L'étymologie des mots français, dont l'origine proche-orientale remonte soit aux invasions du VIIIe siècle, soit aux croisades du XIIIe, soit, encore plus près de nous, à l'époque de la présence Française en Afrique du Nord.  
     
 

L'armée d'Afrique, de glorieuse mémoire, nous a légué elle aussi un nombre de mots aussi familiers que sympathiques : goums, tabors marocains, maghzen - employés chérifiens aux approvisionnements qui ont donné le mot « magasin » -, spahis - à l'origine cavaliers supplétifs de l'armée ottomane - et, plus anciennement, les mamelouks du général Bonaparte (à l'origine le mot signifie « esclave », participe passé de malaka, selon Larousse). « Faire la nouba », c'est faire la fête, de même que « faire du ramdam » évoque les réjouissances qui suivent le ramadan musulman. Quant aux « chenapans arabes », comme on les appelait au XIXe siècle, il ne faut pas y voir à l'origine un terme désignant les voleurs et les bandits. Il vient en fait des immenses fusils à pierre utilisés pour les fantasias. Ces armes étaient munies d'une platine dont le chien, d'origine hollandaise, s'abattait vers l'arrière, mettant le feu à la poudre colorée. Ce mouvement rappelait celui d'une poule en train de picorer : en flamand snap-hahn .

L'invasion arabe du VIIIe siècle, dont les lourds « vêtus de fer » de Charles Martel brisèrent net l'élan aux environs de Poitiers en l'an 732, n'a pas laissé beaucoup de traces dans notre langue. Au contraire de l'Espagne, envahie par les troupes de l'émir Al-Tarik venues du Maroc. Celui-ci traversa la Méditerranée en droite ligne par ce que l'on appelait encore les colonnes d'Hercule, dirigea un débarquement et un assaut magistral contre cette montagne qui termine l'Andalousie. Tout naturellement, les vainqueurs l'appelèrent djebel al-Tarik, « la montagne de Tarik », qui donna « Gibraltar ».

Les croisades du XIIIe siècle amenèrent des contacts plus prolongés, à une époque où les Arabes avaient développé une civilisation tout à fait brillante. Il nous en reste entre autres l'« alambic » - al-ambic - l'appareil servant à faire de l'« alcool » - al-kohl . Deux mots qui prêtent à sourire quand on sait que, pour le Coran, « une seule goutte d'alcool est maudite ». Notons qu'alcool est le même mot que kohl, le fard à paupières. Le terme peut se traduire par
« sublimé », le résultat de l'opération chimique qui, grâce à une chaleur vive, fait passer directement un corps solide à l'état gazeux sans transition par une phase liquide.

Prenons d'autres mots au hasard. Al zard justement, en arabe, désigne le « bourgeon » mais aussi le « jeu de dés », peut-être à cause de la taille de l'objet ou du dessin sur une des faces. On voit la suite. Et qui commande sur mer ? N'est-ce pas un « amiral » ? Eh bien c'est la transcription d' amîr ou emir al-bahar, littéralement le prince ou commandant de la mer !

Autre mot bien connu de nous : le « coton », qutun, reconnaissable en espagnol sous la forme algodón . Au Moyen Age, où on l'appelait « laine d'arbre », on le représentait naïvement comme un noyer donnant de grosses noix et, dans chaque noix, on pouvait voir un petit mouton. N'est-ce pas joli ?

Plus étrange est le cas de l'« abricot ». Les Romains, du temps qu'ils dominaient l'Egypte et l'Asie Mineure, l'appellaient mala praecox, « la pomme hâtive ». Les Arabes s'emparèrent de ce terme latin qu'ils prononcèrent à peu près al-pricocs . Qui a donné par un singulier retour des choses « abricot » en français, albicocco en italien, albaricoque en espagnol. En fait, « abricot », c'est du latin arabisé : qui l'eût cru ?

Plus singulier encore, le « théodolite ». Cet appareil extrêmement compliqué est utilisé en astronomie et en géodésie. Il comporte une « alidade », une règle de bois graduée qui, par exemple, dans la marine permet de relever sa position. Alidade vient de l'arabe al 'idâda, le « bras », et par extension le « soutien ». Nos voisins anglais, qui n'avaient rien compris, prirent les mots arabes tels quels en les faisant évidemment précéder de leur article défini, ce qui donna the al-idad . « Quelle bonne idée ! s'exclamèrent les Français, qui n'avaient rien compris non plus. Nous l'adoptons immédiatement ! » En un mot, cela donna « thealidade ». Vint, en 1539, l'ordonnance de Villers-Cotterêt, par laquelle François Ier obligeait les instances du royaume à parler enfin un français intelligible. Ce qui ne parut pas intelligent à la « bande à Clément Marot », des humanistes qui résolurent d'accorder de la noblesse étymologique à notre pauvre langue barbare. Le « thealidade » leur parut éminemment suspect ; ils l'hellénisèrent sans façons en « théodolite », sans « h » à lite, ce qui était absolument idiot mais qui est resté jusqu'à nos jours. De belles fautes pour la dictée de Pivot. En somme, le théodolite est de l'arabe anglicisé francisé. Avouez que c'est rude !

On pourrait trouver ainsi bien des mots arabes passés en français : des vents « alizés » jusqu'au « zénith » (le sommet du ciel) et au « nadir » (son opposé). Ou même, en cuisine, le délicieux
« sorbet », qui vient de chorbât, le dessert à la neige prisé des Arabes de l'Atlas. En revanche, un mot qui a fait le tour du monde, le « bazar », s'il est venu par l'arabe, est originaire d'Iran : c'est un mot farsi. De même que notre « truchement », l'interprète, vient du turc drogman, par l'intermédiaire de l'arabe où il signifie traducteur. Un des rares mots arabes à quatre consonnes !

La conquête de l'Algérie et des pays voisins, à partir de 1830, nous apporta elle aussi une foule de mots nouveaux. Notre brave chien, vulgairement appelé « clébard », vient du kleb arabe. A vrai dire, c'est de l'arabe du Maghreb car en arabe classique, c'est kelb . Le « s » de clebs est-il là pour faire joli ou par erreur, on ne sait ? Et ne disons-nous pas couramment « toubib » - tabib en arabe - pour médecin ? De même qu'un village isolé de France n'est-il pas devenu un bled paumé ?

Pour désigner une certaine pagaille, on parle de souk, à l'image de ce marché animé des pays d'Islam dans lequel il faut se rendre avec un chouïa de flouze ? Chouïa veut vraiment dire « un peu », alors que flouze, ou mieux flous, est le pluriel maghrébin de l'arabe classique filss,
« piécette » : en somme, le flous peut se traduire par « les sous ». De même que notre
« gazette » était, à l'origine, payée en petite monnaie de Gaza.

Les mots et l'accent des pieds-noirs des Rapatriés ont fortement contribué à faire évoluer le vocabulaire des banlieues parisienne et marseillaise, où l'on trouvait encore aux alentours de la guerre de 14 des salaouetches, des « voyous », mot venu de l'autre bord de la Méditerranée. Le « couscous », qu'Alexandre Dumas écrivait « cousscouss », tout comme le « burnous », qu'Alphonse Daudet translittérait « beurnouss », sont aussi depuis longtemps passés dans la langue française. Les kroumirs, sorte de « pantoufles » qui eurent leur vogue vers 1930, viennent du nom des tribus berbères des montagnes. Si on n'en porte plus, on connaît toujours les « babouches » (bâboûch) d'abord persanes avant d'être arabes.

Et comment ne pas rêver devant les merveilleux noms des étoiles légués par les astronomes arabes, Altaïr ou Bételgeuse, Fomalhaut ou Achernar, en passant par Aldébaran, Algol et Dénébola ?

 
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