Rapport portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français Rapatriés projet de loi n°1499 Poursuivre l'effort de solidarité envers les harkis, Reconnaitre l'oeuvre Française Outre Mer,  
  II.- POURSUIVRE L'EFFORT DE SOLIDARITÉ ENVERS LES HARKIS
Trois articles du projet de loi traitent plus spécifiquement de la situation des anciens supplétifs de l'armée française en Algérie ou harkis. Sans créer à leur endroit de droits nouveaux, ils renforcent substantiellement les dispositifs actuels dans le sens d'un plus grand effort de solidarité de la nation envers cette catégorie de la population.
Les harkis ont fait de la part de l'Etat l'objet d'une reconnaissance tardive. Depuis l'adoption de la loi n° 61-1439 du 26 décembre 1961 relative à l'accueil et à la réinstallation des Français d'outre-mer qui donne la définition juridique de la qualité de « rapatrié »6 jusqu'à l'adoption de la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987 relative au règlement de l'indemnisation des rapatriés, le droit n'établissait aucune distinction parmi les rapatriés.
Pour la première fois, la loi de 1987 susmentionnée, votée sous le gouvernement de M. Jacques Chirac, Premier ministre, a mis en place un régime particulier d'indemnisation pour les anciens membres des formations supplétives de l'armée française ou harkis. D'abord entendue dans un sens restreint, limitée aux personnes ayant servi, en Algérie, dans les formations supplétives combattantes7, la catégorie a rapidement été étendue - par une circulaire de 1989 - à tous les anciens membres des formations supplétives, qualifiés d'« assimilés », que celles-ci aient ou non un caractère combattant, la discrimination n'étant dès lors plus fondée que sur le statut de la personne au moment de l'indépendance, à savoir son rattachement au statut personnel de droit local.
Dès lors, a été mis en place un dispositif spécifique de réparation en faveur des harkis légitimement fondé en droit sur le caractère particulier des préjudices qu'ils ont eu à subir. Ce dernier a essentiellement pris la forme de deux types de mesures : l'attribution d'indemnités au titre du droit à réparation et la mise en œuvre de mesures spécifiques en matière de logement, de formation et d'emploi.
Le projet de loi s'efforce de renforcer le dispositif existant dans ces deux directions en revalorisant l'allocation de reconnaissance (article 2), en prorogeant les mesures spécifiques en faveur du toit familial (article 3) et en étendant le bénéfice de ces mesures aux harkis qui n'ayant pas acquis la nationalité française avant le 10 janvier 1973 bien qu'ayant, depuis cette date, continuellement résidé sur le territoire de la communauté européenne, en avait jusqu'alors été écartés (article 4).
Si le rapporteur prend acte de la volonté du gouvernement, il souhaite néanmoins faire part de quelques réserves.
Ainsi, concernant la revalorisation de l'allocation de reconnaissance (article 2), il n'apparaît pas opportun de mettre les harkis devant une alternative difficile : ou bien conserver le bénéfice de la rente viagère portée à 2 800 euros par an (au lieu de 1 830 euros) ou bien renoncer à celle-ci au profit du versement d'un capital de 30 000 euros. Il serait plus conforme aux attentes actuellement exprimées par les harkis de leur laisser la possibilité de choisir entre trois propositions (étant entendu que l'équilibre budgétaire du projet de loi ne serait pas modifié) : soit le choix du bénéfice de la rente dont le montant serait doublé, soit le choix d'un capital de 30 000 euros, soit le choix en faveur d'une formule mixte associant le bénéfice de la rente à son niveau actuel et le versement d'un capital minoré de 20 000 euros.
La prorogation des mesures spécifiques en faveur du « toit familial » telle qu'elle est formulée à l'article 3 du projet de loi suscite également des interrogations. En raison de l'âge de la population harkie de la première génération, il est bien évident que la réouverture de l'aide à l'acquisition d'un logement - laquelle constitue le cœur du dispositif logement en faveur des harkis - risque de s'avérer de nul effet puisque d'ores et déjà les établissements bancaires refusent de consentir des prêts à ces personnes.
Se pose ainsi une question plus générale qui est celle de l'extension à la seconde génération de la population harkie des mesures mises en place pour la première. A bien des égards, l'alternative qui se présente au législateur est la suivante : soit, et comme le réclament certaines associations, il ouvre de nouveaux droits dérogatoires au droit commun et non fondés sur un fait générateur légitime en offrant aux enfants de harkis le bénéfice des dispositifs initialement conçus pour leurs parents ; soit, conscient des difficultés rencontrés par les harkis de la deuxième génération eu égard aux conditions dans lesquelles ils ont été élevés et de la nécessité de les soutenir en matière scolaire ou professionnelle tout en refusant de les marginaliser, le législateur s'oppose à étendre un peu plus à leur profit - comme cela a déjà été fait par le passé - un droit à réparation attaché à la personne de leurs pères et préfère substituer à cette extension une politique non fondée sur une discrimination mais faite de volontarisme.
C'est cette approche, qui associe le respect des principes qui fondent notre République et la nécessité de rendre effectifs les droits inscrits dans la loi, que le rapporteur entend favoriser, en proposant notamment que les aides au logement puissent être versées aux enfants des harkis qui hébergent leurs parents dans leur résidence principale lorsque celle-ci est possédée en indivision par la famille.
Le rapporteur entend également que, sans déroger aux principes qui viennent d'être énoncés, l'effort de solidarité en faveur des harkis soit poursuivi en matière de formation et d'emploi. A ce titre, il souhaite faire inscrire dans la loi l'existence des bourses complémentaires de l'éducation nationale en faveur des harkis qui ont été supprimées pour défaut de base légale suite à un arrêt du Conseil d'Etat de décembre 2003.
Enfin, participe aussi de l'effort de solidarité de la Nation envers la composante harkie de la population française, l'exigence du respect dû aux hommes et à leurs familles qui ont fait le choix de la France une fois la parole donnée aux armes. Le rapporteur souhaite que la loi rappelle ce qui n'aurait jamais dû cesser d'être une évidence : que l'injure envers les harkis n'est pas permise, a fortiori lorsqu'elle prend principe de ce que les calomniateurs veulent voir comme une honte mais que la France n'estime pas autrement que comme un honneur.
III.- RECONNAÎTRE L'OEUVRE FRANÇAISE OUTRE-MER
En dernier lieu, et ce n'est pas le moindre de ses mérites, le projet de loi consacre un article à la politique de la mémoire dont la brièveté est inversement proportionnelle à la force du symbole qu'il représente puisque, pour la première fois, la Nation exprime sa reconnaissance à toutes celles et à tous ceux qui ont participé à l'oeuvre accomplie par la France outre-mer (article 1er).
De nombreux rapatriés se plaignent des déformations que les grands médias nationaux font parfois subir à l'histoire qu'ils ont contribué à écrire. Ainsi, la période coloniale semble n'être envisagée que sous ses aspects les plus sombres. La présence française en Algérie, lorsqu'elle est évoquée, se résume bien souvent à l'épisode de la guerre d'indépendance, elle-même réduite à n'être traitée que sous l'angle des pires atrocités et notamment de la torture.
Plus largement, on peut redouter que l'image du colon riche et arrogant, peu en accord avec les souvenirs des rapatriés, vienne se substituer à une réalité plus prosaïque de nombreux Français vivant modestement en harmonie avec la population autochtone.
Le temps semble enfin venu de porter un regard apaisé sur cette page importante - par sa durée et son retentissement - de l'histoire de France. Il n'appartient pas à l'Etat de dire l'histoire, ni de favoriser une lecture des événements plutôt qu'une autre : ces travaux sont le privilège de l'historien. Responsable de la cohésion nationale, il lui appartient par contre de mettre en œuvre les moyens propres à créer un climat propice à rassembler les Français autour de leur passé, c'est-à-dire de mettre en place les éléments susceptibles de permettre une lecture sereine de l'histoire.
La reconnaissance législative de l'œuvre accomplie outre-mer par la France et les Français est un premier pas dans cette voie. Elle n'est pas la seule.
Au même titre qu'il a rendu hommage aux soldats morts pour la France durant la guerre d'Algérie et les combats en Tunisie et au Maroc avec l'institution d'une date d'hommage fixée au 5 décembre et qu'il a reconnu les sacrifices consentis par les harkis au moment de l'indépendance de l'Algérie, l'Etat se doit de rendre solennellement hommage à tous les rapatriés et à leurs familles sans distinction d'aucune sorte et de reconnaître les souffrances qu'ils ont endurées. Tel est le souhait du rapporteur.
L'Etat doit également favoriser par tous les moyens une meilleure connaissance de l'épopée ultramarine française.
A cet égard, le rapporteur soutient pleinement la création du Mémorial de la France d'outre-mer en cours de réalisation à Marseille, dont c'est précisément la vocation.
Les parlementaires sont en outre très attachés à la création d'une fondation publique - annoncée dans l'exposé des motifs du présent projet de loi - dont la mission principale sera de retracer et de mettre en lumière la réalité des événements d'Afrique du Nord, de diffuser auprès du grand public l'histoire et la culture des rapatriés - y compris celles des harkis - et de transmettre l'héritage dont ils sont porteurs. Nombreux parmi les députés sont ceux qui souhaitent que la constitution de cette fondation entre dans le cadre de la loi.
De la même façon, l'ouverture aux familles, longtemps annoncée et désormais effective, des dossiers concernant les personnes disparues en Algérie au moment de la guerre d'indépendance, conservés dans les archives nationales tant à Paris qu'à Nantes est un élément très positif dans la quête permanente et légitime de la vérité exprimée depuis tant d'années par cette catégorie particulièrement éprouvée des rapatriés.
Enfin, et dans le but d'affirmer d'ores et déjà une politique volontaire en matière de politique de la mémoire en direction des rapatriés, le rapporteur souhaite inscrire dans la loi que les programmes scolaires et de recherche universitaire accordent une place significative à l'histoire de la France d'outre-mer.
En conclusion, le rapporteur exprimera trois recommandations :
- La première concerne la Commission nationale d'aide au désendettement des rapatriés réinstallés (CNAIR). Il apparaît essentiel que celle-ci puisse achever promptement la mission qui est la sienne d'examen de l'éligibilité des dossiers des rapatriés au dispositif de désendettement avec, au moment de rendre sa décision, le souci toujours présent de respecter les orientations données au préalable par les commissions départementales d'aide au désendettement des rapatriés réinstallés (CODAIR) sur chacun des dossiers et de prendre en compte les drames humains dont ils sont le témoignage comptable.
- La deuxième concerne l'attention qui doit être portée à certaines catégories de rapatriés dont la situation singulière a fait qu'ils ont échappé, jusqu'à présent, aux dispositions générales prises en faveur des rapatriés : les « harkis » d'origine européenne, les femmes de harkis séparées ou divorcées, les enfants de rapatriés étrangers ou encore les médecins rapatriés - dont le régime de retraite contient encore quelques lacunes - sont dans ce cas-là. La représentation nationale doit veiller à alerter le gouvernement sur leur sort, de sorte que des solutions aux difficultés rencontrées par chacune de ces personnes puissent être trouvées au niveau réglementaire.
- Enfin, et ce n'est pas la moindre des recommandations, il apparaît essentiel de poursuivre et d'amplifier les efforts actuellement entrepris par le gouvernement pour réhabiliter les cimetières français en Algérie : effort financier, certes, relayé parfois pas les collectivités locales - telles que les communes de Marseille ou de Bordeaux - mais surtout un effort de mobilisation des énergies autour de l'un des chantiers les plus emblématiques qui soit de la politique de la mémoire : la sauvegarde des tombes de nos morts.
Ainsi avec ce projet de loi, augmenté des avancées que les députés proposeront et ne manqueront pas d'obtenir au cours du débat en séance publique, tous les engagements du Président de la République, M. Jacques Chirac, envers les rapatriés seront-ils tenus.
La représentation nationale devait bien cela aux populations rapatriées d'origine européenne et harkie unies dans une même communauté de destin, meurtries par le passé mais désormais intelligemment tournées vers l'avenir.
Reste la perspective d'achever un jour l'oeuvre d'indemnisation. Si chacun a bien compris que tel n'était pas l'objet de ce texte, le sentiment de révolte contre l'injustice, qui a guidé l'action du gouvernement et celle du Parlement depuis le débat du mardi 2 décembre 2003, doit conduire la représentation nationale à laisser entrouverte la porte de l'espoir et à prendre l'initiative de « réveiller » l'esprit des accords d'Evian qui faisait de l'Algérie l'acteur principal de la réparation.
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