clivages existaient au sein de la population d'origine européenne comme de la société algérienne. Une même famille pouvait compter à la fois des gens de bonne volonté et des extrémistes, voire des racistes.
2003 a marqué une nouvelle étape, avec la célébration de l'année de l'Algérie. La mémoire douloureuse et respectable de ceux qui payèrent le prix d'une histoire mêlée de sang, d'oppression et de haine est plus que jamais d'actualité. La raison d'Etat a conduit la France, naguère, à ne pas assumer ses responsabilités envers les Français d'Algérie, qui sont entrés en France dans un désordre tragique et ont été accueillis le plus souvent dans l'indifférence, l'agacement, parfois l'hostilité.
M. Jean-Pierre Grand - Surtout à Marseille !
M. François Liberti - Quarante et un ans ont passé. Beaucoup de rapatriés sont morts, d'autres ne vont pas tarder. Il est urgent pour le Gouvernement de présenter une loi de réparation, par respect pour toute une communauté et pour permettre à tant d'hommes de faire leur deuil de la guerre.
Le dossier des rapatriés d'Afrique du nord a été instruit avec beaucoup de retard depuis 1962. Les lois successives ont été parfois détournées de leurs objectifs et ont même créé des injustices. Pourtant les interventions et les questions des parlementaires communistes n'ont pas manqué.
Les échanges avec les délégations que Maxime Gremetz et moi avons reçues me laissent penser que les conditions d'indemnisation et de réinstallation ont aggravé le mécontentement, malgré quelques avancées. Avec d'autres, j'avais demandé la création d'une commission parlementaire sur la situation faite aux rapatriés, et sur les moyens de mettre un terme à ce contentieux.
M. Jean-Pierre Grand - Vous avez été au pouvoir pendant vingt ans !
M. François Liberti - Gardons à ce débat toute sa dignité !
Quarante et un ans après, le dossier n'est toujours pas réglé. Il est temps que la France assume toutes ses responsabilités.
Un million de Français de toutes confessions ont été déracinés, le plus souvent dans un complet dénuement. Or les trois lois d'indemnisation, qui, de 1970 à 1987, ont totalisé 56,4 milliards de francs courants, soit 11,22 milliards de francs de 1962, représentent au mieux 40 % de l'indemnisation due en capital. Là encore, ce sont les personnes modestes qui ont été le moins bien traitées. En dépit de ces insuffisances, le comité de liaison des associations nationales de rapatriés ne demande pas la révision des barèmes d'évaluation, mais propose d'appliquer un coefficient correcteur équitable aux sommes antérieurement liquidées. Il souhaite aussi qu'il soit pourvu aux lacunes des lois de réparation, qu'il s'agisse des règles de plafonnement, des ventes forcées ou du cas des enfants français nés d'étrangers non indemnisés. La représentation nationale doit faire en sorte d'apurer définitivement ces situations.
Le retard dans le traitement des dossiers de réinstallation frappe des personnes dans une situation morale et matérielle préoccupante. Les trois textes adoptés par le Parlement, tendant à une suspension de poursuite au profit des rapatriés et à une aide au désendettement, sont loin d'avoir tout réglé. Des centaines de dossiers demeurent en souffrance, en particulier pour de nombreux marins pêcheurs rapatriés, à Sète et dans les autres ports de la Méditerranée. Comme l'établit le rapport commandé par le Gouvernement, 503 dossiers de désendettement seraient actuellement éligibles, dont 83 ont vu leur plan d'apurement accepté et quarante auraient perçu les aides de l'Etat. Remercions notre collègue rapporteur M. Diefenbacher d'avoir fait la lumière sur ce sujet, et méditons le vieil adage selon lequel « lorsqu'on n'avance pas, on recule ».
Au train où vont les choses, et faute de personnel en suffisance, il faudra encore 41 ans pour boucler les 900 plans recensés par le rapporteur.
Cette situation de blocage a bien évidemment fait réagir les associations de rapatriés qui exigent que l'aide de l'Etat soit définie avant le démarrage de la négociation entre rapatriés et créanciers. Ainsi, les plans d'apurement pourraient aboutir plus rapidement. Le taux de participation de l'Etat à la prise en charge des dettes du réinstallé doit être suffisamment incitatif. Il doit aussi tenir compte des réalités propres à certains dossiers.
L'auteur du rapport aborde ces questions, mais les principales associations concernées souhaitent un effacement de 50 %, non limité en volume, pour le passif général et de 100 % pour le passif social non rémissible par les caisses. Cette disposition aurait l'avantage d'éviter les effets de seuil, souvent désastreux.
On pourrait prévoir deux exceptions. D'une part, pour les dettes égales ou supérieures à un million d'euros, les dossiers qui feraient l'objet d'une expertise particulière. La part de l'intervention de l'Etat serait modulée en fonction de cette expertise. Pour les dossiers à dominante sociale, d'un passif de 230 000 € maximum, la subvention de l'Etat pourrait excéder le taux forfaitaire de 50 %.
M. Maxime Gremetz - C'est une proposition intelligente.
M. François Liberti - Compte tenu des délais de traitement des dossiers, les dettes à prendre en compte doivent être celles recensées au 31 décembre 2003 et non plus au 31 décembre 1998. C'est le prix à payer pour les retards et les blocages qui ont contribué à aggraver l'endettement.
Selon les informations qui sont en ma possession, un peu plus d'un millier de réinstallés dans une profession non salariée ont fait appel au CODAIR.
M. Jean-Pierre Grand - Vous ne manquez pas de culot ! Vous souteniez le FLN et maintenant vous vous occupez de l'indemnisation.
M. François Liberti - Respectez ce débat qui se déroule dans la dignité.
M. Jean-Pierre Grand - La dignité, pour un communiste, serait de ne pas parler dans ce débat !
M. le Président - Je vous en prie. Nous entendons un orateur par groupe.
M. François Liberti - A ce jour, quelques centaines de dossiers restent à traiter. Il s'agit des plus complexes.
On ne peut ignorer la question des disparus. Leur nombre est estimé à plus de 3000. Cette estimation est admise par les autorités algériennes et françaises, même si une enquête de la Croix rouge internationale, réalisée de mars à septembre 1963, laisse supposer que le chiffre a été minoré. L'auteur du rapport propose une enquête sur le sort des disparus par un comité des sages comprenant des magistrats, un représentant du Haut commissariat aux réfugiés de l'ONU et une personnalité qualifiée, désignée par le ministre chargé des rapatriés. Mais on ne peut exclure les familles de cette instance et je partage le souci du Comité de liaison des associations nationales de rapatriés qui considère que le comité des sages proposé par le rapport n'aura ni le poids ni l'efficacité escomptés.
Mieux vaudrait créer une commission paritaire au sein de laquelle on ferait place aux familles. Le Comité de liaison propose aussi d'assouplir le cinquième alinéa de l'article 7 de la loi du 3 janvier 1979, pour permettre aux familles d'avoir accès aux archives.
Ce débat est très attendu par la communauté des rapatriés. Il doit être utile. L'histoire des guerres s'arrête trop souvent au
M. Jean-Pierre Grand - Il faut être communiste pour avoir autant d'estomac !
M. le Président - Je vous demande de garder le silence. Ce débat doit conserver sa dignité. Chacun a pu s'exprimer.
M. Guy Teissier, président de la commission de la défense - Il y a quarante ans, se tournait une page de notre histoire. La France a oeuvré plus d'un siècle pour mettre en valeur des terres arides, de l'autre côté de la Méditerranée. Cette histoire a été faite de passion et d'amour, de blessures et de souffrances. Elle a marqué, elle marque encore la nation française. Ceux qui ont vécu ces années ne peuvent évoquer sans émotion les liens entre la France et l'Afrique du Nord. Entre 1952 et 1962, dix ans de lutte ont troublé les consciences, déchiré notre peuple, contraint des centaines de milliers de nos concitoyens à abandonner une terre où ils étaient nés, où se trouvaient les tombes de leurs aïeux et à laquelle ils étaient charnellement attachés.
Nous savons les deuils cruels et les déchirures que les combats ont engendrés. Soldats de métier, appelés du contingent, Français musulmans ont défendu côte à côte les mêmes idéaux, ceux de la République. De cette expérience, nul n'est revenu indemne. La vie de ces jeunes gens s'en est trouvée bouleversée à jamais. Chacun a été marqué par la rudesse des engagements, le spectacle de la souffrance et de la mort, l'isolement et le dépaysement.
Nous ne devons pas oublier les sacrifices consentis par ces Français, ni leur courage. Ces évènements furent tragiques, avec cette guerre qui longtemps ne voulut pas dire son nom, avec ses destructions, ses souffrances, ses victimes, et enfin l'exode de plus d'un million de personnes. Sur le port de Marseille, nous n'étions pas nombreux à les accueillir, quand d'autres déclaraient que « sur le fumier de l'Algérie prolifère le champignon du fascisme ».
Cet exode, nous ne saurions l'oublier.
M. Maxime Gremetz - Nous n'avons rien oublié.
M. le Président de la commission - Nous non plus.
Nous ne saurions oublier ces Français pieds-noirs qui furent des pionniers, des bâtisseurs, des administrateurs dévoués qui mirent leur ardeur, leurs talents et leur c_ur à construire des routes et des villages, à ouvrir des écoles, des dispensaires, des hôpitaux et à faire produire à la terre ce qu'elle avait de meilleur. Le soldat, l'administrateur, le médecin, le maître d'école, l'ingénieur et l'ouvrier ont transformé un immense territoire aux trois quarts désert en champs fertiles et en cités prospères.
M. Maxime Gremetz - Oh ! Ils n'ont pas tout inventé...
M. le Président de la commission - Taisez-vous ! Nous avons écouté votre camarade. A votre tour, vous m'écoutez (Interruptions sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste). Ne me faites pas le coup de la victime !
Plus de quarante ans après l'indépendance de l'Algérie, l'attente des rapatriés et des harkis reste vive. Nous la comprenons. Pour tous ces rapatriés, il a fallu tout quitter, et avec les enfants tout recommencer, dans des conditions d'accueil qui n'ont pas honoré la République. Ces Français de là-bas ont été deux fois meurtris : chassés de la terre qui les avait vus naître, ils se sont retrouvés étrangers dans leur propre pays.
Parce qu'il attache une importance particulière au sort de ces compatriotes, le Gouvernement souhaite parachever l'effort de solidarité nationale. C'est pourquoi le Premier ministre a confié, dans un premier temps, à notre collègue Michel Diefenbacher la mission de définir les choix qui devront être faits en ce domaine.
Notre assemblée est aujourd'hui réunie pour débattre de la politique de la nation envers les rapatriés. Le rapport Diefenbacher qui fait une analyse précise des dispositifs de solidarité en vigueur, avance de multiples propositions dont il faut souligner la rigueur et le réalisme. Il est possible d'en résumer l'ambition en deux mots : réparer et rassembler. L'effort de solidarité nationale n'a pas été négligeable. La majorité peut être fière de l'_uvre accomplie.
Toutefois, de nombreux rapatriés et harkis jugent cet effort insuffisant et inadapté. Ils ont raison : ces mesures n'ont pas répondu à toutes leurs difficultés. Et si certaines d'entre elles ont été mises en _uvre rapidement en matière d'accueil et d'installation, l'indemnisation n'a commencé qu'en 1970. Il faut donc aller plus loin, même si nous sommes conscients que la situation budgétaire actuelle ne permet pas de répondre à toutes les attentes.
Il nous faut aussi rassembler, parce que le débat sur les rapatriés que nous avons aujourd'hui, ainsi que la journée d'hommage du 5 décembre, constituent des rendez-vous avec notre histoire, une histoire mal connue, douloureuse et souvent déformée. Une histoire qu'il importe de rappeler aux Français parce qu'elle témoigne de la souffrance d'hommes et de femmes qui ont tout simplement aimé notre patrie. Profondément attachés aux valeurs nationales, conscients d'avoir servi leur pays, les rapatriés ressentent comme une profonde blessure le fait d'avoir été souvent regardés par une partie de l'opinion comme les responsables d'une situation dont ils étaient les premières victimes.
C'est au nom de la République qu'est rendu un hommage aux anciennes forces supplétives, les harkis, ainsi qu'aux tirailleurs, aux spahis, aux membres des forces régulières, des groupes mobiles de sécurité, des groupes d'autodéfense. C'est un devoir moral de la nation.
Sans doute, une France divisée par le conflit en Algérie n'était-elle pas préparée à accueillir les harkis. Malgré l'intervention de l'Etat, des collectivités locales, de nombreuses associations, les difficultés de l'accueil initial, dans le confinement des camps, ont conduit à des situations de précarité et, parfois, d'extrême détresse, dont les conséquences sont encore visibles.
M. Kléber Mesquida - Qui a construit ces camps ?
M. le Président de la commission - Qu'avez-vous fait, vous, pour que cela change ? Un peu de pudeur, je vous prie (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).
M. Maxime Gremetz - On n'est pas à l'armée ici !
M. le Président de la commission - Si le regroupement des familles harkies pouvait s'expliquer dans les premières années par le souci de les protéger des risques d'attentats, cette situation a malheureusement perduré.
Le rapport Diefenbacher présente des propositions justes et réalistes, notamment en ce qui concerne les réparations matérielles. Il s'agit tout d'abord de restituer aux rapatriés les sommes prélevées au titre du remboursement des emprunts par les lois de 1970 et 1978.
M. Kléber Mesquida - Enfin !
M. le Président de la commission - Cette mesure bénéficierait à 90 000 personnes et coûterait 300 millions d'euros.
Il s'agit ensuite de compléter les aides aux harkis en leur permettant de choisir entre le doublement de l'allocation de reconnaissance ou son augmentation de 30 % et une indemnité de 20 000 €.
En outre, il importe de faire du mémorial de l'outre-mer, à Marseille, un haut lieu du souvenir et un centre national de recherche qui permette de mettre en valeur, de façon objective, les actions et les réussites de la France. L'engagement de Marseille, de son maire, des élus pour la réussite de ce projet, est un message fort adressé aux rapatriés et aux harkis. Quoi de plus symbolique que l'installation de ce mémorial à Marseille, dans une ville ouverte sur la Méditerranée, carrefour fraternel des peuples et des civilisations ? la France, en effet, peut être fière de l'action accomplie par ses enfants outre-mer.
Il est également important de créer, au sein de l'éducation nationale, un groupe de réflexion sur la place réservée à l'oeuvre française outre-mer dans les manuels scolaires. La tâche sera longue et difficile.
Enfin, il importe de veiller à la préservation des cimetières français en Algérie, comme le Président de la République l'a demandé lors de son voyage officiel en Algérie en mars dernier. Afin que les milliers de sépultures de nos compatriotes de toutes confessions bénéficient du respect qui leur est dû, il convient d'accroître les efforts de sauvegarde entrepris. Ces cimetières constituent en effet une partie de la mémoire personnelle et familiale des rapatriés et témoignent de l'histoire commune de nos deux pays.
Certaines collectivités territoriales, à l'approche des échéances électorales, font des annonces tonitruantes. Qu'en est-il exactement ? Que compte faire le Gouvernement en la matière ?
M. Kléber Mesquida - Nous verrons bien.
M. le Président de la commission - Je regrette que les conclusions du rapport écartent de la prochaine loi d'indemnisation les supplétifs non musulmans. Ils ont défendu la même cause, porté les mêmes uniformes, connu le même destin.
Malgré les affres du déracinement et de l'injustice, les rapatriés de toutes origines ont trouvé peu à peu leur place dans la communauté nationale grâce à leur travail et à leur courage. Que de brillantes réussites parmi eux, dans tous les domaines !
Cette longue histoire commune a été bâtie par des femmes et des hommes attachés à leur terre natale mais aussi à leur patrie et à leurs couleurs. Dire cela, c'est rappeler les devoirs particuliers de la France envers tous ses concitoyens rapatriés qui ont connu la douleur de l'exil et les difficultés de l'installation en métropole. Dire cela, c'est témoigner que la République refuse l'oubli et ne peut s'accommoder d'aucune forme d'abandon à l'égard d'aucun citoyen, et je pense plus particulièrement à nos amis harkis. Dire cela, c'est affirmer enfin que l'Etat assume son histoire et ses responsabilités.
C'est pourquoi, je réitère l'indéfectible soutien de la majorité à ce gouvernement, qui apportera les réponse espérées par les rapatriés et les harkis. Ainsi, nous attendons avec impatience l'examen du projet de loi que vous avez annoncé.
Albert Camus a écrit : « Pour ceux qui connaissent les déchirements du oui et du non, du midi et des minuits, de la révolte et de l'amour, pour ceux qui aiment les bûchers devant la mer, il y a là-bas, une flamme qui les attend ». Cette flamme vacillante et pourtant si vivace, c'est celle de la mémoire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).