Genèse de la loi des Rapatriés du 23 fevrier 2005

 
   
 

Comment expliquer que l'article 4 de la loi du 23 février 2005, ait pu être adopté sans susciter la moindre réaction lors de l'examen du texte au Parlement ?

"C'est le genre même d'amendement en apparence anodin, sauf pour celui qui en est l'auteur", explique Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale. Un amendement qui a lui-même une histoire. Tout commence avec un rapport remis au premier ministre en septembre 2003. A cette époque, Michel Diefenbacher, député (UMP) de Lot-et-Garonne, consacre un chapitre à la "mémoire" dans un texte qui doit servir de base à l'élaboration du projet de loi "portant reconnaissance de la Nation en faveur des Français rapatriés". Il regrette que des livres scolaires fassent "trop souvent penser que la violence était d'un seul côté". Il estime cette situation "choquante pour les rapatriés et incompatible avec la vérité historique".

C'est le début d'un engrenage qui nécessitera, deux ans plus tard, une déclaration solennelle du chef de l'Etat pour tenter d'apaiser une intense polémique. En 2003, le rapport du député Michel Diefenbacher se fait l'écho des "revendications des associations de rapatriés" et propose de "créer au sein du ministère de l'éducation nationale un groupe de réflexion sur la place réservée à l'oeuvre française outre-mer dans les manuels scolaires". A Matignon, Jean-Pierre Raffarin ordonne la constitution d'un groupe de travail associant l'éducation nationale et le Haut Conseil aux rapatriés.

Dans un deuxième temps, un projet de loi est présenté le 10 mars 2004. Il n'aborde pas la question des programmes scolaires. Son article 1er indique simplement que "la Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l'oeuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc et en Tunisie, ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française". C'est le rapporteur du texte à l'Assemblée nationale, Christian Kert (UMP, Bouches-du-Rhône), qui soulève ce point le 8 juin, lors de l'examen du texte en commission des affaires culturelles. A son initiative, un amendement est accepté qui souligne que "les programmes scolaires et les programmes de recherche universitaire accordent à l'histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu'elle mérite".

Lors du débat dans l'Hémicycle, qui débute dans la matinée du vendredi 11 juin 2004, le rapporteur exprime "le souci que les manuels scolaires tiennent compte de cette aventure humaine et l'inscrivent dans l'histoire de notre pays". "En politique et en histoire, ajoute M. Kert, il est des héritages auxquels il ne faut pas renoncer : l'oeuvre française outre-mer est de ceux-là." Intervenant dans la discussion générale, M. Diefenbacher affirme "la ferme volonté de la représentation nationale que l'histoire enseignée à nos enfants dans nos écoles garde intact le souvenir de l'épopée de la plus grande France et qu'elle dise la vérité sur ces hommes et ces femmes qui, partis les mains nues, avaient au fond du coeur la confiance et l'espérance des peuples qui n'avaient pas encore appris à douter d'eux-mêmes".

Estimant que "l'histoire de France doit rappeler l'oeuvre de la France outre-mer", Robert Lecou (UMP, Hérault) annonce qu'il défendra, "à l'article 1er, des amendements tendant à exprimer cette reconnaissance et à favoriser la réhabilitation de la présence française en outre-mer, en lui donnant la place qu'elle mérite dans les programmes scolaires". "Il nous faut écrire l'histoire et l'enseigner pour que les enfants de notre pays sachent que la France n'a pas été colonialiste mais colonisatrice, renchérit Lionnel Luca (UMP, Alpes-Maritimes). Il n'est que temps d'affirmer notre fierté de l'oeuvre accomplie. Le temps de la mauvaise conscience et de la repentance à quatre sous est terminé."

La réponse du ministre délégué aux anciens combattants, Hamlaoui Mekachera, en fin de discussion générale, est pour le moins laconique : "M. Lecou a longuement évoqué la question des manuels scolaires. Je n'y reviens pas."

La discussion sur les articles s'engage dans l'après-midi du vendredi 11 juin. Une vingtaine de députés sont présents. Vers 17 heures, M. Kert présente son amendement : "Cette proposition, qui répond à une demande formulée par de très nombreux parlementaires, devrait recueillir un large consensus", précise-t-il. Elle est complétée par un autre amendement, soutenu par Jean-Pierre Grand (UMP, Hérault) et M. Lecou. La parole est à Christian Vanneste (UMP, Nord). Le député présente deux sous-amendements. Le premier précise que les programmes scolaires " devront faire connaître à tous les jeunes Français le rôle positif que la France a joué outre-mer", explique-t-il.

Avis de la commission : le rapporteur rappelle qu'elle a repoussé les deux sous-amendements de M. Vanneste. Il ajoute : "A titre personnel, étant donné leur grand intérêt, je me rangerai à la position du gouvernement." Avis du gouvernement : M. Mekachera, s'agissant des sous-amendements, "s'en remet à la sagesse de l'Assemblée". C'est de facto un feu vert. Ils sont mis aux voix, à main levée, et adoptés, sans qu'aucune voix ne se fût exprimée pour les combattre.

"Nous avons manqué de vigilance, admet aujourd'hui le président du groupe PS de l'Assemblée nationale, Jean-Marc Ayrault. Kléber Mesquida, notre porte-parole dans la discussion, ne nous a fait remonter aucune alerte." François Hollande admet, lui, que des socialistes ont voté "par inadvertance" l'article controversé.

Dans un troisième temps, le projet de loi, voté avec les voix de l'UMP et de l'UDF, est transmis au Sénat. Les amendements sur l'enseignement scolaire deviennent l'article 1er quater. En commission des affaires sociales, le rapporteur, Alain Gournac (UMP, Yvelines), recommande de l'adopter sans modification. "Dans le domaine de l'enseignement, l'Assemblée nationale a adopté un article tendant à reconnaître une place plus importante à l'histoire de la France d'outre-mer dans les programmes scolaires et les recherches universitaires, de manière à présenter cette histoire de manière plus équilibrée", dit-il en séance au Palais du Luxembourg, le 16 décembre 2004.

Porte-parole du groupe socialiste, Gisèle Printz (Moselle) estime que "le projet de loi contient certaines dispositions qui méritent approbation, comme celles qui portent sur les programmes scolaires et de recherche, à l'article 1er quater". Seul Guy Fischer (PCF, Rhône) s'élève contre "cet article inacceptable" : "Ainsi, ce texte est devenu un cheval de Troie banalisant les guerres coloniales, un hymne à la présence prétendument civilisatrice de la France en Afrique", dénonce-t-il lors de la discussion générale. Plus tard, l'article 1er quater est pourtant adopté sans débat.

Les deux Assemblées l'ayant approuvé, il n'est plus soumis à discussion lorsque le projet de loi revient en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, le 10 février 2005. Dans le texte définitif promulgué le 23 février, il devient l'article 4 de la loi.