Déclaration du gouvernement et débats Assemblée Nationale sur les Rapatriés Algérie le 2 décembre 2003 deuxième partie séance de fin d'après midi , la troisième partie
   

 

La séance, suspendue à 18 heures 5, est reprise à 18 heures 20.
M. Michel Diefenbacher - Ils étaient des pionniers. Partis les mains nues, arrivés dans un monde souvent hostile, confrontés à une nature rebelle, ceux qu'on appelait les colons avaient au fond des yeux le rêve d'une vie nouvelle et d'un empire sans frontières. Leur arme était le courage, leur force la persévérance, leur passion, la volonté de servir et de construire.
Ils étaient des bâtisseurs. C'est de leurs mains qu'ils ont fait fructifier les terres, construit des villes, des dispensaires, des hôpitaux et des écoles, tracé des routes et des voies de chemin de fer, donnant aux populations une protection sanitaire qu'elles n'avaient jamais connue et aux territoires une prospérité qu'ils n'ont jamais retrouvée.
Ils étaient des patriotes. Et souvent des soldats. Toutes origines confondues, ils ont donné à l'armée française ces unités d'élite que sont les zouaves, les fantassins et les tirailleurs d'Afrique, et tant d'autres qui ont servi et honoré le drapeau, sur tous les champs de bataille de l'Europe et du monde. N'oublions pas que tous ces combattants ont participé à la libération de la France, qu'ils ont contribué à lui rendre sa liberté et son honneur, dans la lutte sans merci menée avec les alliés contre l'envahisseur nazi.
Les Français d'outre-mer ont édifié des sociétés infiniment plus complexes et plus riches que celles que l'on décrit parfois. Il n'y avait pas d'un côté les Français et de l'autre les autochtones, les premiers monopolisant l'avoir, le savoir et le pouvoir, les autres étant maintenus dans la misère, l'ignorance et la dépendance. En Afrique du Nord, Andalous et Siciliens, Napolitains et Maltais formaient avec les Arabes et les Berbères, avec les réfugiés d'Alsace-Moselle et les descendants des insurgés de la Commune de Paris, une société originale et diverse, où l'on voyait émerger une intelligentsia brillante et critique, attachante et contestataire, bref une intelligentsia profondément méditerranéenne et profondément française.
Bien sûr, cette oeuvre en plein devenir était loin d'être parfaite. Bien sûr, beaucoup d'erreurs ont été faites. Si les richesses augmentaient, si le savoir se diffusait, si les endémies reculaient, l'intégration sociale piétinait. La diffusion du savoir et l'amélioration du niveau de vie ne pouvaient que rendre cette situation chaque jour plus inacceptable. A cette époque comme aujourd'hui, il y avait ici et là-bas les forces du progrès et celle du conservatisme, et elles transcendaient largement les clivages ethniques et religieux.
Malgré les réticences que l'on sait, une dynamique sociale était pourtant engagée. Trop tard cependant pour empêcher le rêve de l'émancipation de se former et le grand vent de l'histoire de se lever. Ce vent a emporté les hommes, et, avec eux, leurs oeuvres et leurs espoirs. Et comme son seul souffle n'était sans doute pas assez fort pour effacer leurs traces, d'autres hommes s'y sont employés. Là-bas, on a profané des tombes, saccagé des monuments aux morts... Ici, de beaux esprits ont voulu faire croire à nos enfants que ce rêve de grandeur était oeuvre de honte. Au nom du marxisme et du tiers-mondisme, certains ont sali ce qui méritait le respect.
Cependant, dans le silence et la résignation, les pionniers, les bâtisseurs, les patriotes sont devenus des « rapatriés ». Ils ont essayé d'oublier leur passé, parfois de cacher leurs origines pour mieux se fondre dans cette France qu'ils découvraient bien différente de celle qu'ils avaient rêvée. Aussi longtemps que ces affronts ne seront pas lavés, nul effort de solidarité nationale ne pourra être jugé comme suffisant.
C'est animé de cette conviction que j'ai conduit l'étude que m'avait confiée Jean-Pierre Raffarin et dont j'ai rendu les conclusions en septembre dernier. Je ne reviens pas sur les trente et une propositions qu'elle contient, pour mieux rappeler les trois priorités que j'ai dégagées : reconnaître, réparer, intégrer.
Reconnaître, c'est d'abord prendre la mesure de l'oeuvre accomplie, et dire solennellement que nous pouvons être fiers de l'action de ces agriculteurs, entrepreneurs, artisans, enseignants, médecins, prêtres... et de tous ceux qui ont voulu édifier une société plus juste et une économie plus prospère. Bien entendu, cette entreprise a eu ses défaillances et nous la conduirions différemment aujourd'hui. Gardons-nous cependant de tout jugement simpliste. Soyons assez modestes pour replacer cette aventure dans son contexte et pour nous demander comment seront jugées demain les politiques que nous conduisons aujourd'hui avec les meilleures intentions !
Reconnaître, c'est aussi mesurer les souffrances nées de la guerre, de l'indépendance et du retour. Souffrance des 60 à 80 000 harkis - peut-être plus - torturés, massacrés avec la dernière barbarie. Souffrance de tous les autres rapatriés, venus d'Indochine, d'Algérie, du Maroc, de Tunisie et d'ailleurs : privés de leurs racines, ils peinent encore parfois à trouver leur place dans la société française. Souffrance, encore, de nos soldats morts pour la France. Souffrance, encore et toujours, du million de rapatriés d'Algérie d'origine européenne, pour qui le cessez-le-feu du 19 mars 1962, loin d'être une étape vers la réconciliation, fut le début d'un long calvaire. Souffrance, enfin, de tous ceux qui ont dû quitter leur pays et, plus encore, des victimes des événements les plus tragiques - fusillade de la rue d'Isly, massacres d'Oran, enlèvements, disparitions...
Reconnaître, c'est enfin faire la lumière sur toutes ces tragédies. Dénonçant un crime d'Etat, certains croient juste d'évoquer la responsabilité de la nation, de l'Etat ou des gouvernants eux-mêmes. Lorsqu'une telle attitude appartient à ceux qui ont le plus souffert, on peut essayer de la comprendre, car elle traduit la quête d'un deuil jamais accompli. Mais lorsqu'elle est le fait de ceux qui ont tout fait pour attiser la haine et pour fragiliser notre armée, elle ne peut que nous choquer profondément. Je suggère qu'avec le Haut conseil des rapatriés, l'on confie à des sages le soin de rechercher dans les archives et dans les témoignages ce qui pourrait enfin aider les familles à surmonter leur douleur.
Réparer, c'est d'abord faire un nouveau geste en direction des harkis et de leurs veuves. Tout doit être fait pour leur donner la place qu'ils méritent dans notre société. Assurément, la loi de 1987 - adoptée à l'initiative du gouvernement Chirac -, la loi Romani de 1994 et la décision de Jean-Pierre Raffarin de perpétuer la journée nationale d'hommage du 25 septembre vont dans ce sens. Mais il importe de faire aujourd'hui un ultime geste, pour que chaque famille harkie puisse être propriétaire de son toit et assurée de vivre dans la dignité, à laquelle ont droit ceux qui ont si courageusement et si douloureusement servi la France.
Réparer, c'est aussi en finir avec l'endettement des rapatriés ; régler définitivement les derniers dossiers de retraite, notamment ceux des salariés, des médecins, des cadres et des anciens exilés ; faire disparaître les iniquités résultant de l'application de l'article 46 de la loi de 1970. Je ne reviens pas sur les mesures détaillées dans mon rapport. Elles sont attendues de nos compatriotes rapatriés. Nous n'avons pas le droit de les décevoir. Réparer, c'est enfin permettre aux témoins d'apporter leur concours, aux côtés des historiens, au projet de mémorial de l'oeuvre de la France d'outre-mer, lancé par la ville de Marseille et désormais porté aussi par l'Etat.
Intégrer, c'est donner toutes leurs chances aux enfants de rapatriés, en particulier aux enfants de harkis, encore frappés par un taux de chômage anormalement élevé. Là comme ailleurs, je ne crois pas aux vertus de l'assistance, mais bien plutôt à celles de la formation, de l'incitation et de l'accompagnement. Alors que la reprise économique se profile, que de nombreux secteurs manquent de main-d'oeuvre, que la volonté d'insertion des jeunes harkis n'a jamais été aussi forte, que les exemples d'intégration réussie se multiplient, nous devons réussir à mettre un terme aux odieuses discriminations à l'embauche, mobiliser tous nos moyens pour donner sa chance à chacun de ces jeunes, l'accompagner vers le travail et lui rendre sa dignité.
Vous avez annoncé, Monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement déposerait un projet de loi parachevant les dispositifs précédents, non pour « tourner la page » ou « clore le dossier », mais au contraire pour assumer pleinement devant les générations futures un héritage dont nous avons tout lieu d'être fiers. Ce texte consacrerait le lien profond, indissoluble et sacré qui doit exister entre la solidarité de la nation, la fidélité à l'histoire et le respect des hommes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
M. Philippe Douste-Blazy - Je tiens tout d'abord à remercier M. Diefenbacher pour son excellent rapport et pour les mots qu'il vient d'avoir à cette tribune.
La plaie liée à la guerre d'Algérie est restée trop longtemps ouverte. Après tant d'années passées à occulter ce conflit, il convient aujourd'hui de faire valoir un droit à l'indemnisation et à la juste réparation. Nous n'avons que trop attendu ! Si la restitution aux rapatriés des sommes prélevées au titre de l'article 46 de la loi de 1970, comme cela est préconisé, va dans le bon sens, il faut fixer un calendrier précis pour l'application de cette mesure. Dans cette attente, il faut suspendre les mises aux enchères des toits familiaux, engagées sur demande de l'administration fiscale, dans la mesure où l'Etat doit toujours de l'argent à nos concitoyens rapatriés.
Il faut également faire droit à la demande des médecins rapatriés qui souhaitent racheter leurs annuités à la valeur du point au moment de leur retraite, compte tenu de leur situation particulière.
Il faut enfin prendre des mesures spécifiques et adaptées pour sortir de la grande précarité la centaine de familles que le conflit y a placées, sans que jamais elles puissent s'en tirer elles-mêmes.
A nos concitoyens harkis, nous devons une attention toute particulière, ainsi qu'à leurs enfants, qui ont particulièrement souffert de leurs conditions d'arrivée sur le sol national. Les harkis devraient bénéficier à la fois du doublement de l'allocation de reconnaissance et d'une mesure mixte, associant majoration de la rente et attribution d'un nouveau capital, comme le propose d'ailleurs M. Diefenbacher dans son rapport. L'effet de cette mesure sur les finances publiques pourrait être atténué par un étalement sur plusieurs années. Ainsi pourrait-on faire bénéficier de ce traitement les personnes âgées de plus de 70 ans la première année, puis celles âgées de plus de 65 ans la deuxième, puis les autres à partir de la troisième année. Ces mesures doivent s'appliquer également aux ayants droit. Les enfants de harkis doivent bénéficier de mesures particulières d'accompagnement en matière d'éducation et de formation puisqu'ils n'ont pu aller à l'école de la République. De manière générale, nous devons accepter le principe d'un traitement particulier au bénéfice de cette génération, hélas, sacrifiée.
Au-delà de ces aspects matériels, il faut garantir le nécessaire, et trop longtemps occulté, devoir de mémoire. Cela passe bien entendu par une meilleure connaissance de cette période, et par une réflexion sur la façon dont elle doit être enseignée à nos enfants, qui en ignorent tout. Pour mieux comprendre notre passé, mieux gérer le présent et préparer l'avenir, nous devons reconnaître avec lucidité les drames auxquels a conduit ce conflit et les responsabilités en cause. Ce serait un pas vers la dignité, la vérité et l'apaisement.
Ne pas évoquer l'oeuvre de nos concitoyens en Algérie serait une erreur historique, de même que ce serait une faute grave de ne pas rendre hommage ni exprimer notre gratitude aux soldats et aux harkis qui ont payé un lourd tribut. C'est pourquoi je suis tout à fait favorable à la création, au sein du ministère de l'éducation nationale, d'un groupe de réflexion sur la place réservée à l'oeuvre de la France outre-mer dans les manuels scolaires. Pour en garantir l'objectivité, devraient y être associés un ou plusieurs représentants des associations de rapatriés des trois pays du Maghreb.
Il est temps de mettre un terme à l'errance, trop souvent réservée aux rapatriés. Parce qu'il est du devoir de la France de se préoccuper du sort de tous ses citoyens et de tous ceux qui ont payé de leur vie pour la défendre, il est temps de porter cette question devant la représentation nationale et d'y apporter une réponse juste et définitive (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
M. Jean Leonetti - Plus de quarante ans après la fin de la guerre d'Algérie, les plaies ne sont pas complètement cicatrisées chez ceux qui ont vécu ce drame. Certains ont été blessés dans leur chair, d'autres ont perdu un parent ou un ami, la plupart ont dû quitter leur terre natale et leurs morts. Tous conservent dans leur mémoire l'horreur d'une guerre qui a tardé à dire son nom. Aucun n'a oublié.
Entre la fin de la conquête et la guerre d'indépendance, la République française avait apporté sur la terre d'Algérie son savoir-faire scientifique, technique et administratif, sa culture et sa langue, et beaucoup d'hommes et de femmes, souvent de condition modeste, venus de toute l'Europe et de toutes confessions, ont fondé des familles dans ce département français. C'est en grande partie grâce à leur courage et leur goût d'entreprendre que le pays s'est développé. C'est en grande partie grâce à eux que malgré les souffrances, les malentendus et les luttes fratricides, la France et l'Algérie restent profondément liées, notamment sur le plan culturel.
Aujourd'hui, il nous faut affirmer l'oeuvre positive de nos concitoyens en Algérie et exprimer notre gratitude à nos soldats et aux harkis. Ne pas le faire serait une erreur historique et une faute morale. Ce n'est pas insulter l'avenir que d'effectuer un travail de mémoire lucide et équilibré sur ce passé encore proche, douloureux et souvent évoqué de manière passionnelle.
Comme l'histoire de France était enseignée par nos instituteurs dont mon père, en Algérie, l'histoire de l'Algérie, la vraie, doit être étudiée par nos enfants sans silences ni caricatures. Personne ne doit oublier la rue d'Isly, les massacres d'Oran et des harkis, après le 19 mars 1962. C'est l'honneur des grands pays de reconnaître leurs erreurs, leurs fautes et de les réparer. Le Président de la République déclarait que quarante ans après les déchirements terribles au terme desquels les pays d'Afrique du Nord se sont séparés de la France, « notre République doit assumer pleinement son devoir de mémoire ». Au travers de cette mémoire, assumons aussi la totalité de la vérité historique.
Le temps de la reconnaissance doit comporter bien sûr les réparations matérielles. A ce titre, il faut régler le problème du surendettement. Celui-ci fait partie, à juste titre, des priorités du Haut conseil qui souhaite la mise en oeuvre de plans d'apurement. La restitution des sommes prélevées au titre du remboursement des emprunts est également primordiale. L'application de l'article 46 de la loi du 15 juillet 1970 et de l'article 3 de la loi du 2 janvier 1978 a en effet créé inégalités et injustices parmi la communauté des rapatriés, en fonction de leur profession, de la date de leur demande d'indemnisation et du montant de celle-ci. Notre majorité et le Premier ministre à titre personnel ont dénoncé cette situation. Nous devons rester fidèles à notre parole et tenir nos engagements.
Les rapatriés et les harkis, plus que les autres, se méfient des promesses qu'ils savent, hélas, trop souvent non tenues. Il nous revient de leur rendre l'espoir et la confiance dans les politiques. Ne les décevons pas !
Par ailleurs, en tant que médecin, j'insiste sur la requête légitime des médecins conventionnés rapatriés d'Algérie qui ne réclament pour leur retraite que la stricte application de leurs droits, laquelle leur est aujourd'hui refusée.
Vis-à-vis de la communauté harkie, nous avons une dette d'honneur imprescriptible. Il faut que nous assurions à ceux qui ont choisi de combattre pour la France une vieillesse sûre et digne, à la hauteur de leur fidélité à notre pays, et offrions parallèlement à leurs enfants la possibilité de s'insérer et de s'intégrer.
La reconnaissance doit être aussi morale. J'ai présenté une proposition de loi, cosignée par 116 députés de la majorité, qui vise à reconnaître l'_uvre positive de nos concitoyens en Algérie pendant la présence française.
Il est temps, il est juste que la représentation nationale reconnaisse solennellement l'_uvre de ces hommes et de ces femmes profondément attachés à leur terre, à leur drapeau et à leur famille, qui, par leur travail et leurs efforts, quelquefois au prix de leur vie, ont représenté de manière fière et digne pendant plus d'un siècle la France de l'autre côté de la Méditerranée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
Mme Michèle Tabarot - Il y a maintenant plus de quarante ans, des compatriotes vivant dans des départements français devaient quitter leur terre natale après les accords d'Evian, mais surtout devant les menaces dont ils faisaient l'objet. Leur choix était entre « la valise et le cercueil ». Certains n'eurent même pas ce choix et ne revinrent pas vivants. La majorité d'entre eux s'installa dans des conditions difficiles « en métropole », comme ils le disaient, métropole que leurs parents avaient contribué, avec l'armée d'Afrique, à libérer du joug des nazis, métropole dont ils étaient fiers et pour laquelle ils avaient combattu, métropole qui, hélas, ne les comprenait pas. C'est pourtant avec le même courage de pionniers que leurs aînés qu'ils parvinrent, par leur travail, à s'intégrer dans la communauté nationale en connaissant, pour certains, de belles réussites.
Pourquoi aujourd'hui ce débat à l'Assemblée nationale ? Pourquoi, quarante ans après, les plaies ne sont-elles toujours pas refermées, a fortiori cicatrisées ? Pourquoi à la seule évocation du mot d'Algérie, les passions se déchaînent-elles encore, comme si le temps n'avait rien effacé ?
Certes il est difficile de mettre une distance entre son histoire personnelle et l'Histoire ; néanmoins des pistes de réflexion utiles peuvent être explorées avant que les témoins les plus directs de cette période ne disparaissent.
Je n'aborderai pas pour ma part la question de l'indemnisation matérielle, mais je tiens à saluer l'engagement de notre gouvernement qui, dans une période économique difficile, souhaite régler définitivement certaines situations, s'agissant notamment de la communauté harkie, trop longtemps oubliée.
Je m'attacherai à dénoncer la mémoire sélective de la guerre d'Algérie et à réhabiliter l'histoire, toute l'histoire de la présence française en Algérie, loin de la caricature. C'est un pas qu'il est nécessaire de franchir. Oui, l'_uvre accomplie en Algérie honore nos compatriotes, et cela dans tous les domaines : médical, avec l'éradication d'épidémies dévastatrices grâce aux traitements dispensés par nos médecins militaires ; agricole, avec la fertilisation de terres incultes et marécageuses, qui est à l'origine d'une réussite économique exceptionnelle... Saluons le lourd tribut que les Français ont payé à cette entreprise. Ces progrès, dont l'Algérie a été et reste la principale bénéficiaire, se sont accomplis dans une cohabitation harmonieuse des communautés.
Loin de la métropole, les pieds-noirs ont nourri plus qu'ailleurs un sentiment d'appartenance à la France, à ses valeurs, à ses idéaux. Il n'est pas juste d'imaginer que ces hommes et ces femmes auraient pu se conduire d'une façon contraire aux principes auxquels ils étaient si attachés. « Les gens de ma famille n'ont jamais opprimé personne », disait Albert Camus. Caricaturer le pied-noir en colon sanguinaire est une offense profonde à tous ceux qui ont vécu exactement le contraire.
Une seconde injustice perdure dans le récit de la guerre d'Algérie, trop longtemps désignée par l'expression « opérations de maintien de l'ordre ». Non, cette guerre ne se résume pas au prétendu usage systématique de la torture par notre armée. Non, elle ne s'est pas arrêtée le 19 mars 1962. Comment oublier qu'après cette date, des milliers de harkis ont été lâchement assassinés ? Comment oublier que le 26 mars à Alger, des militaires français ont tiré sur d'innocents civils français ? Comment oublier que, le 5 juillet 1962 à Oran, après l'indépendance, des centaines d'Européens et de musulmans ont été les victimes des barbaries du FLN, devant une armée française obligée d'assister à ce macabre spectacle sans pouvoir intervenir.
L'Histoire, spécialement l'histoire des guerres et des hommes engagés dans ces guerres, ne doit jamais s'écrire d'une seule main. Les Français d'Algérie ne pourront trouver l'apaisement que dans l'écriture rigoureuse et honnête de cette histoire. Merci donc à notre gouvernement d'avoir organisé ce débat et d'avoir instauré une journée nationale d'hommage autre que le funeste 19 mars. Merci de continuer dans cette voie, afin que l'histoire de la présence française en Algérie devienne demain le fier héritage de tous les Français (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).
M. Jean-Paul Bacquet - Parmi les intervenants qui se sont succédé depuis le début de ce débat, très rares sont ceux qui ont été acteurs dans le conflit algérien. Je suis frappé par la sérénité, la modestie et l'humilité qui se sont manifestées jusqu'à présent ; et je rends hommage au Président, qui laisse les uns et les autres s'exprimer et qui tempère. Ainsi ce débat pourra-t-il, quarante ans après, rendre aux harkis leur dignité (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP).
Moi, je suis Auvergnat, je n'ai pas d'histoire en Algérie. Pourtant, j'ai conscience que le plus grand risque était l'ignorance, la méconnaissance et l'oubli. Le devoir de mémoire est l'essentiel, le reste n'est que la conséquence.
Comme je le disais il y a quelques jours à Clermont-Ferrand, l'indemnisation est un dû. Mais autant elle aurait pu être comprise dans les années qui suivaient l'indépendance de l'Algérie, autant aujourd'hui, elle ne peut l'être qu'à condition d'expliquer l'histoire à ceux qui en ont une ignorance totale.
Pendant la guerre d'Algérie, j'étais élève au prytanée militaire de La Flèche. Le soir, les officiers qui nous encadraient racontaient parfois leur histoire. A une époque où on ne traitait pas les traumatismes psychologiques, je me souviens qu'ils exprimaient toute leur détresse d'avoir été les témoins impuissants de scènes qui avaient marqué définitivement leur mémoire.
J'ai aussi appris que Bourg-Lastic, dans le Puy-de-Dôme, avait été un camp d'hébergement temporaire de harkis, dans les conditions sanitaires les plus déplorables. Combien de Clermontois le savent-ils ? Ceux qui le savent le doivent au travail de mémoire que fait l'association Agir pour les harkis.
J'ai appris, il y a moins de trois ans, dans un article de la presse locale, que des enfants de harkis étaient morts dans ce camp, qu'ils y ont été enterrés et que leurs sépultures ont été entretenues grâce à des militaires français.
Etant médecin rural, j'ai été amené à soigner des familles de harkis, qui m'ont toujours associé à leurs cérémonies familiales. Ce qui m'a le plus marqué, c'étaient le mutisme, l'impossibilité de communiquer. Un jour, j'ai aperçu, caché sur le dessus d'une armoire, un cadre de photo représentant un officier qui remettait une médaille au chef de famille. Sa place était plutôt sur le buffet du séjour, ai-je dû leur dire.
Particulièrement marqué par la demande de vérité qu'exprimait l'association Agir pour les harkis, j'ai déposé une proposition de loi, axée sur le devoir de mémoire et la nécessité d'une meilleure compréhension de l'histoire.
Il a fallu attendre 1999, pour que notre assemblée, à l'unanimité, reconnaisse l'état de guerre en Algérie. J'espère qu'aujourd'hui, nous serons unanimes dans la sérénité pour apporter aux harkis ce qu'ils méritent.
Le Président de la République a décidé en 2001 qu'un hommage national devait leur être rendu. Ils se sont réjouis de cette initiative attendue depuis trente-neuf ans.
N'oublions jamais qu'au cours de la première guerre mondiale, les Algériens ont été de toutes les grandes batailles de l'armée française. Ils ont laissé 26 000 des leurs sur les champs de bataille d'orient et d'occident, comme l'attestent la nécropole de Notre-Dame de Lorette, les champs de bataille de l'Hartmannswillerkopf ou l'ossuaire de Douaumont.
N'oublions jamais non plus que, pendant le second conflit mondial, plus de 134 000 soldats algériens ont servi dans l'armée d'Afrique. Ils ont forcé l'admiration par leur courage au service de la France. Les tirailleurs et spahis algériens ont participé activement, avec le corps de Lattre à la libération de la Provence.
Puis la guerre d'Algérie a entraîné le déchirement des musulmans algériens. Dès le début de la rébellion, les représentants des autorités françaises ont cherché leur adhésion à la lutte contre la subversion. Se fiant aux promesses des dirigeants de l'Etat, dont celles du général de Gaulle ils sont convaincus que l'Algérie restera française. Et cette conviction est transmise aux musulmans que l'on commence à enrôler comme harkis.
Le changement de politique survenu en 1961 est à l'origine du drame des harkis. Les accords d'Evian laissent les Musulmans français sans protection véritable. Le 19 mars 1962, jour du cessez-le-feu, on compte 263 000 autochtones engagés du côté français ; et sur 8 millions de musulmans algériens, 1 million sont directement menacés pour avoir pris le parti de la France. Au printemps de 1962, alors que l'armée française est repliée dans ses garnisons, le nouveau pouvoir algérien feint la clémence envers les profrançais et à Paris le Gouvernement limite à une portion minime d'entre nous le repli en France, ordonnant même le renvoi en Algérie des supplétifs débarqués en métropole hors du plan de rapatriement, grâce au courage d'officiers français. La note officielle du 12 mai 1963 que le colonel Buis fait parvenir à l'inspecteur général des affaires algériennes est révélatrice de la froideur implacable avec laquelle les autorités françaises ont traité la question des harkis : « Le transfert en métropole de Français musulmans effectivement menacés dans leur vie et leurs biens s'effectuera sous la forme d'une opération planifiée. Je vous demande en conséquence de prescrire à tous les cadres placés sous vos ordres de s'abstenir de toute initiative isolée destinée à provoquer l'installation de Français musulmans en métropole ». Nous connaissons les conséquences. En 1962, le général Faivre estimait entre 50 000 et 70 000 le nombre de harkis tués par le FLN, souvent dans d'ignobles tortures, parfois en présence de l'armée française ayant reçu l'ordre de rester passive, comme à Oran le 5 juillet 1962. Le service historique de l'armée avançait en 1974 le chiffre de 150 000 harkis tués.
Qu'importent les chiffres, et comment étalonner l'horreur ? Ce qui compte, ce sont les faits, que nous aurions pu et dû éviter. Le sort réservé aux 91 000 musulmans établis en France de 1962 à 1968 n'est guère plus enviable, sinon qu'ils ont survécu. Arrachés à leur terre, ils sont relégués dans des camps ou des cités insalubres. L'indifférence chez nous est allée jusqu'à la mort : j'ai rappelé ce qui s'est passé à Bourg-Lastic. Et même ceux qui ont pu entamer une vie normale ont enduré et endurent encore chômage et précarité.
Jusqu'à présent, la reconnaissance de la France ne s'est traduite que par des mesures financières - encore le Gouvernement vient-il de fermer le « plan harkis » sous couvert d'une allocation de reconnaissance.
Nécessaire, la reconnaissance financière ne suffit pas. Les harkis attendent de nous, surtout, la vérité. Car c'est de leur dignité qu'il s'agit. Il est temps que nos concitoyens sachent ce qui s'est réellement passé, que notre pays s'engage à assumer toute sa responsabilité. Il a fallu 80 ans pour réhabiliter les fusillés de 1917, 40 ans pour reconnaître l'état de guerre en Algérie. Pourquoi attendre pour entamer le devoir de mémoire envers les harkis ?
Le colonel de Blignères, dans sa préface « Disparus en Algérie », écrit : « Le désarmement des harkis et l'abandon à leur sort des disparus pèse d'un poids exceptionnel sur la conscience de la France et sur l'honneur de son armée ». Pour recouvrer son honneur, la France doit regarder sa propre conscience. Avant de prendre en faveur des harkis les mesures concrètes auxquelles ils ont droit, un véritable débat doit avoir lieu sur ce que les harkis ont subi, et sur la part de responsabilité de la France.
Harki vient, je crois, de l'arabe « harka », qui signifie mouvement. Il est temps que notre pays ne reste plus figé dans ses complexes historiques, et adopte le mouvement de l'histoire. Les harkis ont versé leur sang pour la République, ils l'ont aimée et ils l'aiment encore. Cessons, après quarante ans de silence, de leur donner le sentiment d'être des enfants abandonnés.
Appelons-en à l'histoire, pour comprendre, pour conjurer l'oubli, pour écarter la polémique, et aussi pour que les harkis reçoivent leur dû ; pour que les enfants des harkis soient fiers que leurs parents aient choisi la France, la République et la démocratie. Les harkis ont choisi la nationalité française, ils n'en ont pas hérité.
Il faut mettre fin à l'hypocrisie. Avec notre collègue Fenech, au congrès national d'AGIR à Clermont-Ferrand, j'ai été interpellé au sujet d'un fait récent : au cours de l'émission « Mots croisés », animée par Arlette Chabot sur France 2, le 3 novembre dernier, Mme Zorah Driff, vice-présidente du Sénat algérien et responsable du FLN, a assimilé les harkis à des collaborateurs, les messalistes à des traîtres. Après l'année de l'Algérie, après l'adoption du 25 septembre comme jour de reconnaissance pour les harkis, il est inacceptable qu'à la télévision française une personnalité algérienne se permette de porter un jugement aussi inacceptable que dégradant. Ces attaques contre la dignité des harkis portent atteinte à la dignité de tous les Français. Les mêmes propos tenus en France par le président Bouteflika avaient déjà suscité la réprobation de la majorité des Français. On ne peut accepter qu'ils soient réitérés.
Halte à l'hypocrisie qui n'a que trop duré depuis quarante ans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe UMP et du groupe UDF)
M. Alain Merly - Un vieil ami, philosophe à ses heures, avait coutume de dire : « Tout ce qui traîne finit par se salir ». J'y vois une exhortation à régler rapidement les problèmes qui s'ouvrent à nous, quelque difficiles qu'ils soient. Le dossier des rapatriés et des harkis finit par ternir l'image de la France.
Notre histoire, comme celle de tous les pays, comporte son lot d'événements tragiques, dont chacun laisse une cicatrice dans la mémoire collective.
Les acteurs et victimes de la période où l'histoire du Maghreb se confondait avec celle de la France ont encore devant les yeux les images qui ont marqué leur vie et scellé leur destin. Heureusement, le temps aide à guérir les plaies. La volonté sera plus forte que l'humeur, et l'espoir du jour qui se lève plus riche que le crépuscule de celui qui finit.
Il est temps, quarante ans après, de mettre un terme aux efforts de reconnaissance morale et matérielle de la nation. Le rapport de Michel Diefenbacher nous en dessine les voies et moyens, tout en permettant de promouvoir l'oeuvre collective de la France outre-mer. Le président Chirac, dans cet esprit, a pris des mesures significatives : allocation et reconnaissance pour les harkis et leurs veuves, amélioration du dispositif d'aide au désendettement des rapatriés réinstallés, prolongation des délais pour bénéficier de la retraite complémentaire, pérennisation de la journée d'hommage aux harkis le 25 septembre, inauguration du mémorial national d'Afrique du Nord à Paris le 5 décembre 2002.
La France n'a donc pas oublié l'engagement courageux de milliers de Musulmans d'Afrique du Nord dans les grands conflits du XXe siècle, ni leur fidélité à ses couleurs pour maintenir la sécurité dans une Algérie française bouleversée par des attentats. La nation n'ignore pas son devoir moral envers ceux qui ont accompagné et défendu l'action conduite outre-mer pendant plus d'un siècle par la France et les Français.
Quiconque a vécu les heures tragiques de la guerre d'Algérie n'ignore pas le drame humain qui a suivi la cessation officielle des combats. Trompés par les engagements du nouveau pouvoir algérien, les harkis ont été exécutés avec une cruauté à peine imaginable. Assassinés par les séides du FLN, ceux qui avaient choisi de rester sur leur sol natal ont été les premières victimes d'actes de barbarie qui feront des dizaines de milliers de morts. Ceux qui purent gagner la France furent hébergés et parqués dans des camps de regroupement de triste mémoire, comme, dans ma circonscription, celui de Bias, près de Villeneuve-sur-Lot.
Oubliée de l'histoire, la tragédie des harkis ne pénètre la conscience de l'opinion publique que dans les années 1970. Il faudra attendre la loi du 16 juillet 1987, sous l'égide de Jacques Chirac, et celle du 11 juin 1994, sous l'égide d'Edouard Balladur, pour constater de réelles avancées sur le chemin de la réparation. Les actions à mener n'étaient pas terminées, mais le gouvernement précédent a malheureusement laissé ce dossier en sommeil, malgré une conjoncture économique très favorable.
Nous avons aujourd'hui la volonté d'aller de l'avant, qu'il s'agisse des réparations matérielles ou du travail de mémoire.
Les pieds-noirs, accueillis dans l'indifférence en 1962, ont trop longtemps été assimilés à des colons et à des exploiteurs. C'est ignorer leur apport à ce territoire de l'autre rive de la Méditerranée.
Il faut aussi clore le dossier des civils disparus, assassinés par le FLN entre le 19 mars 1962 et l'indépendance. Il faut ouvrir les archives pour mettre fin à l'insoutenable attente des familles. Nous devons encore être attentifs au respect des engagements bilatéraux entre la France et l'Algérie sur les cimetières et les tombes.
« A combien évaluez-vous le sang, les larmes, la souffrance et l'exclusion ? » me demandait récemment un harki du Lot-et-Garonne. On ne peut rien répondre à une telle question. Comme l'a rappelé M. Diefenbacher dans son rapport, « aucune réparation matérielle ne sera suffisante si nous n'avons pas la volonté de montrer les aspects positifs de la présence française en Algérie ».
Le XIXe siècle rêva d'une France plus grande. Le XXe siècle a effacé ce dessein. Il nous faut maintenant écrire les première pages du XXIe siècle et je souhaite que les fils des harkis prennent la plume pour participer à ce travail (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).
M. Jean-Marc Roubaud - Permettez-moi de féliciter notre collègue Diefenbacher pour la qualité de son rapport.
Monsieur le secrétaire d'Etat, la France a toujours eu du mal à regarder son histoire en face. C'est regrettable, mais il en a toujours été ainsi.
Je souhaite que ce débat nous donne l'occasion de changer l'image des rapatriés et des harkis, en complet décalage avec la réalité.
Je tiens à dire haut et fort que ces Français de l'autre rive de la Méditerranée ont toujours montré un attachement profond aux valeurs nationales. Ils ont beaucoup apporté à la France, et ont contribué à son rayonnement.
Je veux saluer l'action du Gouvernement et de M. Mékachéra qui a enfin défini une date officielle pour rendre hommage à tous ceux qui sont morts pour la France en Afrique du Nord. Le 5 décembre doit être considéré comme un premier pas. Il faut penser aussi à ceux qui ont disparu après les accords d'Evian et le cessez-le-feu du 19 mars.
Au-delà des réparations financières, nous devons valoriser le travail accompli durant plus d'un siècle par tous ces pionniers d'une France ambitieuse.
Je souhaite que le futur mémorial de Marseille permette d'éclairer cette période de 1830 à 1962 afin de montrer aux Français et à tous les peuples qu'on peut être fier des rapatriés et des harkis.
Les traces de la France en Algérie doivent, après tant d'années, être recensées afin d'établir la vérité historique, qui nous permettra de revoir les manuels scolaires en dehors de toute idéologie. La paix civique serait mieux établie dans notre pays, dans nos écoles et dans la cité si nous faisions connaître l'oeuvre de la France dans ses anciennes colonies.
Je tiens à saluer l'initiative prise par le Président de la République de vous inviter à ouvrir un vrai débat sur la question des rapatriés et des harkis. Cela n'a de sens que si nous débattons sans tabou. Nous devons aussi reconnaître les massacres de Français du 26 mars et du 5 juillet 1962. Cela fait quarante ans que traîne le problème des indemnisations. Aujourd'hui, forts d'une majorité importante au Parlement, ayons le courage de vider ce dossier. Soit nous avons les moyens d'accorder une juste indemnisation et dans ce cas, faisons-le. Soit le coût n'est pas supportable par les finances de la Nation et disons-le clairement. C'est une question d'honnêteté.
Nous devons renouer le dialogue avec les rapatriés et les harkis. Un projet simple et consensuel va être soumis au Parlement, ce qui est très bien.
Nous devons enfin revenir sur le traitement indigne réservé aux familles de harkis à leur arrivée sur le sol français. Je pense aux camps, comme celui de Saint-Maurice à Saint-Laurent-des-Arbres. Monsieur le secrétaire d'Etat, il y va de l'honneur du Parlement, du Gouvernement de la France (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).
M. Christian Vanneste - Le 11 novembre 1918, la France gagnait la guerre la plus coûteuse en vies humaines de son histoire. Le 8 mai 1945, contribuant à la défaite du nazisme, la France retrouvait son honneur grâce au général de Gaulle. A cette victoire prirent part les troupes musulmanes d'Afrique du Nord, en Italie notamment.
Le 19 mars 1962, entre le cessez-le-feu et l'indépendance, 80 000 à 150 000 musulmans qui avaient servi la France ont été assassinés dans d'horribles conditions. D'autres ont été emprisonnés et torturés. Notre pays les a abandonnés, au mépris de la parole donnée, alors que la France avait les moyens de les sauver. Certains officiers, d'ailleurs ont agi selon leur conscience et non seulement selon les ordres. Vingt mille chefs de famille seulement ont pu gagner la France. La dette contractée par notre pays est irréparable. Il s'agit d'un dette morale. Il y a ces morts, il y a ces réfugiés parqués dans des camps, ces familles que rien n'avait préparées à l'épreuve qu'elles ont vécue.
Les générations suivantes, victimes de l'exclusion, ont été contraintes de rompre avec leurs origines.
Il y a de l'autre côté - du nôtre - la honte et peut être la compassion, la solidarité.
Il s'est creusé un fossé que rien ne peut combler, mais que nous avons la volonté de réduire. Depuis 1962, des efforts, certes insuffisants, ont été faits. Comme l'a rappelé le Président de la République, ce fut toujours sous l'impulsion de ceux qu'on retrouve dans l'actuelle majorité (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) ; la loi de 1987, puis la grande loi de 1994 ont été des avancées considérables. Elles ont malheureusement été remises en question par la gauche, qui a empêché leur mise en oeuvre (Protestations sur les bancs du groupe socialiste).
M. François Loncle - Quel sectarisme !
M. Christian Vanneste - Nous devons donc remettre l'ouvrage sur le métier, dans une double perspective : reconnaître et réparer.
Reconnaître, c'est le sens de la 31e proposition du rapport. Je souhaite qu'on arrive rapidement à la création de la fondation dédiée à la mémoire des harkis. Il faudra en outre constituer un groupe de réflexion au sein de l'éducation nationale pour réhabiliter l'œuvre de la France outre-mer. Je souhaite qu'il y ait, au sein de ce groupe de réflexion, un représentant des harkis.
Réparer, cela signifie appliquer ce que certains appellent la « discrimination positive », et qui est tout simplement l'équité. Il n'est pas injuste de donner plus à ceux qui ont été victimes d'une plus grande injustice.
C'est pourquoi la loi Romani prévoyait des mesures spécifiques sur le logement ou les droits du conjoint survivant.
Tout en apportant mon soutien aux propositions de mes collègues Soisson et Vercamer, je veux insister sur la nécessité de donner un plus large accès à la formation et à l'emploi aux jeunes des deuxième et la date du 10 janvier 1973.
Les associations de rapatriés tiennent également à souligner que la CONAIR n'a pas donné entière satisfaction. Elle était adossée à trois circulaires d'application, ce qui a entraîné des procédures lourdes et des contentieux juridiques dans les dossiers de réinstallation. Les associations estiment que la notion de solidarité envers les rapatriés doit être refondue, de façon à clarifier les conditions d'éligibilité de leur dossier.
Elles proposent donc la mise en place de mesures telles que celles qui furent instituées par la loi de finances rectificative pour 1986 et par la loi du 12 juillet 1987. Ceci pourrait se caractériser par la remise automatique avec un plafond de 106 000 €. Toute somme dépassant ce plafond ferait l'objet d'une étude approfondie par la commission nationale.
Enfin, il me semble important que les parlementaires puissent être informés plus régulièrement sur les différentes dispositions mises en oeuvre par votre ministère.
Nous avons aujourd'hui le devoir de mettre fin à une situation qui n'a que trop duré. Ayons enfin le courage que n'ont pas eu nos prédécesseurs. Nous le devons aux rapatriés et aux harkis.
Le groupe UDF vous le demande. Il vous soutiendra (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe socialiste)
M. Maxime Gremetz - J'entends beaucoup parler du rapport de M. Diefenbaker...
M. le Président - Appuyez votre intervention sur un rappel au Règlement, ne serait-ce que pour la forme.
M. Maxime Gremetz - Ce n'est pas une question de forme. Le rapport de M. Diefenbaker, c'est l'arlésienne. Tout le monde en parle, personne ne l'a vu.
M. Georges Fenech - Le voici ! (M. Fenech brandit un volume).
M. le Président - Il n'est pas en vente libre mais vous le trouverez à la distribution.
M. Gérard Bapt - Quarante et un ans après l'indépendance de l'Algérie, quarante-sept ans après celle de la Tunisie et du Maroc, nous convenons tous que la dette morale et financière de la France envers ses rapatriés n'a toujours pas été acquittée. La polémique continue et s'est largement exprimée, même si M. Lachaud a essayé d'élever le débat à son réel niveau.
Le 17 avril 2002, M. Chirac, alors en campagne électorale, assurait dans une lettre aux associations de rapatriés que la situation des rapatriés non salariés et sur endettés avait été réglée par le dispositif Romani. Cela n'était pas exact.
La circulaire Romani introduisait pour la première fois l'obligation d'une contribution, adaptée à la capacité de remboursement et à la valeur des actifs de chacun. Cette mesure fut vécue par les rapatriés comme une seconde spoliation.
En 1996, le texte de suspension des poursuites, qui permettait aux rapatriés de « respirer » dans l'attente de l'examen de leur dossier a été purement et simplement abandonné par ce même M. Romani. Conséquence immédiate, la vente aux enchères de nombreux biens des rapatriés. Nous étions alors peu nombreux à essayer de lutter contre des technostructures sourdes à la douleur de nos compatriotes rapatriés.
C'est grâce à mon initiative, reprise par le gouvernement Jospin, que les textes de suspension de poursuites pour les rapatriés ont été remis en place en 1997. C'est sous cette même législature, et à mon initiative encore, que la rente viagère pour les veuves et anciens membres des troupes supplétives a été mise en place.
Mais il n'y a jamais eu la volonté politique durable pour régler définitivement les dossiers des rapatriés. Sans doute est-ce dû au remord, le plus souvent tu, face à la manière dont les harkis et les rapatriés ont été traités.
Grâce au président Mitterrand, dès 1982, le problème de l'amnistie totale a été abordé. Ce fut une avancée considérable pour les fonctionnaires et les militaires, y compris en ce qui concerne les décorations et la reconstitution de leur retraite. Mais rien n'a été envisagé pour les rapatriés issus du secteur privé, ce qui doit être corrigé.
Je ne peux que me féliciter si le mémorial est enfin concrétisé et je note avec satisfaction que le site de Marseille est retenu.
Le contentieux « rapatrié » a fait l'objet de 160 textes. Dans le même temps, nos partenaires italiens et espagnols ont depuis longtemps réglé cette question. Les italiens ont indemnisé leurs rapatriés à 100 %, alors que nos textes n'ont permis à ce jour qu'une indemnisation à 20 %.
Une quatrième et définitive loi d'indemnisation doit donc être votée, avec droit complémentaire à indemnisation et prise en compte des ventes à vil prix.
Il est également nécessaire de restituer aux rapatriés les sommes prélevées au titre de l'article 46 de la loi du 15 juillet 1970 et de l'article 3 de la loi du 2 janvier 1978. J'espère que nous pourrons en finir, au cours de cette législature, avec cette injustice.
Le dispositif de la rente viagère des veuves de harkis a été amélioré. Elle a été votée à l'unanimité sur ces bancs, et je souhaiterais que son montant soit à nouveau revalorisé. Du reste, s'agissant d'une allocation de reconnaissance versée sans condition de ressources, pourquoi demander, comme cela se fait en Haute-Garonne, moult papiers aux intéressés ? Quoi qu'il en soit, la communauté harkie attend toujours le règlement de l'indemnisation forfaitaire promise en 1995 par le candidat Jacques Chirac. En 1987, le même Jacques Chirac, alors Premier ministre, avait mobilisé 30 milliards de francs au titre de l'indemnisation des biens, mais la somme n'a été que partiellement débloquée. Les harkis attendent toujours le complément promis de 3 milliards.
J'en viens aux difficulté liées à la réinstallation et au fonctionnement de la CONAIR. La circulaire Romani du 28 mars 1994 a introduit la notion de surendettement, que les rapatriés ont ressentie comme une nouvelle spoliation. Elle signifie en effet que l'aide ne peut être octroyée que si l'actif ne peut combler le passif, ce qu'aucun texte antérieur n'avait jamais envisagé. Voilà pourquoi il ne faut pas se contenter d'améliorer le fonctionnement de la CONAIR, mais aussi réformer tout le dispositif : à ce jour, trente dossiers seulement se trouvent en situation d'apurement ! Or, l'endettement est souvent le corollaire de la réinstallation. Une décision rapide permettrait d'obtenir des créanciers des abattements totaux des pénalités, et sensibles du capital. Comme l'avait voulu Pierre Bérégovoy dès 1992, il convient d'utiliser les dispositions de droit commun relatives aux entreprises en difficulté, de sorte que les créanciers soient conduits à renoncer à l'ensemble des pénalités et des frais.
Dans le même esprit, Pierre Bérégovoy incitait préfets et TPG à user du système du crédit d'impôt pour les sommes restant dues aux créanciers. Ce mécanisme permettrait à l'Etat de n'avoir aucune inscription budgétaire à traiter, et, au contraire, de percevoir des rentrées fiscales, calculées sur les sommes que les établissements bancaires créanciers ne passeraient plus en profits et pertes ! C'est pourquoi je proposerai demain un amendement à la LFR pour 2003, reprenant la proposition des associations de rapatriés qu'une remise automatique de dettes soit consentie à concurrence de 106 000 €. J'engage mes collègues de la majorité à la reprendre, car je sais que le ministre du budget sera plus attentif à une proposition émanant des bancs de la majorité... Un dispositif de remise automatique permettrait aussi de désengorger les CODAIR, aujourd'hui submergées par les dossiers.
M. Kléber Mesquida - Excellente proposition !
M. Gérard Bapt - Il serait juste d'étendre aux pupilles de la nation le bénéfice de l'effacement total des dettes professionnelles, prévu par l'article 44 de la LFR pour 1986.
J'en termine en évoquant le douloureux problème des 3 000 disparus. Un grand geste de reconnaissance et de solidarité consisterait à attribuer à leurs familles le même niveau d'indemnisation que celui attribué aux victimes de la Shoah par le gouvernement Jospin, lequel va être étendu à juste titre, à l'initiative du Gouvernement, à l'ensemble des familles victimes de la déportation. Monsieur le ministre, il faut entendre les associations de rapatriés et accepter qu'une commission paritaire soit mise en place, pour établir la vérité historique et prendre en considération le sort de ces familles à jamais plongées dans un deuil impossible à accomplir.
La volonté de résoudre les problèmes que continuent de rencontrer nos compatriotes rapatriés doit nous conduire à dépasser les clivages partisans. J'espère que le projet de loi qui nous sera soumis l'an prochain sera largement discuté et amélioré par le Parlement, afin que ce douloureux dossier soit clos dans la dignité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).
La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu, ce soir, à 21 heures 30.
La séance est levée à 19 heures 50.