Boualem SANSAL. - Si je pouvais me permettre, je lui conseillerais de rester chez lui, il a assez fait de dégâts comme ça, je parle de l’international, je n’ai pas d’avis sur son action en France.
À quelques mois de la présidentielle, se prosterner ainsi devant Bouteflika, c’est calamiteux pour l’image de la France et catastrophique pour le combat courageux que les Algériens mènent pour se libérer de la dictature coloniale du FLN et de M. Bouteflika, qui, depuis le 19 mars 1962, en est l’un de ses principaux animateurs.
Commémorer dans ces conditions cette date, importante pour tous, Algériens et Français, c’est encore une fois choisir de soutenir la dictature au détriment du peuple. Je le dis encore une fois, d’autant que Sarkozy et Chirac étaient des familiers d’el-Mouradia (le palais présidentiel à Alger, NDLR). Cette attitude immorale n’a-t-elle pas fait assez de malheurs et de morts dans le monde? M. Hollande ne voit-il pas que c’est, entre autres raisons, le soutien des gouvernements occidentaux, grands donneurs de leçons de démocratie au monde devant l’Eternel, à des Saddam Hussein, Kadhafi, Ben Ali, Moubarak, Assad, Bouteflika, émirs et sultans du Golfe... qui ont conduit à ce que nous vivons dramatiquement aujourd’hui : la terreur islamiste planétaire ?
Pourquoi la date du 19 mars est-elle discutée de part et d’autre de la Méditerranée ?
C’est normal. Le cessez-le-feu n’arrête pas la guerre, il l’amplifie, si la question de la légitimité des uns et des autres n’est pas attestée et si les dessous de la guerre ne sont pas tirés dans la lumière. Ecrivons l’histoire vraie et tout ira mieux.
Les menaces dans le Maghreb et le sahel sont si grandes qu’il est possible que
l’Algérie explose et donne naissance à un Daech 2
BOUALEM SANSAL
Dans l’imaginaire collectif algérien, que reste-t-il de la guerre avec la France ? Rien. Les Algériens sont sortis de la guerre le jour même de l’indépendance, le 5 juillet 1962. Ils ont fait sept jours et sept nuits de fête folle, puis ils sont rentrés chez eux, épuisés. Mais, une huitaine plus tard, une nouvelle guerre les a rappelés, la guerre des wilayas. La course au pouvoir des seigneurs de guerre avait commencé et faisait rage aux quatre coins du pays. Cette guerre n’a pas cessé à ce jour, elle change de forme seulement. La décennie 1990 a montré qu’elle pouvait aller loin dans l’horreur, et à peine celle-ci a-t-elle connu un répit que M. Bouteflika lance une nouvelle guerre contre les Berbères, notamment contre la très fière Kabylie et le très pacifique Mzab.
Au fil du temps, des répressions et des grandes opérations militaires dans les maquis, des millions d’Algériens ont fui, vers la France en premier, et le flot va grandissant. Il prendra une ampleur considérable si, à l’annonce du décès du président, la succession n’est pas immédiatement et intelligemment réglée par les différents centres de pouvoirs (armée, DRS, police, oligarques et milices parallèles). Les menaces dans le Maghreb et le Sahel sont si grandes qu’il est possible que l’Algérie explose et donne naissance à un Daech 2. Daech 1 est déjà en embuscade à sa frontière est et l’Aqmi au sud. Il y a trop de violence dans ce pays, de haines et de souffrances accumulées depuis le 19 mars 1962, pour que le règne noir de M. Bouteflika se termine seulement dans le soulagement et la joie. Il faut que justice passe.
Côté algérien, la France reste-t-elle l’éternelle coupable ?
C’est le discours du FLN et du pouvoir, qui, à force de rengaines et d’incantations en ont fait une religion obligatoire, enseignée à l’école, imposée dans la vie quotidienne, mais apprendre une religion et la pratiquer ne veut pas dire y croire. Les Algériens souffrent au présent, c’est cela qu’ils voient, aucun discours sur le passé ne le leur fera oublier. Les responsables de leurs malheurs, ils les connaissent, ils les subissent jour après jour, et toutes les nuits ils rêvent de les pendre haut et court.
Comment réconcilier les deux peuples ?
La bonne question est celle-ci : la réconciliation peut-elle se faire quand la France officielle soutient le pouvoir algérien, bras armé du FLN, promoteur de la religion de la haine de la France?
Le peuple algérien a de son côté, publiquement et définitivement, rejeté le FLN et sa religion maléfique lors de la révolution populaire d’octobre 1988.
En Algérie, on comprend la chose ainsi : la France veut une réconciliation avec le FLN (syndrome de Stockholm?), qui la voue à la honte et à la mort, pas avec le peuple algérien, qui veut d’elle comme amie à la petite condition qu’elle lui permette de venir vivre en France.
Mais le FLN n’est pas le seul à haïr la France, il y a les islamistes. Ils font la paire, ces deux-là, ils se ressemblent. En Algérie, on ne les distingue pas, on les appelle les « barbéfélènes ».
Rappelons que M. Bouteflika est le président du FLN et l’ami des islamistes, à qui il ne refuse rien.
Dans la guerre de libération des Algériens, l’islam a-t-il joué un rôle ?
Certainement, mais cet islam n’avait rien à voir avec l’islam d’aujourd’hui. C’était une sorte de baume de grand-mère qu’on mettait sur sa misère et ses blessures, il a un peu accompagné le FLN, il lui a fourni des versets efficaces pour mobiliser le petit peuple des campagnes et des bidonvilles. Il y avait des illuminés, mais c’était de bons fous. L’islamisation du FLN et des musulmans viendra plus tard, après l’indépendance. L’islam traditionnel avait vécu; arrivait l’islam mondialisé des Frères musulmans, des wahhabites, des ayatollahs, de la CIA, des free-lance de la mort... il y avait le choix. ■
* Dernier ouvrage paru: «2084» (Gallimard, 2015). |