ENTRETIEN AVEC JEAN-FRANCOIS COLLIN DE L'ADIMAD
 
 

Jean-François Collin


69 ans, président de l'Adimad (Association pour la défense des intérêts moraux et matériels des anciens détenus de l'Algérie française). « Nous devons rendre hommage à nos camarades. »
Quel est le rôle de votre association ? Jean-François Collin : Elle a été créée par le général Salan en 1967 et elle est destinée aux combattants de l'Algérie française et aux anciens détenus. Nous commémorons la mémoire de nos camarades car nous considérons que ce devoir de mémoire est imprescriptible.

     
C'est notre combat, ce sont nos morts. En revanche, il n'est pas question de faire du prosélytisme.
Comment êtes vous rentré dans l'OAS ? Je suis né à Alger et je voulais défendre ma patrie. Le 13 mai 1958, j'ai défoncé les grilles du gouvernement général avec un camion de l'armée. Ensuite, on a compris que la politique de De Gaulle n'était pas la nôtre. J'ai été appelé chez les parachutistes, où j'ai été blessé, puis je suis rentré dans l'OAS métropole. Arrêté en 1962, j'ai fait cinq ans de prison.
Que pensez-vous des polémiques soulevées par les stèles en faveur de l'OAS ?
A froid, cinquante ans plus tard, l'action de l'OAS peut paraître critiquable, mais il faut se remettre dans le contexte de la violence de l'époque. Aujourd'hui, nous sommes considérés comme des parias. On n'a jamais vu un pays abandonner ses ressortissants ou, comme à Oran, laisser se faire enlever près de 3 000 Européens devant une armée qui reste l'arme au pied. Comment voulez-vous qu'il n'y ait pas un sentiment d'injustice profonde ? Nous sommes considérés comme des citoyens de seconde zone.
Les anciens de l'OAS ne regrettent rien

Des dizaines d'attentats quotidiens, des combats de guérilla urbaine, le tout sur fond d'exode massif de 1 million de Français : durant les quatorze derniers mois de l'Algérie française, l'OAS (Organisation armée secrète), qui rassemble les plus ultras des Européens et des militaires en rupture d'armée, ensanglante Alger et Oran. Parti d'un pays livré à la violence depuis sept ans, ce sursaut meurtrier se propage jusqu'en métropole, où l'OAS assassine 71 personnes et initie les « nuits bleues » en multipliant les attentats contre les domiciles de personnalités et les journaux qui dénoncent son action. Enfin, ultime mission de ses derniers commandos, assassiner le traître absolu, appelé par une dérision au parfum raciste « la grande Zohra », le général de Gaulle, président de la République condamné à mort par l'OAS pour avoir abandonné l'Algérie. De fait, leur ultime tentative, l'attentat du Petit-Clamart, fut tout près de réussir en août 1962, alors que l'Algérie était indépendante depuis quelques semaines.


Qui étaient ces hommes ?


Le Point a rencontré quelques-uns des derniers acteurs et témoins de l'Organisation armée secrète. Toutefois, la plupart des plus intéressants, ou des plus lucides, sont morts, comme le colonel Yves Godard, ancien directeur de la Sûreté à Alger en 1957 et placé à la tête de l'état-major de l'Organisation à Alger, ou le capitaine Sergent, chef de l'Organisation en métropole et devenu député en 1986. Engagés à partir du printemps 1961 et jusqu'en juillet 1962 dans une spirale de la violence où vont surtout être assassinés des musulmans-à 90 %-, souvent membres du FLN, mais aussi les policiers chargés de la lutte anti OAS et des Européens libéraux favorables à l'indépendance. Sans oublier la guérilla avec les « barbouzes » gaullistes, sorte d'agents secrets contre-terroristes, et les gendarmes mobiles, voire l'armée elle-même. Le bilan de ce combat désespéré de l'OAS est lourd : 2 200 victimes et près de 13 000 attentats. Dans ses rangs, une centaine de morts, dont quatre fusillés, vénérés aujourd'hui par certains survivants de la dernière guerre civile qu'a connue la France. Dans plusieurs villes du Sud, des stèles à la mémoire des combattants de l'OAS sèment aujourd'hui la discorde

« Je suis favorable à ces stèles, à ce devoir de mémoire, d'autant que les pouvoirs publics, avec la complicité des médias, ont constamment présenté l'OAS comme un mouvement fasciste alors qu'il s'agissait de gens désespérés à l'idée de quitter leur pays et majoritairement de gauche », affirme aujourd'hui Jean-Jacques Susini, 75 ans, dans son confortable appartement parisien, réinterprétant l'Histoire à sa façon. A l'époque jeune étudiant en médecine actif dans la droite la plus extrême, comme nombre des membres de l'OAS, il passe pour être son cerveau. Deux fois condamné à mort, amnistié, il ne regrette rien de la violence employée : « Il faut ce qu'il faut ou alors on n'y va pas. Il y a eu des erreurs. Mais faire des choix subtils était difficile compte tenu de l'angoisse qui régnait et des événements qui se précipitaient. » A-t-il tué lui-même ? « Je vous répondrai que non », répond-il dans un mince sourire. Les derniers activistes rencontrés aujourd'hui assument de s'être battus les armes à la main. « Je ne suis pas fier d'avoir fait certaines choses mais c'était la guerre. Si on fait la guerre, tous les coups sont permis , dit Pierre Dubiton, 66 ans, ancien légionnaire parachutiste passé à l'OAS. Et puis cela faisait sept ans qu'on se faisait massacrer sans rien dire. On leur a rendu la pareille pendant à peine un an, alors... »


Rendu la pareille à qui ?


Principalement aux nationalistes algériens organisés dans le Front de libération nationale (FLN) et pratiquant un terrorisme sanglant, mais aussi, et de plus en plus, aux forces de l'ordre et à l'armée françaises, fidèles pour leur très grande majorité à l'autorité légitime et chargées de lutter contre l'Armée secrète. Ce combat sur deux fronts suffisait à condamner l'OAS à l'échec.

Ce qui deviendra l'OAS est en germe dès la montée en puissance de la guerre en Algérie, c'est-à-dire à la fin de 1956, deux ans après son déclenchement. La Tunisie et le Maroc sont désormais indépendants, l'expédition franco-britannique de novembre 1956 à Suez pour contrer le nationalisme égyptien a tourné court, à la frustration des cadres de l'armée précédemment vaincue en Indochine. Quel sera le sort des départements français d'Algérie ? La question se pose de façon de plus en plus pressante pour beaucoup de ces officiers désormais en poste en Algérie, et surtout, en termes angoissants, au million d'Européens qui y sont établis parfois depuis plusieurs générations. Le cycle des attentats et massacres perpétrés par le FLN et de la répression de plus en plus dure conduite par l'armée sur ordre du gouvernement trouve son point d'orgue en 1957, dans la bataille d'Alger menée par les unités du général Massu, dont nombre d'anciens d'Indochine se retrouveront dans l'OAS. Au fond, la « victoire » de 1957 contre le FLN leur a ensuite été volée, estiment-ils. Alors s'impose l'idée qu'il faut « garder » l'Algérie, à n'importe quel prix. On saura plus tard lequel.

En effet, le « Je vous ai compris » lancé par de Gaulle le 4 juin 1958 à la foule massée devant le gouvernement général à Alger ouvre le temps des ambiguïtés. C'est à la faveur de la crise algérienne, que la IVe République était impuissante à régler, que le Général est revenu aux affaires. En Algérie, on est fondé à croire que la présence française va s'en trouver consolidée. Las, le 16 septembre 1959, le président de la République propose la voie de l'autodétermination, « le gouvernement des Algériens par les Algériens », qui ne peut conduire qu'à l'indépendance. Jean-Jacques Susini a son explication : « Ça a été le dégagement pur et simple, sans se préoccuper de rien. Il voulait la force de frappe, et voir le prestige de la France rétabli entre les deux grandes puissances, Etats-Unis et URSS. De plus, il n'avait aucune sympathie pour les Européens d'Algérie et que du mépris pour les militaires. » En janvier 1960, les « ultras » du Front national français, future OAS, provoquent à Alger la « semaine des barricades », manifestation destinée à faire pression sur le gouvernement et qui tourne à l'insurrection, faisant 22 morts. Susini et l'ancien leader étudiant et député Lagaillarde se retrouvent en prison. L'obsession des activistes, faire « basculer » l'armée du côté de l'Algérie française contre de Gaulle, a échoué.

Le 8 janvier 1961, 75 % des Français votent oui au référendum sur l'autodétermination de l'Algérie. Trois semaines plus tard, réunis à Madrid autour du général Salan, ancien commandant en chef en Algérie désormais hostile à la politique officielle, Susini, Lagaillarde et quelques acolytes fondent l'OAS, fusion de tous les mouvements extrémistes existant en Algérie. Car les activistes n'ont pas attendu ce jour de 1961 pour répondre aux actions des partisans FLN. Le premier tract de l'OAS, du 28 février, donne le ton : « La dernière heure de la France en Algérie est la dernière heure de la France dans le monde, la dernière heure de l'Occident... Nous savons que l'ultime combat approche. » A l'OAS, idéologues et mythomanes croisent des artisans et commerçants pieds-noirs de bonne foi, des « soldats perdus », des industriels très entreprenants et des hommes de main.


La débâcle


Ils croient trouver un dernier espoir dans le putsch déclenché à Alger le 21 avril 1961 par les généraux Challe, Jouhaud et Zeller, bientôt rejoints par Salan, avec derechef l'Algérie française pour mot d'ordre, alors que viennent d'être annoncées des négociations prochaines entre le gouvernement français et les indépendantistes algériens. Là encore, c'est l'échec, l'armée ne basculera pas. Dès lors les activistes, Salan et Jouhaud à leur tête, entrent dans la clandestinité et ne cherchent plus de recours que dans la violence, destinée à empêcher toute solution négociée.

En dépit d'un organigramme impressionnant, d'un journal, d'une radio pirate et de commandos Delta bien armés et prêts à tout sous la conduite du lieutenant Degueldre, un héros qui a mal tourné, l'OAS n'existera qu'à Alger et Oran. Bien sûr, elle dispose du soutien de nombreux pieds-noirs qui se réjouissent de voir les murs des villes couverts du sigle de l'organisation et de son martial « L'OAS frappe où elle veut, quand elle veut ». Mais les pieds-noirs sont plus bruyants qu'efficaces. Certains cadres de l'armée, sévèrement épurée, lui demeurent également favorables ainsi que quelques hommes politiques comme Jacques Soustelle ou Georges Bidault, opposés à la politique de De Gaulle. Mais en métropole, le 8 février 1962, une immense manifestation qui se termine tragiquement au métro Charonne témoigne du rejet suscité par les attentats de l'OAS.

Au total, qu'ils soient sympathisants ou actifs, 10 000 membres de l'OAS passeront par la case prison et 3 682 seront condamnés. C'est peu, pour 1 million de pieds-noirs. Mais quelques centaines d'hommes déterminés suffisent pour déchaîner la terreur. « On a commencé par les plastiquages, pour intimider ou punir mais sans faire de victimes », explique Gaby Anglade, qui commanda l'un des neufs commandos Delta (voir page 76). Il y a également les
hold-up, pour financer la cause. Mais surtout, au fur et à mesure des négociations qui ont lieu en France entre le gouvernement et le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), on passe aux « opérations ponctuelles », c'est- à-dire les assassinats « ciblés » tout d'abord, puis, au fur et à mesure de la débâcle qui s'installera, de plus en plus massifs et anarchiques, d'autant que l'Organisation est loin d'être unifiée.

L'aventure de l'OAS se termine au printemps 1962. Le 18 mars, les accords d'Evian instituant l'indépendance de l'Algérie sont signés. Le 26 mars 1962, une manifestation d'Européens tourne au carnage à Alger. La veille, le général Jouhaud a été arrêté à Oran, ce sera ensuite le tour de Roger Degueldre le 7 avril, puis du général Salan le 20 avril. L'OAS est décapitée.


« Une ville aveugle. »


« J'ai été dans les derniers à partir, témoigne aujourd'hui Jean-Pierre Ramos, parachutiste déserteur et ancien chef de commando Delta. Alger était comme une ville aveugle. Des rues vides, des gens courant pour se rendre chez les commerçants qui n'ouvraient plus qu'une heure par jour. Certains d'entre nous qui n'avaient pas d'argent pour fuir voulaient les dévaliser. J'ai dû leur mettre mon calibre sur la tête pour qu'ils arrêtent. » Résultat, la vague de départs des Européens épouvantés prend une ampleur désastreuse. En métropole, ce sont les attentats contre de Gaulle qui marqueront les dernières convulsions de l'OAS.

Ce sera ensuite la cavale, pour beaucoup en Espagne, et la prison pour les autres, jusqu'à ce que l'amnistie, décidée par le général de Gaulle en 1968, tourne enfin la page de ce chapitre sanglant de la présence de la France en Algérie


Chronologie


1954 : début de l'insurrection algérienne.
Janvier 1957 : bataille d'Alger menée par le général Massu contre le FLN.
4 juin 1958 : célèbre discours de De Gaulle à Alger : « Je vous ai compris ».
16 septembre 1959 : de Gaulle propose la voie de l'autodétermnation à l'Algérie.
Janvier 1960 : les partisans de l'Algérie française provoquent l'insurrection dite « semaine des barricades ».
8 janvier 1961 : 75 % des Français votent oui au référendum sur l'autodétermination.
11 février 1961 : création de l'OAS à Madrid.
21 avril 1961 : putsch des généraux.
8 février 1962 : large manifestation parisienne contre les attentats de l'OAS, qui frappe aussi en métropole.
18 mars 1962 : les accords d'Evian instituent l'indépendance de l'Algérie.
22 août 1962 : attentat raté contre le général de Gaulle au Petit-Clamart.

   
Source : http://www.lepoint.fr/actualites-societe/les-anciens-de-l-oas-ne-regrettent-rien/920/0/293320
Publié le 20/11/2008 N°1888 Le Point , Les anciens de l'OAS ne regrettent rien
Laurent Theis. Enquête François Malye

   

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