Le temps de la dénégation des crimes du FLN va-t-il enfin cesser ?
 
 
           
 
 

Les ambassadeurs se suivent et se ressemblent, pourrait-on conclure à la lecture des derniers propos de l'ambassadeur de France en Algérie, Bernard Bajolet, tenus à Sétif le 27 avril 2008. Après son prédécesseur, Hubert Colin de Verdière, qui qualifiait de « tragédie inexcusable » la répression des massacres d'Européens à Sétif en 1945, son successeur se charge d'enfoncer en quelque sorte le clou en soulignant « la très lourde responsabilité des autorités françaises de l'époque dans ce déchaînement de folie meurtrière faisant des milliers de victimes innocentes presque toutes algériennes ». « Aussi durs que soient les faits, avait conclu l'intéressé, la France n'entend plus les occulter, le temps de la dénégation est terminé ». Ces propos qui jalonnent à l'évidence le parcours d'une repentance qui ne dit pas son nom pourraient paraître inhabituels voire inexcusables de la part de diplomates français, si l'on ne savait pas qu'ils s'inscrivent dans une véritable démarche du président de la République qui, en fait, les a inspirés et autorisés.
Comment ne pas se rappeler, en effet, que la déclaration de M. Bajolet intervient cinq mois à peine après le fameux discours tenu par Nicolas Sarkozy, à l'Université de Constantine, dans lequel il avait évoqué les « fautes et les crimes du passé colonial de la France en Algérie qualifiés d'impardonnables ?

   
Aquarelle Pierre Ravisi
Certes, pour faire bonne mesure on rappelle toujours opportunément qu'il ne saurait être question de laisser à penser que condamner le système colonial c'est aussi condamner les Français nés en Algérie. Mais l'Algérie, elle, ne s'y trompe pas, elle qui se satisfait peu de ces demi-aveux et de cette repentance honteusement proclamée. Il faut aller plus loin et reconnaître, une fois pour toutes, les crimes de la France et de sa stratégie génocidaire en Algérie de 1830 à 1962, exige le président Bouteflika et ses commensaux. Alors, si nous n'en sommes pas tout à fait encore à ce stade ultime, il nous faut bien reconnaître que, Union méditerranéenne oblige, le président de la
République a effectué Thierry Rolando une vraie rupture depuis son discours de Toulon, mettant en exergue l'oeuvre française outre-mer. Tous ses actes, toutes ses déclarations, tous ses pas menés en direction de l'Algérie visent en fin de compte à reconnaître ce qu'il nous avait dit ne jamais vouloir accepter, à savoir la responsabilité de la France et de ceux qui l'ont servie Outre-mer. Il serait bon de rappeler au président de la République qu'il n'est jamais porteur de tourner le dos à ceux auxquels on a tant promis; qu'il n'est jamais bon pour l'amitié entre les peuples d'être exigeant pour soi-même et de ne rien exiger de l'autre; qu'il n'est jamais bon de donner à croire que l'on refusera toute repentance alors qu'en un an seulement cette idée a fait un pas de géant. Alors, M. le président de la République, en politique étrangère comme en politique nationale, il faut du courage. Celui-ci dans vos relations avec le président Bouteflika et avec l'Algérie vous a singulièrement fait défaut à la grande déception de l'immense majorité de la communauté pied-noire, de ceux, en particulier, qui ont laissé un être cher assassiné ou disparu de l'autre côté de la Méditerranée.
Alors, en leur nom, pouvons-nous aujourd'hui vous demander de répondre tout simplement à cette question : le temps de la dénégation des crimes du FLN va-t-il enfin cesser ?
Thierry Rolando (Cercle Algérianiste)
 
Discours Bernard Bajolet ambassadeur de france à guelma 27 avril 2008
 
Monsieur le Wali, Monsieur le Recteur de l’Université, Messieurs les Recteurs des Universités de Skikda et Biskra, Monsieur le Recteur du Centre universitaire d’Oum el Bouaghi, Monsieur le Président de l’Université de Strasbourg II, Chers professeurs, Chers étudiantes et étudiants, Mesdames et Messieurs,
C’est un grand honneur pour moi d’être reçu aujourd’hui au sein de l’Université du 8 mai 1945 à Guelma. Vous m’offrez aussi, Monsieur le Recteur, le privilège d’être entendu par vos professeurs et vos étudiants. Je vous en remercie du fond du cœur.
J’ai tenu à vous rendre cette visite pour plusieurs raisons.
La première tient à ma conviction qu’en Algérie comme en France, la jeunesse est un atout essentiel pour chacun de nos deux pays. Sa formation est la clé de leur développement. La coopération dans ce domaine est au cœur des relations entre nos deux pays et cette priorité est affirmée dans la Convention de Partenariat signée en décembre dernier à l’occasion de la visite d’Etat du Président de la République française. « Il n’est de force, ni de richesse que d’hommes », disait Jean Bodin il y a déjà plus de quatre siècles.
Je sais les formidables efforts que les autorités et les responsables universitaires déploient pour mener à bien la réforme de l’université algérienne et relever les défis, quantitatifs et qualitatifs, qui se présentent à elle. La récente loi sur l’enseignement supérieur votée par le parlement algérien, les importants programmes d’investissement et l’engagement remarquable des responsables d’université et des enseignants en sont le témoignage.
Ici à Guelma, l’Université du 8 mai 1945 est une illustration concrète de ces efforts. Que de chemin parcouru en effet depuis que l’Institut national d’enseignement supérieur en chimie industrielle est devenu l’Université de Guelma en 2001 ! Plus de quatre cents enseignants permanents, 13500 étudiants, 3 facultés et 22 départements ; la réforme LMD en marche ; un partenariat engagé dans 9 écoles doctorales ; 51 équipes de recherche avec 169 chercheurs, et sans doute ces chiffres sont-ils déjà dépassés. A l’énoncé de tous ces chantiers ouverts, je ne doute pas, Monsieur le Recteur, que vous suscitiez quelque envie chez votre collègue Président de l’Université de Strasbourg II, aujourd’hui présent parmi nous.
Je puis vous assurer que la France est et sera à vos cotés dans la formidable entreprise que vous avez engagée, et la France, c’est son gouvernement et son dispositif de coopération, mais ce sont aussi ses universités.
Les recteurs présents dans cette salle, le président de Strasbourg II, le représentant de l’INSA de Lyon, les professeurs, peuvent en témoigner, comme en témoigne aussi la signature, qui coïncide avec mon déplacement à Guelma, d’un important accord de coopération entre les universités de Guelma, Biskra, Skikda, le centre universitaire d’Oum El Bouaghi et l’Université Marc Bloch de Strasbourg.
A ce propos, je tiens à remercier les recteurs et le président de l’Université Marc Bloch qui ont accepté de bousculer quelque peu leur programme pour que cette signature, initialement prévue à Oum El Bouaghi, prenne place à l’occasion de ma visite dans l’enceinte de cette Université.
Je me réjouis de la signature de cet accord, remarquable parce que quadripartite, qui va renforcer, à Guelma, une coopération franco-algérienne déjà importante avec 22 conventions ou accords inter-universitaires associant votre université à des établissements français. Cet accord, qui porte sur des disciplines relevant des sciences humaines (littérature, sociologie, archéologie), élargit le champ de notre coopération. Au cours de cette même semaine, un atelier se tiendra au sein de l’Université de Guelma avec le concours de l’INSA de Lyon, montrant la vitalité de la coopération qui l’associe à ses partenaires français.
Votre université porte le nom du 8 mai 1945.
Le 8 mai 1945, date historique qui a marqué pour le monde le terme du second conflit mondial et la fin du régime nazi, mais a dans cette ville d’autres résonances qui renvoient à l’un des épisodes les plus dramatiques de l’histoire de l’Algérie coloniale. Et c’est là l’autre raison de mon déplacement à Guelma, car, à l’approche de la date anniversaire du 8 mai, on ne peut oublier la terrible tragédie qui a ensanglanté votre ville et toute la région il y a maintenant 63 ans.
Le 8 mai 1945, alors que les Algériens fêtaient dans tout le pays, au côté des Européens, la victoire sur le nazisme, à laquelle ils avaient pris une large part, d’épouvantables massacres ont eu lieu à Sétif, Guelma et Kherrata.
Ce déchaînement de folie meurtrière, dans lequel les autorités françaises de l’époque ont eu une très lourde responsabilité, a fait des milliers de victimes innocentes, presque toutes algériennes, ainsi que des milliers de veuves et d’orphelins, même s’il ne faut pas oublier que plusieurs dizaines de civils européens ont également été assassinés au cours des affrontements.
Ces journées, qui auraient dû être pour tous celles de la liberté retrouvée, de la fraternité redécouverte dans un combat commun et d’une égalité encore à bâtir, ont été celles de la haine, du deuil et de la douleur. Elles ont fait insulte aux principes fondateurs de la République française et marqué son histoire d’une tache indélébile.
Si pour l’essentiel les faits sont aujourd’hui connus, du travail reste à faire, entre autres pour déterminer le nombre exact des victimes et l’enchaînement précis des évènements. Mais cela est du ressort des historiens.
D’ores et déjà, et aussi durs que soient les faits, je peux vous dire, Messieurs les Recteurs, chers Professeurs et étudiants, que la France n’entend pas, n’entend plus, les occulter. Le temps de la dénégation est terminé.
Dans son discours de Constantine, le 5 décembre dernier, le Président Sarkozy avait rendu hommage aux « victimes innocentes d’une répression aveugle et brutale ». Il avait évoqué « les fautes et les crimes du passé », qu’il avait qualifiées d’ « impardonnables », et dénoncé, en des termes plus forts qu’aucun responsable français avant lui, l’injustice du système colonial. Ce dernier, en séparant les communautés et en leur conférant un statut inégal, contraire à nos principes essentiels, a été pour beaucoup dans les drames tels que celui du mois de mai 1945.
Mais condamner le système colonial n’est pas condamner les Français qui sont nés en Algérie, ont vécu et travaillé sur cette terre qu’ils ont tant aimée, et à laquelle ils ont été arrachés un jour brutalement. Beaucoup d’entre eux entretenaient des relations fraternelles avec leurs voisins musulmans qui aujourd’hui les accueillent chaleureusement lorsqu’ils reviennent au pays.
Historiens et universitaires ont pris un temps d’avance et ont beaucoup progressé dans l’établissement objectif des faits. Des débats ouverts et contradictoires, auxquels les médias et le cinéma ont contribué, se sont tenus. Ils ont permis aux Français et aux Algériens de connaître et de comprendre certains faits qu’ils ignoraient. Votre université, Monsieur le Recteur, participe à ce travail, à travers le cycle de colloques qu’elle a initié depuis plusieurs années. Le prochain et 6ème d’entre eux réunira de nouveau dans quelques jours des historiens des deux rives de la Méditerranée.
En effet, pour que nos relations soient pleinement apaisées, il faut que la mémoire soit partagée et que l’histoire soit écrite à deux, par les historiens français et algériens. La France doit faire sa part de chemin, la plus grande, sans aucun doute, car c’est elle qui détenait l’autorité, mais elle ne peut pas la faire toute seule. Il faut que les tabous sautent, des deux côtés, et que les vérités révélées fassent place aux faits avérés.
La connaissance et la reconnaissance du passé ne doivent pas accaparer seules notre attention, mais elles peuvent nous aider, Français et Algériens, à mieux aborder, ensemble et fraternellement, l’avenir que nos jeunes sont en droit d’espérer, eux qui n’ont pas connu les déchirements du passé mais doivent savoir à quels excès peuvent mener l’aveuglement et l’oubli des valeurs humaines fondamentales.
L’acte de responsabilité des deux ennemis d’hier est de porter plus haut un message d’entente, de concorde et d’amitié. Pour bâtir un avenir porteur de richesses et d’échanges, il faut en finir avec la dénégation des injustices, des fautes et des crimes du passé, mais aussi avec les simplismes, les exagérations, le manichéisme ou l’affrontement des mémoires exploité, d’un côté comme de l’autre, à des fins politiques. Rien de positif pour l’avenir des deux pays ne sera bâti sur la rancœur et l’amertume, car il est plus facile de réveiller les douleurs que de les calmer.
Le Lorrain que je suis sait la difficulté de tourner la page quand les familles ont versé, à trois reprises en moins d’un siècle, le prix du sang, mais il mesure aussi de quelles promesses sont porteuses la confiance et l’amitié retrouvées entre les peuples. Ce qui a été réussi en Europe peut l’être aussi en Méditerranée. Il revient aux générations actuelles d’achever la réconciliation entre ceux qui se sont battus hier pour ouvrir aux plus jeunes un avenir de partage et de prospérité.
Je vous remercie.