Chronologie d’une tragédie gaullienne
par Henri Christian Giraud
- Algérie : 13 mai 1958 - 5 juillet 1962 -

 
               
     

Quand il arrive aux affaires en mai 1958, cela fait déjà quelques années que De Gaulle  a arrêté sa politique algérienne.

« De tout temps, écrit-il dans ses Mémoires, avant que je revienne au pouvoir et lorsque j'y suis revenu, après avoir étudié le problème, j'ai toujours su et décidé qu'il faudrait donner à l'Algérie son indépendance. » Une position dont témoignent des proches de toute confiance issus de la France libre comme Georges Boris ou du RPF comme Louis Terrenoire qui rapporte ces mots datant de 1956 : « Nous sommes en présence d'un mouvement général dans le monde, d'une vague qui emporte tous les peuples vers l'émancipation.

Il y a des imbéciles qui ne veulent pas le comprendre ; ce n’est pas la peine de leur en parler... » Indice supplémentaire et d'importance compte tenu de l'étroitesse des relations que le général entretient depuis juillet 1941 avec le Kremlin : en octobre 1956, il a délégué son ancien directeur de cabinet, Gaston Palewski, auprès de l'ambassadeur soviétique à Paris, Serge Vinogradov, pour lui faire savoir que « sitôt le Général au pouvoir, il sera prêt à entamer des négociations avec les Algériens (1) ». Il y a donc dans son esprit, dès cette époque, un peuple algérien avec lequel traiter diplomatiquement

Ce à quoi, derrière le rideau de fumée soigneusement entretenu d'une ligne officielle défendant le maintien de l'Algérie française, il va s'employer sans relâche dès la création le 19 septembre 1958 du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) pour lequel, dit l'historien américain Matthew Connelly, il ne peut pas s'empêcher en raison d'un parallèle avec sa propre démarche durant la guerre d'éprouver une certaine « empathie ».

Devenant ainsi le « premier président du Conseil à ne pas écarter le FLN comme une conspiration criminelle d'origine étrangère (2) ».
Pour l'aider dans sa tache, le général met en place, à l'Elysée, une Direction des Affaires algériennes, en réalité un staff restreint composé de René Brouillet et de Bernard Tricot, tous deux partisans affirmés de l'indépendance.

Étant entendu une fois pour toutes qu'il fait de sa politique algérienne un domaine « absolument réservé » ou nul n'a le droit de prendre la moindre initiative.
Ainsi Tricot s'étant permis de proposer dans une note d'entreprendre une action « si le général De Gaulle est d'accord », le document lui est retourné avec cette notation dans la marge : « Mal dit. Je décide : oui ou non, mais je ne m'accorde pas. »

 
     

Le 3 septembre, à Constantine, De Gaulle prend acte du raz de marée pro-Algérie française (3 357 763 « oui », contre 118 631 « non ») du référendum constitutionnel du 28 septembre 1958, pour lequel il a appelé à voter les « dix millions d'habitants de l'Algérie » et dont il a défini la portée (« Pour chacun, dire oui, dans les circonstances présentes, cela voudra dire tout au moins que on veut se comporter comme un Français à part entière ») : « Trois millions et demi de femmes et d'hommes d'Algérie, sans distinction de communauté et dans l'égalité totale, sont venus des villages de toutes les régions et des quartiers de toutes les villes apporter à la France et à moi-même le bulletin de leur confiance.
Ils l'ont fait tout simplement sans que nul ne les y contraigne et en dépit des menaces que des fanatiques font peser sur eux.

 
 
     

C'est là un fait aussi clair que l'éclatante lumière du ciel.


Et ce fait est capital, non seulement pour cette raison qu'il engage l'une envers l'autre et pour toujours l'Algérie et la France, mais encore parce qu'il se conjugue avec ce qui s'est passé le même jour dans la métropole, les départements d'outre-mer et les territoires de la Communauté. » Ces « fanatiques » qui ont tenté d'empêcher la tenue du scrutin par la violence et la terreur, l'orateur les exhorte in fine à déposer leurs armes au vestiaire. Quelques semaines plus tard, le 23 octobre, le ton change et surprend : De Gaulle invite les combattants de l'intérieur à la « Paix des braves » et l’« organisation extérieure » à la signature d'un cessez-le-feu.
Ce discours marque sa première évolution publique vis-à-vis du FLN : en effet, en lui reconnaissant la qualité de négociateur susceptible d'être capable d'arrêter la guerre, De Gaulle reconnaît de facto le GPRA comme le représentant des Algériens en guerre contre la France.
Ce ne sont plus seulement des « fanatiques », mais des partenaires possibles pour une solution française du conflit. Des « interlocuteurs valables » selon la formule consacrée. Il le confirme : « Le destin politique de l'Algérie est en Algérie même (...) Je crois, comme je l'ai déjà dit, que les solutions futures auront pour base - c’est la nature des choses - la personnalité courageuse de l'Algérie et son association étroite avec la métropole française. Je crois aussi que cet ensemble complété par le Sahara, se liera, pour le progrès commun, avec les libres Etats du Maroc et de Tunisie. A chaque jour suffit sa lourde peine. Mais qui gagnera en définitive ?

Vous verrez que ce sera la fraternelle civilisation ». Donc ni vainqueurs ni vaincus. Certes, on est encore loin de l'indépendance que réclame le FLN, mais la distinction entre l'Algérie et la France est désormais posée.

En invitant le FLN « à se transformer en parti politique agissant légalement pour atteindre son but par la voie démocratique au moyen du suffrage universel et du collège unique » (Guy Pervillé), De Gaulle est allé loin. Il s'est sans doute trop découvert par rapport à la ligne officielle. Alors pour calmer la méfiance des partisans de l'Algérie française, il n'hésite pas à en rajouter : « A quelles hécatombes condamnerions nous ce pays si nous étions assez stupides et assez lâches pour l'abandonner ! ». Ce « cri du cœur » rassure ceux qui ne demandent qu'à l'être. Et ils sont encore nombreux à l'époque...

 Si l'appel à la paix des braves trouve un écho certain dans les wilayas fortement étrillées par l'armée française, la « direction extérieure » rejette l'invitation : pour elle le cessez-le-feu ne peut procéder que d'une négociation politique ; quant au Sahara, il fait partie intégrante du territoire algérien. Et elle riposte à sa manière - terroriste - en lançant la guerre en métropole et en déployant une vigoureuse activité internationale en direction des pays communistes pour obtenir une condamnation de la France à l'ONU. Plongeant les partisans de l'Algérie française dans le brouillard en maniant savamment le chaud et le froid, De Gaulle mène une politique double : compensant chaque mesure ou chaque parole en faveur de la ligne officielle par une mesure ou une parole opposée, et se donnant concrètement les moyens d'atteindre son but à terme : ainsi il introduit dans le texte de la nouvelle Constitution une option « séparatiste » avec l'article 53 qui donne la possibilité de « cession, échange ou adjonction de territoire » en vertu d'une loi et avec le consentement de populations intéressées.
Ce qui porte un coup mortel au dogme de l'intégrité du territoire de la République.

     
Jean Amrouche
Abderrahmane Farès

Et parallèlement à son assurance réitérée (dans une lettre à Salan) que la « nation française fait maintenant bloc sur quelques idées simples : on ne doit pas lâcher l'Algérie », il programme la dissolution du Comité de salut public, la mutation de Salan à Paris et le dédoublement de sa fonction. Il mandate également l'écrivain Jean Amrouche, d'origine kabyle, et Abderrahmane Farès, ancien président de l'Assemblée algérienne, pour entrer secrètement en contact avec Ferhat Abbas, le président du GPRA, et Belkacem Krim, l'un des chefs historiques du FLN, et révèle dès août à Jean Mauriac, journaliste accrédité pour l'AFP à l'Elysée et fils de l'écrivain, que la Communauté dans laquelle il a évoqué la possibilité d'inscrire le destin de l'Algérie c'est de la « foutaise ».

Sous une ligne officielle inchangée, l'année 1959, jusqu'au mois de septembre, se caractérise par la neutralisation de ladite ligne au moyen d'un brouillage systématique dans lequel excelle le génie gaullien de l'ambiguïté : ça com­mence très spectaculairement par la nomination comme Premier ministre de Michel Debré, le plus ardent défenseur de l'Algérie française sous la IVe République, qui est allé jusqu'à écrire que l'abandon de la souveraineté française en Algérie est un acte illégitime ou encore que l'insurrection pour l'Algérie française est l'insurrection légale.

 
     

L'équivoque s'installe donc au sommet de l'État avec un Elysée « indépendantiste » et un Matignon plutôt « Algérie française » ou, plus précisément, favorable, à l'horizon d'une vingtaine d'années, à une Algérie nouvelle articulée sur les éléments pro-francais (élus, fonctionnaires, professions libérales, anciens combattants, supplétifs, voire membres du Mouvement National Algérien (MNA) de Messali Hadj, le rival du FLN, etc).

Autre exemple de brouillage : alors que le 5 mars, il déclare à Alain Peyrefitte : « L’Algérie française, c'est une foutaise, et ceux qui préconisent l'intégration sont des jean-foutre (3) », le chef de l'État, dans le même temps, missionne certains généraux notamment Allard, pour faire le tour des garnisons et des villages en Algérie et s'adresser tant aux civils qu'aux anciens combattants : « Allard, vous pouvez leur dire que jamais nous ne négocierons, que jamais la France ne les abandonnera ».
Fort de cette promesse, Allard, comme d'autres, n'hésite pas à s'engager personnellement devant ses auditoires : « Je sais que vous avez des doutes qui naissent, mais cela c'est la politique, ne vous en occupez pas, ce qui compte c’est ce que dit le général De Gaulle ».

Lequel tient le même discours au fidèle des fidèles, Massu : « Jamais Ferhat Abbas ne commandera à Alger. Le cessez-le-feu devra être une reddition militaire traitée entre militaires ».

Et à Pierre Laffont, le directeur de l'Écho d'Oran, il précise, évoquant l'intégration : « Que veut dire ce mot-là ? Que l'Algérie est française ? Est-il utile de le dire puisque cela est ? ».


Alain Peyrefitte

Massu
       

Les événements obligent cependant De Gaulle à se découvrir : en juillet, vingt-cinq nations afro-asiatiques demandent l'inscription de l'Algérie à l'ordre du jour de la session. C'est un tournant important. Pour empêcher l'internationalisation du conflit algérien, le chef de l'État rencontre le 31 juillet le secrétaire général de l'ONU, Dag Hammarskjôld, et esquisse devant lui un « programme d'action qui mettrait l'Algérie en état d'autodétermination ».

Quelques jours plus tard, le 10 août, à Colombey, De Gaulle révèle à Debré son choix politique en faveur de l'autodétermination, mais le Prince de l'équivoque (Robert Buron) se garde de préciser son dessein. Résultat : le malentendu est total car, pour Debré comme pour la plupart des ministres - qui se prononcent majoritairement lors du Conseil des ministres du 26 août pour que l'Algérie « reste d'une manière ou d'une autre au sein de la France » - l'autodétermination n'est qu'une procédure : une consultation dans le calme et dans des conditions de sécurité maximum (donc au terme de plusieurs années), de toutes les composantes de la population de l'Algérie.

Or les précédentes légitimations électorales de la ligne officielle (référendum constitutionnel, élections législatives du 30 novembre 1958) et les succès militaires de Challe permettent d'envisager l'avenir avec un certain optimisme. De Gaulle, qui est resté silencieux durant les débats, ne cherche à détromper personne et il se contente de conclure elliptiquement par ces mots : « Messieurs, je vous remercie. »

 

Robert Buron

 
 
 

Dans ce genre d'affaire, il faut marcher ou mourir. Je choisis de marcher. Mais cela n'exclut pas que l'on puisse aussi "mourir". Chacun comprend ce qu'il veut comprendre. La confusion s'accroit au rythme des interventions présidentielles.

Fin août, au cours d'une inspection en Algérie, De Gaulle engage vivement l'armée à achever la pacification, mais, dans le même temps, il confie à son gendre, le colonel de Boissieu qu'il fera encore bientôt appel à la rébellion pour qu'elle se décide à traiter puisque, parmi les solutions qu'il va proposer, il y a celle -l'indépendance - pour laquelle elle prétend mener le combat. « D'ailleurs, précise-t-il, je suis déjà en contact avec elle et le GPRA n’est pas un bloc sans faille ».

Boissieu est un peu « abasourdi ». Pourquoi prendre cette position maintenant alors que le FLN est en perte de vitesse ?
Ferhat Abbas a d'ailleurs donné sa démission de la présidence du GPRA car, à ses yeux, si la défaite est « impensable » elle n'est plus inenvisageable.

Pour toute réponse son beau-père conseille à Boisseau de choisir un point de chute en France aux environs du 10 septembre... Autre confident pour une confidence encore plus directe. Dans la Caravelle du retour vers Paris, De Gaulle fait venir Jean Mauriac dans sa cabine et lui confie ses intentions, dès septembre, à l'égard des Algériens : « Ecoutez-moi. Voilà ce que je leur propose : je leur donne l'indépendance, s'ils la veulent ». " C’est la première fois, témoigne Jean Mauriac, que je l'entends prononcer le terme d'indépendance [...] Je suis comme paralysé".

Incapable de dire quoi que ce soit. Mais le Général semble éprouver quelque satisfaction devant mon silence, ma stupéfaction : quoi, l'indépendance, alors que, tout au long de son voyage, il s'est employé tout au contraire à rassurer ses auditoires militaires en leur disant et redisant que l Algérie demeurerait dans le giron français, il est vrai au moyen de formules alambiquées ? »

Dès ce moment, De Gaulle entend donc s'employer plus ou moins secrètement à ce que le FLN veuille obtenir cette indépendance selon un processus démocratique : la négociation. Mais la négociation n'étant pas une pratique qui va de soi pour une organisation terroriste, il importe de l'amener progressivement à composer.

Et, simultanément, de l'imposer comme possible "interlocuteur valable" à une opinion publique française révoltée par ses crimes. Quant à la masse de la population algérienne, dont la majorité vient de se prononcer électoralement par deux fois pour le maintien dans le giron français, le chef de l'État n'a pas d'autre choix que d'entreprendre de saper psychologiquement son attachement à la France. Dans son discours du 16 septembre, le chef de l'État annonce donc le recours à l'autodétermination sur la base de trois options : la sécession, la francisation et l'association. Ses propos mettent le feu aux poudres, car l'abandon de son rôle de chef de guerre pour celui d'arbitre et l'annonce par avance de la libre participation des hors-la-loi à l'organisation des pouvoirs ne peut, aux yeux des partisans de l'Algérie française, que favoriser le seul FLN.

       
Louis Terrenoire
Edmond Michelet
Ferhat Abbas
Aït Ahmed

Louis Terrenoire révèle que Edmond Michelet, alors garde des Sceaux, a reçu pour mission de l'Elysée de permettre « aux chefs historiques de la rébellion algérienne (arrêtés illégitimement en plein ciel et incarcérés soit à la prison de la Santé, soit au Fort de l'île de Ré) d'être mis au courant, préalablement, du discours promoteur de la politique d'autodétermination, le 16 septembre 1959 (4) »
Ainsi, selon Terrenoire, De Gaulle, a fait connaître aux chefs historiques du FLN la teneur du discours du 16 septembre avant même d'en faire l'annonce au peuple français...

Et s'il fallait, en outre, confirmer au FLN le sens exact à accorder à son propos et lui montrer l'irrévocabilité de son choix en faveur de l'indépendance, De Gaulle dresse le 13 décembre, l'acte de décès de la Communauté en annonçant à Dakar son évolution vers un groupement d'États indépendants.

Il n'est plus question dès lors de « l'intégration de l'Algérie dans une communauté plus large que la France ». Message compris : pour Ferhat Abbas, autodétermination = indépendance, et pour Aït Ahmed, l'une des têtes pensantes du FLN dont le rapport sera présenté au CNRA, à Tripoli, fin décembre, il ne fait alors guère de doute, dès ce moment, que la logique gaulliste instruit une politique d'abandon.
Comme le dit un ministre du GPRA à un journaliste français peu après le discours de septembre : "Désormais, De Gaulle a partie liée avec nous." Et Jean Amrouche écrit alors dans la Nef : « De Gaulle et le FLN avancent ensemble sur la même route..

En effet, en se prononçant et en œuvrant ainsi pour l'indépendance, force est de constater que De Gaulle fait donc désormais sien l'objectif du FLN.

Avec les renversements d'alliance prévisibles que cela implique : de partenaires, les défenseurs de l'Algérie française qui l'ont porté au pouvoir vont devenir des adversaires, voire des ennemis en raison de la radicalisation que va générer leur désespoir.
Quant au FLN, il est destiné, lui, à devenir son allié objectif. Avec pour but, une fois assuré que l'objectif final du chef de l'État concorde avec le sien, de réussir à le faire passer par ses quatre volontés :
- a) priorité d'un accord politique sur toute convention de cessez-le-feu
- b) monopole de la représentativité –
- c) unité territoriale de l'Algérie et du Sahara
- d) unité du peuple algérien excluant tout statut particulier de communauté pour les Européens.

   
       
     

Quatre objectifs que le FLN s'est fixé dès 1954.

Le 20 octobre, parlant de l'Algérie, De Gaulle confie à Peyrefitte : « Tant que nous ne nous en serons pas délestés, nous ne pourrons rien faire dans le monde. C’est un terrible boulet. Il faut le détacher. C'est ma mission ».

Dès lors, toute la politique gaulliste s'inscrit avec plus ou moins de brutalité dans cette perspective missionnaire provoquant en réaction une série de révoltes aboutissant le 24 janvier 1960 à l'affaire des Barricades, premier heurt sanglant entre les pieds-noirs et les forces de l'ordre. Bilan : 22 morts et 147 blessés après injonction de De Gaulle à Paul Delouvrier, délégué général du Gouvernement, d'employer la force pour déloger les hommes de Pierre Lagaillarde.

Deux ans auparavant, le 5 mars 1958, Camus avait rendu visite à De Gaulle pour lui parler de risques de troubles si l'Algérie était perdue et, en Algérie même, de la fureur des Français d'Algérie. De Gaulle lui avait alors rétorqué : « La fureur française ? J'ai 67 ans et je n’ai jamais vu un Français tuer d'autres Français. Sauf moi (5) ».

Le constat avait aussi valeur de prévision.

La guerre franco-française com­mence. Camus ne la verra pas : il s'est tué le 4 janvier précédent sur la route nationale 5 entre Champigny-sur-Yonne et Villeneuve-la-Guyard.

Le 8 juin, le chef de l'État à qui l'Assemblée nationale vote les pleins pouvoirs pour un an, rétablit la peine de mort en matière politique abolie depuis 1848. Dans le même temps, il fait tout pour amener le FLN à la table des négociations : le 14 juin, alors que les chefs de la wilaya IV (Algérois) reçus secrètement à l'Elysée dans la soirée du 10, lui ont offert un cessez-le-feu dans l'honneur et la dignité et lui ont même proposé de créer un « parti nationaliste modéré », il préfère relancer ceux que les combattants de l'intérieur appellent les « nantis du FLN ».

 
 
 
Lagaillarde et Ortiz
 
Paul Delouvrier
 
 

On peut légitimement penser d'après ce qui précède qu'à cette époque l'affaiblissement du GPRA le gênerait plus qu'il ne le servirait... Autre question : Si Salah et les siens ont-ils servi d'appât ? Une chose est sûre : le GPRA a sauté sur l'invitation de se rendre à Melun, le 25 juin.
Une rencontre qui, écrit Chantal Morelle, a « pour effet de faire comprendre aux Français de tous bords, mais aussi aux nationalistes algériens que le principal interlocuteur à venir était le FLN, sans pour autant le dire car il est difficile d'annoncer d'emblée que le gouvernement négociera avec les rebelles (6) ».

Si Salah
     

Dans la même logique, lors de sa conférence de presse du 5 septembre, le chef de l'Etat n'hésite pas à parler
d'« entité algérienne » puis de « personnalité algérienne »,reconnaissance constituant de toute évidence un premier pas vers la reconnaissance d'un « peuple algérien » notion qu'il contestait - du moins officiellement - jusque-là, puis il déclare que « l'Algérie algérienne est en marche » et dans son discours du 4 novembre, il concède « qu'une République algérienne existera un jour ».

Cette dernière incidente n'existait pas dans le discours original qu'il a fait lire à Debré. Il l'a rajoutée lors de l'enregistrement. Il s'agit d'un nouveau pas. Debré juge que l'on est alors passé de l'autodétermination à la prédétermination.

 
ALGER - Belcourt - 11 décembre 1960 -
 
     
Ce qui ne peut que satisfaire le FLN qui se heurte encore cependant à une certaine réserve de la population musulmane à son égard en raison des multiples exactions qu'il lui a fait subir depuis 1954 pour la détacher de la France. Mais sur ce point il peut compter sur De Gaulle.
Le 9 décembre, dans l'avion qui l'emmène en Algérie, le chef de l'État confie à Terrenoire : « C'est une partie difficile que nous allons mener, et qui n 'a pour moi rien de réjouissant ». Quelle sorte de « partie » ? « Faire manifester les foules musulmanes aux cris mêlés de « Vive de Gaulle, vive l'Algérie algérienne ! ».
Cette manipulation, précise Maurice Faivre, est confirmée par le préfet Vaujour, que François Coulet a informé fin novembre de son intention de faire manifester les musulmans : " Il faut que le Général voie la population algérienne manifester en faveur de sa politique." " En même temps les Européens comprendront le sens du discours sur la République algérienne. "
A noter, souligne Faivre, que le 15 novembre, le général Ely a croisé François Coulet sortant du bureau du chef de l'État, « ce qui laisse supposer que l'initiative venait de haut ».
Évoquant à son tour les arguments qui plaident en faveur d'une manipulation, Michèle Cointet écrit : Des musulmans diront leur étonnement d'être arrêtés puisque le chef de la SAS les avaient encouragés à aller manifester pour défendre la politique de Charles De Gaulle ! "

L'excuse était trop bonne pour qu’ils ne la produisent pas pour leur défense. Quant au journal Carrefour du 14 décembre 1960, il cite les capitaines de Germiny et Bernard, officiers de la SAU, (Sections administratives urbaines) qui ont encouragé les musulmans à soutenir De Gaulle.
 Le Monde du 21 décembre attribue la même attitude au général Partiot, inspecteur des SAU. La manipulation semble donc avérée.
Résultat : le 11 décembre, des milliers de musulmans brandissant le drapeau vert et blanc du FLN descendent des hauteurs d'Alger.

Des Européens sont égorgés et une synagogue est saccagée.
Le 13, l'armée, débordée, ouvre le feu. Bilan : 120 morts, dont 112 musulmans. « Pour la première fois, note Benjamin Stora, le drapeau du FLN flotte sur Alger, donnant au GPRA une légitimité populaire cruciale alors que s'esquissent les dures négociations qui vont mener aux accords d'Evian ». C'était le but de la fameuse « partie ».
Dans l'avion du retour, De Gaulle confie à Terrenoire avoir pris la mesure exacte de la situation et ne pas croire possible de dégager une « troisième force » algérienne. « II faut donc trouver un arrangement avec le FLN », dit-il. Lors du Conseil des ministres, il répète : " Mon voyage a provoqué une cristallisation. Tous les musulmans sont nationalistes et regardent avec sympathie du côté du FLN ...Nous assistons à la gestation d'une Algérie nouvelle"

     
 
Une synagogue est saccagée
 
     

Elle se fait, elle va naître, elle est en pleine évolution psychologique et politique. Sans aucun doute, la communauté musulmane en sera l'élément principal, mais elle aura besoin des Européens. Cahin-caha, on va vers la solution... » Au journaliste du Monde, André Passeron, qui lui demande s'il voit des conséquences sérieuses aux troubles d'Alger, De Gaulle répond : « Oui, mais dans le bon sens ». Au vu de ses diverses réactions, le chef de l'État s'était donc fixé comme but de son voyage non pas de constater mais, comme l'analyse Philippe Tripier, de susciter et de rendre irréversible la « conversion publique et définitive des musulmans à l'idée d'une certaine indépendance » et d'en prendre le monde (et notamment les siens, dont Debré au premier rang) à témoin... Misait-il sur le noyautage du FLN couplé aux efforts de l'administration aux mains de ses fidèles pour y parvenir ?

Si c'est le cas, il ne s'est pas trompé. Une chose est sûre : pour lui, la voix algérienne bruyante qu'il a entendue dans les rues est la seule vraie et elle éclipse celle des musulmans fidèles à la France, qui ne tiennent manifestement plus aucune place dans la perspective gaulliste. Parallèlement, De Gaulle affirme vouloir « mettre à la raison » les « meneurs européens »pro-Algérie française. Il se dit même décidé à les « briser ». Le rétablissement de la peine de mort était prévu pour ça. Ordre est donné de dissoudre le Front de l'Algérie française et d'en arrêter les dirigeants.

     

Les pourparlers entre le gouvernement français et le FLN reprennent à Genève en février 1961. C'est Georges Pompidou qui mène la délégation française.

Devant l'intransigeance du FLN, les événements se précipitent : le 8 mars,
De Gaulle renonce au principe d'un cessez-le-feu avant toute négociation et, le
6 avril, il renonce au principe d'une négociation avec le MNA accordant ainsi au FLN le monopole de la représentativité du peuple algérien.

Cette double capitulation doit laisser des traces dans son esprit car, le 11 avril, il déclare crûment : « l 'Algérie nous coûte, c’est le moins que Von puisse dire, plus qu’ 'elle nous rapporte (...) Etc. 'est pourquoi, aujourd'hui la France considérerait avec le plus grand sang-froid une solution telle que l'Algérie cessât d'appartenir à son domaine ».

 
Georges Pompidou
 
     

Sur ce, le 21 avril, éclate le putsch des généraux dont l'échec entraîne la création de l'OAS. La violence atteint vite un seuil insoutenable et De Gaulle avoue à Robert Buron ne plus rien maîtriser. « Il n'y a plus, dit-il, que deux forces en présence : le FLN et l'OAS».

Le 20 mai, les négociations s'ouvrent à Évian et pour marquer sa bonne volonté le chef de l'État annonce une trêve unilatérale d'un mois (l'action des troupes françaises sera limitée à l'autodéfense, la libération de 6000 prisonniers et le transfert au château de Turquant en Indre-et-Loire des chefs du FLN capturés en 1956.

Putsch des généraux 21 avril 1961
Après une interruption des pourparlers le 13 juillet due notamment à des divergences sur le Sahara, une reprise des négo­ciations au château de Lugrin, le 20 juillet, et un nouveau capotage pour la même raison, De Gaulle, le
5 septembre, accepte d'en passer par la troisième des quatre volontés du FLN en adoptant sa revendication sur le Sahara dont il disait quelque temps plus tôt à Louis Joxe : « Le pétrole, c 'est la France et uniquement la France ! ». Il parle également de « dégagement » ce qui résonne douloureusement aux oreilles de pieds-noirs, même s'il les assure qu'en cas de rupture brutale avec l'Algérie, l'État entreprendra de regrouper dans une région déterminée les Algériens de souche européenne et ceux des musulmans qui voudraient rester avec la France. Donnant ainsi un début de réalité au thème de la « partition » lancé à sa demande par Peyrefitte.
     

Ce terme de « dégagement » ne fait pas non plus le bonheur de Joxe qui soupire : « Le Général joue au poker à ciel ouvert ». Mais c'est vis-à-vis du GPRA enfin que traitant de l'État algérien, le discours marque une évolution radicale car De Gaulle y affirme que « seul un pouvoir provisoire algérien peut mener le pays à l'autodétermination et aux élections »... Et que le FLN peut faire partie de ce pouvoir provisoire algérien.

Joxe confie qu'il veut mettre les pieds-noirs « devant le fait accompli ». Ben Khedda, un marxiste, succède à Abbas à la tête du GPRA.

Le 11 février, les négociations reprennent aux Rousses. Elles prennent fin dans la nuit de 18 au 19 février sur un ensemble de textes qualifiés « accords de principe » que les Algériens doivent soumettre au CNRA, l'instance suprême de la Révolution, réuni à Tripoli.

Le 7 mars s'engage la seconde conférence d'Évian qui traîne trop aux yeux de l'Elysée. Robert Buron décrit un De Gaulle « moins serein, moins souverain » au téléphone.

 
Louis Joxe
 
     

Le 18 mars, juste avant la signature, Krim Belkacem fait valoir une exigence : que les délégués français lisent à voix haute les 93 pages du document. Ces derniers s'exécutent en se relayant, article après article, tandis que les délégués algériens suivent attentivement chaque mot et que De Gaulle, à l'Elysée, attend.

Le rituel imposé une fois terminé, les accords d'Évian sont signés, du coté français, par Louis Joxe, Robert Buron et Jean de Broglie. Du côté algérien, par le seul Krim Belkacem, ancien maquisard et vice-président du gouvernement algérien provisoire. Dans son journal, à la date de ce 18 mars, Buron reconnaît que sa signature figure au bas d'un « bien étrange document ».

Et il note : « Les jours qui viennent vont être des jours de folie et de sang (7) ». Commentant ces accords, le général De Gaulle écrit dans ses Mémoires d'Espoir, le Renouveau : « Il s'y trouve tout ce que nous avons voulu qu'il y soit » Notamment : « une condition privilégiée des nationaux de chaque pays sur le territoire de l'autre ; des garanties complètes et précises aux membres de la communauté française qui voudront rester sur place ».

     
 
Dans la délégation Française Robert Buron,
Louis Joxe, Jean de Broglie.
 
     
Les signataires FLN des accords d’Evian

Certes, le texte assure aux Français d'Algérie « toutes libertés énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme », ainsi que la possibilité de « transporter leurs biens mobiliers, liquider leurs biens immobiliers, transférer leurs capi­taux ». Mais l'Elysée a renoncé devant l'opposition du FLN à tout statut particulier pour nos nationaux et aucune clause ne concerne précisément les sup­plétifs.

Le lendemain 19 mars, le cessez-le-feu est proclamé du côté français par le général Ailleret, du côté algérien par Ben Khedda.

La Barbouze - Michel Hacq - sous le pseudonyme de Pr.Hermelin, il dirige en Algérie en 1961, la « force C » composée de policiers chargés de la lutte contre l'OAS.
 

Mais ce même 19 mars censé instaurer la paix, le directeur de la police judiciaire, Michel Hacq, patron de la mission C (C pour choc) qui supervise les « barbouzes » (ces éléments clandestins auxquels De Gaulle rendra hommage lors de sa conférence de presse du 21 février 1966),  rencontre secrètement le chef fellagha, Si Azzedine, patron de la Zone autonome d'Alger, pour lui remettre une liste d'activistes.

Tout y est : les noms et les pseudonymes, les âges et les adresses. « Le marché est clair, écrit Jean-Jacques Jordi, les commandos d'Azzedine peu­vent se servir de cette liste pour leurs actions contre l'OAS et ils peuvent "bénéficier" d'une certaine impunité d'autant que les buts du FLN et de la mission C se rejoignent (...)
Cependant, force est de constater que ces mêmes commandos FLN ne s'attaquaient pas réellement aux membres de l'OAS mais poursuivaient une autre stratégie : faire fuir les Français par la terreur (8) ».
Il faut croire que ce nettoyage ethnique qu'évoque sans fard dans ses Mémoires, l'ancien président du GPRA, Ben Khedda, en se vantant d'avoir réussi « déloger du territoire national un million d'Européens, seigneurs du pays (9) » était en germe depuis longtemps puisque les négociateurs du FLN à la conférence de Melun, Boumendjel et Ben Yahia, en ont fait la confidence à Jean Daniel dès le 25 juin 1960 : « Croyez-vous, leur avait demandé le journaliste, originaire de Blida, qu’'avec tous ces fanatiques religieux derrière vous, il y aura dans une Algérie indépendante un avenir pour les non-musulmans, les chrétiens, les juifs auxquels vous avez fait appel ? ».

Les deux responsables FLN ne s'étaient pas dérobés : « Ils m'ont alors expliqué, témoigne Jean Daniel, que le pendule avait balancé si loin d'un seul côté pendant un siècle et demi de colonisation française, du côté chrétien, niant l'identité musulmane, l'arabisme, l'islam, que la revanche serait longue, violente et qu'elle excluait tout avenir pour les non-musulmans.

Qu'ils n 'empêcheraient pas cette révolution arabo-islamique de s'exprimer puisqu'ils la jugeaient juste et bienfaitrice(W) ». Détail important : la livraison au FLN par Hacq, ce 19 mars, de la liste des activistes n'est pas une nouveauté.

Elle fait suite à une première liste de 3000 noms adressée au FLN par l'intermédiaire de Lucien Bitterlin, l'un des chefs des barbouzes, dès janvier 1962... C'est-à-dire trois mois avant les accords d'Évian, qui vont voir les relations entre Hacq et Si Azzedine se renforcer.

Force est donc de constater que, sur le terrain, le cessez-le-feu ne change rien à la poursuite de l'offensive menée de concert par le pouvoir gaulliste et le FLN contre « leur ennemi commun » selon l'expression de Krim Belkacem. Lors de la crise des Barricades, le chef rebelle, a en effet affirmé à l'ambassadeur américain à Tunis, Walter Wamsley, que si De Gaulle avait besoin de soutien, le GPRA se mobiliserait à ses côtés contre tous ceux qui s'opposent à l'indépendance de l'Algérie.

Et donc, par extension, contre tous les Français d'Algé­rie à quelque confession qu'ils appartiennent.

 
DR - La barbouze
Lucien Bitterlin
 
Si Azzedine willaya IV
lors de son arrestation
 

Message entendu à l'Elysée. « On n’allait bientôt plus savoir qui tuait qui - et pour le compte de qui ! On tuait voilà tout », écrit Bitterlin  ce 19 mars 1962, la guerre n'est donc pas finie : seuls les alliés et les adversaires ont permuté en fonction des développements successifs de la politique gaulliste.
Elle va même prendre parfois un tour extrême.

Fusillade du 26 mars 1962 rue d'Isly

Le 26 mars, rue d'Isly, une manifestation interdite mais pacifi­que se dirigeant vers le quartier de Bab-el-Oued se heurte à un barrage de tirailleurs.
Elle est mitraillée à bout portant. Bilan : 200 tués et blessés.
Il s'agissait d'un coup monté selon son organisateur, Christian Fouchet, alors haut commissaire de France à Alger, qui s'en justifiera plus tard ainsi lors d'une confidence au journaliste Jean Mauriac : « j'en ai voulu au Général de m'avoir limogé au lendemain de mai 68. C’était une faute politique. Il m'a reproché de ne pas avoir maintenu l'ordre : « Vous n’avez pas osé faire tirer (sous-entendu : sur les manifestants étudiants)».

J'aurais osé s'il avait fallu, lui ai-je répondu. Souvenez-vous de l'Algérie, de la rue d'Isly. Là, j'ai osé et je ne le regrette pas, parce qu'il fallait montrer que l'armée n 'était pas complice de la population algéroise (12) ».

 
   
         

Dans la folie meurtrière qui, sous les coups conjugués de l'OAS, du FLN, des barbouzes et du « Détachement métropolitain de police judiciaire » (couverture officielle de la fameuse mission C, constituée de 200 policiers et d'une trentaine de gendarmes aux ordres du capitaine Armand Lacoste), s'empare de l'Algérie et menace la métropole, la désignation de « l'ennemi commun » par l'Elysée se précise : le 3 avril 1962, lors d'une réunion du Comité des Affaires algériennes, De Gaulle déclare « qu'il faut se débarrasser sans délai de ce magmas d'auxiliaires qui n'ont jamais servi à rien » et il donne l'ordre de désarmer les harkis (que des ordres complémentaires de Joxe et de Messmer empêcheront de gagner la France et, pour certains qui y seront parvenus malgré tout, rembarqueront de force pour l'Algérie). Et le 4 mai, en Conseil des ministres, il déclare que « l'intérêt de la France a cessé de se confondre avec celui des pieds-noirs ». Les uns et les autres font donc partie du « boulet », dont le chef de l'État disait le 20 octobre 1959, à Alain Peyrefitte qu'il faut s'en « délester ». Ce qui indiquait d'avance la méthode - chirugicale - qu'il comptait employer et ce qui explique sans doute le peu de cas qu'il fait alors de leur sort, dont rendent compte régulièrement les rapports de ses services.

   
   
         
 

LA BARBOUZE - Colonel de Gendarmerie Armand Lacoste reçoit les insignes de Grand Officier de l'Ordre National du Mérite. " n'a jamais hésité, toujours au service de la « stricte légalité symbolisée par le Général de Gaulle ». En présence de l'Amiral Philippe De Gaulle, Bernard Tricot. - 6 juillet 1996 -

 
         
 
De Gaulle déclare « qu'il faut se débarrasser sans délai de ce magmas d'auxiliaires qui n'ont jamais servi à rien » et il donne l'ordre de désarmer les harkis (que des ordres complémentaires de Joxe et de Messmer empêcheront de gagner la France et, pour certains qui y seront parvenus malgré tout, rembarqueront de force pour l'Algérie)
 
 

Celui de Jean-Marie Robert, sous-préfet d'Akbou en 1962, adressé à Alexandre Parodi, vice-président du Conseil d'État, donne une idée détaillée des massacres auxquels se livre le FLN sur les supplétifs de l'armée française mais aussi sur les élus (maires, conseillers généraux et municipaux, anciens combattants, chefs de village, etc.) « Promenés habillés en femmes, nez, oreilles et lèvres coupées, émasculés, enterrés vivant dans la chaux ou même dans le ciment, ou brûlés vifs à l'essence ». Aux massacres de harkis qui atteignent bientôt des proportions et une horreur inimaginables, s'ajoutent les enlèvements d'Européens : entre 3 et 400 entre novembre 1954 et mars 1962, ils se multiplient brusquement à partir de cette date pour atteindre selon les travaux de Jordi le chiffre de 3000, dont 1.630 disparus(13).

     

Dans l'indifférence la plus totale de la part du gouvernement français, que n'émeut pas davantage le massacre du 5 juillet (premier jour de l'indépendance algérienne) à Oran qui va coûter la vie à 700 Européens (14).
« Pour la France, à part quelques enlèvements, les choses se passent à peu près convenablement », déclare même De Gaulle le 18 juillet. Cette disposition d'esprit du chef de l'État a une traduction concrète sur le terrain : en vertu de l'ordre donné à l'armée de rester l'arme au pied quoi qu'il arrive à nos nationaux, la politique d'abandon de l'Algérie se double d'une politique d'abandon des populations qui se réclament de la France et dont le sort est désormais lié au seul bon vouloir du GPRA.

 
Boulanger assassiné le 5 juillet 1962 à Oran
 
     
 
       
   
 

Et devant l'exode, dont il nie la  réalité  jusqu'au   dernier moment, le chef de l'État ne se soucie que de la « concentration » des réfugiés dans le sud de la France. L'ordre qu'il donne alors, le 18 juillet, est d'obliger les repliés ou les « lascars » (c'est ainsi qu'il appelle les pieds-noirs selon son humeur du jour) à se disperser sur 1'ensemble du territoire.

   
     

S'attirant cette réponse de Pompidou, nouveau Premier ministre : « Mais à quel titre exercer ces contraintes, mon général ? »
On ne peut tout de même pas assigner des Français à résidence ! Les rapatriés qui sont autour de Marseille ne créent aucun problème d'ordre public.
"On ne peut pas les sanctionner ! ", Il réplique : « Si ça ne colle pas, il faut qu’'on se donne les moyens de les faire aller plus loin ! Ça doit être possible sous l'angle de l'ordre public ».
Certains comme Joxe souhaitant envoyer cette « mauvaise graine » (sic) au Brésil ou en Australie, De Gaulle répond qu'ils aillent en Nouvelle Calédonie ou plutôt en Guyane... Mais son intention véritable, il le dit et le répète, c'est de faire en sorte que tous retournent sans délai dans cette Algérie, dont ils sont parvenus - souvent in extremis - à fuir la terreur.

En conseil des ministres, le 25 juillet 1962 , Peyrefitte note que « plusieurs collègues baissent la tête »... Et le chef de l'État est sans doute conscient de son effet puisque le même Peyrefitte rapporte que Pompidou, mi-plaisant mi-sérieux, lui raconte que le Général a déclaré à Mme De Gaulle : « Je vous le dis Yvonne, tout ça se terminera mal. »

Nous finirons en prison. Je n 'aurai même pas la consolation de vous retrouver puisque vous serez à la Petite Roquette et moi à la Santé ». Mais en réalité la détermination présidentielle est sans faille et pour que les choses soient bien claires, De Gaulle insiste :

« Napoléon disait qu'en amour, la seule victoire, c’est la fuite ; en matière de décolonisation aussi, la seule victoire c'est de s'en aller ».

L'Histoire retiendra qu'en vertu de cette considération gaullienne, la politique d'abandon s'est muée in fine en politique de fuite. Et c'est cette politique de fuite que symbolise désormais le choix, par la majorité actuelle, du 19 mars comme « journée nationale du souvenir en mémoire des victimes du conflit ».

Henri-Christian GIRAUD

Auteur de : Chronologie d'une tragédie gaullienne (Michalon) - | lire la suite pour le livre |

   
 

(1)   Evguenia Obilchkina, "L'URSS et la décolonisation de 1 Algérie et de I Afrique noire sous De Gaulle " in De Gaulle et la Russie (Dir. Maurice Vaïsse). CNRS Editions, 2012.
(2)   Matthiew Connelly, L'arme secrète du FLN. Comment De Gaulle a perdu la guerre d'Algérie. Payot. 2011.)
(3)   Alain Peyrefitte. C'était De Gaulle. Quarto Gallimard. 2002.
(4)   Louis Terrenoire, Edmond Miche/et. mon ami. Nouvelle Cité, 1995.
(5)   Albert Camus. Carnets. III. Gallimard, 1989.
(6)   Chantai Morelle. Comment de Gaulle et le FLN ont mis fin à la guerre d'Algérie, Ed. André Versailles, 2012.
(7)   Robert Buron. Carnets politiques de la guerre d'Algérie. La Découverte. 2002.
(8)   Jean-Jacques Jordi, Un silence d'Etat. Editions Soteca, 2012.
(9)   Benyoussef Ben Khedda, L'Algérie à l'indépendance, la crise de 1962, Ed. Dahlab, 1997.
(10) Jean Daniel. Cet étranger qui me ressemble Entretiens avec Martine de Rabaudy, Grasset. 2004.
(11) Lucien Bitterlin. Nous étions tous des terro­ristes, Editions du Témoignage Chrétien, 1983.)
(12)  Jean Mauriac. L'Après de Gaulle, notes confidentielles 1969-1989. Fayard, 2006.)
(13)  Rappel : c'est l'inconnu du devenir de la personne qui fait de cette personne un "disparu ". Selon l'historien, ces disparus se partagent ainsi pour l'année 1962 : 38. Du 1""janvier au 18 mars: 593. Du 19 mars au 3 juillet; 660 du 4 juillet au 31 décembre.
(14) Guillaume Zeller. Oran. 5 juillet 1962. Un massacre oublié, Tallandier. 2012.