NICOLAS SARKOZY
Choisir la date du 19 mars, c’est entretenir la guerre des mémoires

 
       
     

Pour l'ancien président de la République, retenir cette date revient à considérer que la France était « du mauvais côté de l’Histoire ».

La France et l’Algérie partagent une Histoire commune. '

Une Histoire qui a duré plus d’un siècle. C’est une réalité. De cette Histoire, la mémoire collective de nos peuples a retenu les hautes figures d’Abd el-Kader, du duc d’Aumale ou encore l’héroïsme des tirailleurs algériens tenant tête à l’armée prussienne sur le champ de bataille de Wissembourg. Des Français d’Algérie, de toutes origines, de toutes religions, de toutes conditions, ont donné leur sang pour la France, en 1870, en 1914-1918, en 1939-1945 et plus tard lors de conflits extérieurs. Ils sont tombés pour la gloire et l’honneur du drapeau tricolore. Des Français ont consacré leur vie à l’Algérie, ils ont construit, cultivé, embelli, et surtout aimé ce pays qu’ils considéraient comme le leur. Des centaines de milliers d’entre eux reposent toujours en Algérie. Mais cette Histoire est aussi faite de violence. Violence de la conquête, violence des révoltes contre cette même conquête, violence de l’exploitation et de la colonisation, violence des opérations de « pacification » et violence enfin de la guerre d’Algérie, qui avant d’être une guerre d’indépendance fut aussi une guerre civile.

 
 
     

Cette Histoire-là est douloureuse car, comme dans tout conflit, la violence fut aussi, hélas, des deux côtés.

Depuis la fin de ce conflit et les accords d’Évian qui tentèrent de trouver une issue négociée à huit ans de guerre, la France et l’Algérie ont essayé d’envisager ensemble un autre avenir. Un avenir qui passe nécessairement par cette mer Méditerranée commune aux deux pays. Les relations économiques n’ont jamais plus d’un million d’Algériens vivent aujourd’hui dans notre pays. Si l’Histoire de nos deux pays n’est plus commune, elle reste, on le voit bien, largement partagée par nos deux peuples. Pour autant, les anciennes blessures ne sont pas toutes cicatrisées. Il revient donc à chacun de nos peuples de regarder son Histoire en face. Si en 2012, au camp de Rivesaltes, président de la République, j’ai reconnu, au nom de la France, la responsabilité de la République dans la tragédie des harkis, je ne me suis évidemment pas permis de m’exprimer au nom de l’Algérie. C’est à ce pays souverain et à son opinion publique qu’il cessé et si en 1962 plus d’un million de Français d’Algérie ont rejoint la France, plus d’un million d’Algériens vivent aujourd’hui dans notre pays. Si l’Histoire de nos deux pays n’est plus commune, elle reste, on le voit bien, largement partagée par nos deux peuples. Pour autant, les anciennes blessures ne sont pas toutes cicatrisées. Il revient donc à chacun de nos peuples de regarder son Histoire en face. Si en 2012, au camp de Rivesaltes, président de la République, j’ai reconnu, au nom de la France, la responsabilité de la République dans la tragédie des harkis, je ne me suis évidemment pas permis de m’exprimer au nom de l’Algérie. C’est à ce pays souverain et à son opinion publique qu’il reviendra de faire, sur cet épisode de son Histoire, le travail de mémoire nécessaire pour qu’un jour les fils de harkis puissent librement s’interroger sur le sort qui a été réservé à leurs familles et à leur enfance.

Il n’en demeure pas moins qu’il faut aussi trouver les mots pour désigner ce passé commun et choisir des dates pour commémorer cette guerre qui a marqué nos deux nations, afin de rendre ainsi un même hommage à tous ceux qui sont tombés ou qui ont combattu.


Le président Jacques Chirac avait choisi la date du 5 décembre pour rendre hommage à tous les morts pour la France de ce conflit.
J’ai toujours respecté ce choix de cohésion et d’unité nationale


Le président de la République et sa majorité ont choisi délibérément le 19 mars, date du cessez-le-feu qui suivit la signature des accords d’Évian pour commémorer la fin de la guerre d’Algérie. Pour qu’une commémoration soit commune, il faut que la date célébrée soit acceptée par tous. Or chacun sait qu’il n’en est rien, le 19 mars reste au cœur d’un débat douloureux.

Le président François Mitterrand, lui-même, refusa catégoriquement de reconnaître cette date pour commémorer la fin de la guerre d’Algérie. Il faut dire qu’il avait été un acteur de l’époque, en prise avec ces événements. Il savait que le conflit n’avait pas cessé au lendemain des accords d’Évian et que la tragédie au contraire s’était poursuivie pendant des mois. Le rapatriement des Français d’Algérie, les victimes des attentats, les exactions contre les harkis, autant d’événements douloureux qui ne peuvent pas être effacés de l’Histoire officielle et rejetés vers le purgatoire de notre mémoire collective. Choisir la date du 19 mars, que certains continuent à considérer comme une défaite militaire de la France, c’est en quelque sorte adopter le point de vue des uns contre les autres, c’est considérer qu’il y a désormais un bon et un mauvais côté de l’Histoire et que la France était du mauvais côté.

Le président Jacques Chirac avait choisi une date, celle du 5 décembre, pour rendre hommage à tous les morts pour la France de ce conflit. J’ai toujours respecté ce choix, un choix de cohésion et d'unité nationale, car il n’opposait pas deux passés. J’ai moi-même voulu que les victimes civiles ainsi que tous les disparus civils et militaires soient justement associés à cette journée nationale. Je veux que l’ensemble des Français, notamment les plus jeunes, sachent ce qu’ont été les épreuves, l’exil, les déchirements des Français d’Afrique du Nord, car les appelés, les rapatriés et les harkis gardent un souvenir douloureux de cette année 1962.

La guerre d’Algérie a été un événement dramatique, des hommes et des femmes portent encore dans leur souvenir comme dans leur chair la trace de cette Histoire vivante, ne déclenchons pas une guerre des mémoires.

 

DESSINS DOBRITZ

 

Boualem Sansal : « M. Hollande fait le choix de soutenir la dictature algérienne »

PROPOS RECUEILLIS PAR VINCENT TRÉMOLET DE VILLERS

 

LE FIGARO. - François Hollande est le premier chef d’État français à s’associer aux commémorations du 19 mars. Il devrait prononcer un discours au Quai Branly.

Que vous inspire ce choix ?

 

Boualem SANSAL. - Si je pouvais me permettre, je lui conseillerais de rester chez lui, il a assez fait de dégâts comme ça, je parle de l’international, je n’ai pas d’avis sur son action en France.
À quelques mois de la présidentielle, se prosterner ainsi devant Bouteflika, c’est calamiteux pour l’image de la France et catastrophique pour le combat courageux que les Algériens mènent pour se libérer de la dictature coloniale du FLN et de M. Bouteflika, qui, depuis le 19 mars 1962, en est l’un de ses principaux animateurs.

Commémorer dans ces conditions cette date, importante pour tous, Algériens et Français, c’est encore une fois choisir de soutenir la dictature au détriment du peuple. Je le dis encore une fois, d’autant que Sarkozy et Chirac étaient des familiers d’el-Mouradia (le palais présidentiel à Alger, NDLR). Cette attitude immorale n’a-t-elle pas fait assez de malheurs et de morts dans le monde? M. Hollande ne voit-il pas que c’est, entre autres raisons, le soutien des gouvernements occidentaux, grands donneurs de leçons de démocratie au monde devant l’Eternel, à des Saddam Hussein, Kadhafi, Ben Ali, Moubarak, Assad, Bouteflika, émirs et sultans du Golfe... qui ont conduit à ce que nous vivons dramatiquement aujourd’hui : la terreur islamiste planétaire ?

Pourquoi la date du 19 mars est-elle discutée de part et d’autre de la Méditerranée ?

C’est normal. Le cessez-le-feu n’arrête pas la guerre, il l’amplifie, si la question de la légitimité des uns et des autres n’est pas attestée et si les dessous de la guerre ne sont pas tirés dans la lumière. Ecrivons l’histoire vraie et tout ira mieux.


Les menaces dans le Maghreb et le sahel sont si grandes qu’il est possible que
 l’Algérie explose et donne naissance à un Daech 2

BOUALEM SANSAL


Dans l’imaginaire collectif algérien, que reste-t-il de la guerre avec la France ? Rien. Les Algériens sont sortis de la guerre le jour même de l’indépendance, le 5 juillet 1962. Ils ont fait sept jours et sept nuits de fête folle, puis ils sont rentrés chez eux, épuisés. Mais, une huitaine plus tard, une nouvelle guerre les a rappelés, la guerre des wilayas. La course au pouvoir des seigneurs de guerre avait commencé et faisait rage aux quatre coins du pays. Cette guerre n’a pas cessé à ce jour, elle change de forme seulement. La décennie 1990 a montré qu’elle pouvait aller loin dans l’horreur, et à peine celle-ci a-t-elle connu un répit que M. Bouteflika lance une nouvelle guerre contre les Berbères, notamment contre la très fière Kabylie et le très pacifique Mzab.

Au fil du temps, des répressions et des grandes opérations militaires dans les maquis, des millions d’Algériens ont fui, vers la France en premier, et le flot va grandissant. Il prendra une ampleur considérable si, à l’annonce du décès du président, la succession n’est pas immédiatement et intelligemment réglée par les différents centres de pouvoirs (armée, DRS, police, oligarques et milices parallèles). Les menaces dans le Maghreb et le Sahel sont si grandes qu’il est possible que l’Algérie explose et donne naissance à un Daech 2. Daech 1 est déjà en embuscade à sa frontière est et l’Aqmi au sud. Il y a trop de violence dans ce pays, de haines et de souffrances accumulées depuis le 19 mars 1962, pour que le règne noir de M. Bouteflika se termine seulement dans le soulagement et la joie. Il faut que justice passe.

Côté algérien, la France reste-t-elle l’éternelle coupable ?

C’est le discours du FLN et du pouvoir, qui, à force de rengaines et d’incantations en ont fait une religion obligatoire, enseignée à l’école, imposée dans la vie quotidienne, mais apprendre une religion et la pratiquer ne veut pas dire y croire. Les Algériens souffrent au présent, c’est cela qu’ils voient, aucun discours sur le passé ne le leur fera oublier. Les responsables de leurs malheurs, ils les connaissent, ils les subissent jour après jour, et toutes les nuits ils rêvent de les pendre haut et court.

Comment réconcilier les deux peuples ?

La bonne question est celle-ci : la réconciliation peut-elle se faire quand la France officielle soutient le pouvoir algérien, bras armé du FLN, promoteur de la religion de la haine de la France?
Le peuple algérien a de son côté, publiquement et définitivement, rejeté le FLN et sa religion maléfique lors de la révolution populaire d’octobre 1988.

En Algérie, on comprend la chose ainsi : la France veut une réconciliation avec le FLN (syndrome de Stockholm?), qui la voue à la honte et à la mort, pas avec le peuple algérien, qui veut d’elle comme amie à la petite condition qu’elle lui permette de venir vivre en France.

Mais le FLN n’est pas le seul à haïr la France, il y a les islamistes. Ils font la paire, ces deux-là, ils se ressemblent. En Algérie, on ne les distingue pas, on les appelle les « barbéfélènes ».

Rappelons que M. Bouteflika est le président du FLN et l’ami des islamistes, à qui il ne refuse rien.

Dans la guerre de libération des Algériens, l’islam a-t-il joué un rôle ?

Certainement, mais cet islam n’avait rien à voir avec l’islam d’aujourd’hui. C’était une sorte de baume de grand-mère qu’on mettait sur sa misère et ses blessures, il a un peu accompagné le FLN, il lui a fourni des versets efficaces pour mobiliser le petit peuple des campagnes et des bidonvilles. Il y avait des illuminés, mais c’était de bons fous. L’islamisation du FLN et des musulmans viendra plus tard, après l’indépendance. L’islam traditionnel avait vécu; arrivait l’islam mondialisé des Frères musulmans, des wahhabites, des ayatollahs, de la CIA, des free-lance de la mort... il y avait le choix. ■

* Dernier ouvrage paru: «2084» (Gallimard, 2015).

 
Le Figaro du 18 mars 2016
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