Le Général de Larminat un homme d'honneur
Edgard de Larminat, né le 29 novembre 1895 à Alès (Gard) et mort le 1er juillet 1962 à Paris, est un général français, qui combattit lors des deux guerres mondiales. Compagnon de la Libération, il est un des premiers militaires français à rejoindre les forces françaises libres en 1940. Nommé général d'armée en 1953, puis Inspecteur des Troupes Coloniales en 1955, il est versé un an après dans la 2e section (cadres de réserve). En juin 1962, rappelé, il est nommé président de la Cour militaire de justice chargée de juger les participants au putsch d'Alger en avril 1961.
Le 1er juillet 1962, il met fin à ses jours.

En 1962, alors qu’il était passé depuis peu dans la deuxième section (un officier général n’est jamais « à la retraite » contrairement à la qualification erronée donnée par Charles De Gaulle aux généraux putschistes par lui mis en cause dans un discours en 61), il avait accepté - non sans réticence – d’être rappelé au service actif pour présider la « Cour Militaire de Justice » devant laquelle devaient comparaître les soldats de divers grades, ainsi que certains civils, qui avaient suivi les généraux Salan et Jouhaud au sein de l’Organisation Armée Secrète (O.A.S.), conjuration érigée pour combattre dans la clandestinité le pouvoir légal gaulliste et en vue de tenter maintenir ainsi en Algérie la souveraineté française menacée par ce pouvoir.
Cette Cour entra en fonction en juin 1962.

   

Or, en raison d’une hospitalisation d’urgence au Val-de-Grâce à ce moment-là, Larminat fut d’emblée, et jusqu’au 1er juillet inclus, remplacé à la présidence de cette juridiction par un certain Général Gardet.
Le 1er juillet, il fut directement conduit du Val-de-Grâce à l’Elysée, convoqué par Charles De Gaulle, qui le reçut assez longuement sans témoin.
Cet entretien, dans ces conditions, ne laissa évidemment aucune trace contrôlable, mais tout porte à penser qu’il y fut, bien sûr, surtout question de la mission que Larminat allait devoir remplir en présidant effectivement les prochains débats de la Cour Militaire de Justice. Les révélations - évoquées plus loin - de son épouse confirment d’ailleurs qu’il fut bien question de cela.


Les circonstances (le contexte historique)


A l’issue de cette entrevue, il devait être reconduit directement à l’hôpital militaire, disciplinairement tenu en principe de n’en ressortir que pour être transporté chaque jour au tribunal, et vice-versa.
Mais c’est chez lui qu’il donna ordre à son chauffeur de le conduire, faisant déjà en cela acte - certes encore véniel – d’indiscipline…

Après s’être entretenu avec son épouse, il s’enferma dans son bureau : c’est là qu’il fut trouvé mort, au matin du
2 juillet 1962, une balle de son vieux revolver dans la tête. Il avait laissé une note d’explication
 

Motivations susceptibles d'avoir conduit au suicide le Général de Larminat


Il est vrai qu’en 1961 Larminat avait désapprouvé les acteurs du putsch avorté du 22 Avril, au point de conseiller le suicide aux généraux putschistes… La persistance de son loyalisme envers De Gaulle, à ce moment là encore, ayant été ainsi réaffirmée avec éclat, il n’y eut rien d’étonnant à ce que la présidence de la Cour Militaire de Justice lui fût proposée quelques mois plus tard par l’entremise de Pierre Messmer : il manifesta pourtant, alors déjà, une notable réticence avant d’accepter ce poste… Mais l’accepta…
Or, Lorsque j’ai eu l’honneur de le rencontrer après sa sortie de prison, le Général Salan, ancien chef de l’O.A.S. et comme tel peu porté sans doute à l’indulgence envers les officiers restés jusqu’au bout fidèles à Charles De Gaulle, m’a personnellement assuré avoir conservé toute son estime à la mémoire de son

camarade d’arme, le Général de Larminat, qui - selon lui – s’était donné la mort pour ne pas condamner les ultimes combattants de l’Algérie Française, rejoignant ainsi, in extremis et à sa manière, ces combattants, et donc leur cause. En se suicidant au moment ou il l’a fait et dans le contexte de ce moment, le fait est que Larminat, qui ne pouvait d’ailleurs ignorer cette interprétation si probable de son geste, s’est, tel l’« ouvrier de la dernière heure », rangé aux côtés des « soldats perdus » qu’il avait l’ordre de juger, ayant, comme eux bien que par un biais différent, choisi l’honneur plutôt que l’obéissance.
Alors quels sont les facteurs ayant pu induire le revirement de dernière minute qu’évoque, et que constitue en fait, ce sacrifice ? Et quels sont les arguments qui plaident à l’encontre de l’explication que prétend apporter, de ce suicide, et de son sens profond, Jacques de La Ferrière ?
     
   

Juger de tels accusés, dont l’action avait été inspirée par de tels mobiles, avait déjà probablement - on le conçoit aisément - de quoi embarrasser un général qui s’était lui-même rebellé en 1940, également dans une intention patriotique, contre le pouvoir légal d’alors… Il ne faut pas oublier de plus, que ceux des accusés en âge d’avoir pu faire ce choix avaient, pour la plupart, eux aussi, combattu du côté de la « France libre ». Certes les anciens résistants dont il s’agit ici, ceux qui avaient tout naturellement rejoint l’O.A.S. en entrant pour la seconde fois de leur vie en dissidence pour raison patriotique, étaient assurément bien plus dans la ligne d’Honoré d’Estienne d’Orves, du Colonel Remy, ou encore des combattants du maquis du Plateau des Glieres (fondé par Jean Vallette d’Osia), parmi tant d’autres gens admirables, que dans le sillage d’un « Colonel » Fabien ou d’un Georges Guingouin…


Les pressions probablement exercées sur lui


S’il était l’objet de pressions tendant à lui faire infléchir son action à la tête de ce tribunal dans un sens prédéterminé et donc éventuellement différent de celui qui allait lui être dicté par sa conscience, remplir sa mission s’avérait alors de nature à poser un problème capital à cet officier qui, selon les nombreux témoignages de ceux qui l’ont connu, avait toujours fait preuve d’une profonde honnêteté ainsi que d’une forte indépendance d’esprit.
Or ces pressions semblent bien avoir été exercées sur lui : lors d’une cérémonie commémorant la mort du colonel Bastien-Thiry, la générale de Larminat (à présent décédée), la mieux placée pour avoir recueilli les dernières confidences de son mari, a prononcé un discours devant de multiples témoins encore vivants aujourd’hui, dans lequel elle soutenait notamment que celui-ci, revenu bouleversé de l’Elysée le 1er juillet 1962, lui avait révélé qu’il venait de recevoir de De Gaulle l’ordre de prononcer des condamnations à mort et précisé qu’il ne pouvait lui obéir. Le seul fait d’avoir voulu être présente à cette cérémonie du souvenir autour de la tombe du Colonel Bastien-Thiry, héros emblématique de l’anti-Gaullisme suprême, n’était-il pas d’ailleurs, en soi-même déjà, une prise de position assez significative de la part de cette Dame qui s’exprimait là en tant que veuve du général ?
L’ultime note laissée par le Général de Larminat n’allait-elle pas d’ailleurs dans le sens de ce qu’il avait déclaré à son épouse ? Ainsi, lorsqu’il écrivit : « je me donne volontairement la mort parce que je suis incapable d’accomplir mon devoir qui est de présider la Cour Militaire de Justice », rien n’interdit de penser que cette incapacité était avant tout, pour lui, d’ordre moral. De même, s’adressant à De Gaulle : « je n’ai pas pu physiquement ni mentalement accomplir le devoir qui m’était tracé », cela ne voulait-il pas dire : « tout mon être se refusait à exécuter ce qui m’était ordonné » ? Quant à la suite de ce dernier billet : « je m’en inflige la peine, mais je tiens à ce qu’il soit su que c’est ma faiblesse et non votre force et votre lucidité qui sont en cause », elle ne correspond guère, prise au pied de la lettre, au profil psychologique, doué d’une grande fierté, de l’auteur des « Chroniques irrévérencieuses », mais ce propos, d’ailleurs assez sibyllin, pouvait très bien se lire comme simplement empreint d’une ironie quelque peu altière, beaucoup plus dans son style.


Evolution probable de ses convictions politiques entre 1961 et 1962


La probable évolution- sans doute exponentiellement progressive - de ses convictions entre 1961 et 1962, évolution alors induite par celle du contexte politique et par la survenue des événements gravissimes qui en découlaient et qui projetaient une lumière crue sur la forfaiture gaulliste.
Tandis que s’accentuait en effet et devenait de plus et plus évident, notamment dès que fut connue l’imminente probabilité des « accords d’Evian », le processus visant objectivement à perdre la guerre d’Algérie alors même que l’armée française l’avait pratiquement gagnée sur le terrain, voire à s’allier avec l’ennemi (le F.L.N.) contre les résistants français (l’O.A.S) entrés dans la clandestinité pour contrer cette trahison, de sordides et tragiques événements allaient, au cours de cette période, considérablement enlaidir encore ce triste tableau.
S’il était possible dans une certaine mesure, pour ceux qui avaient eu foi en De Gaulle, de douter encore en avril 1961 et même encore au début de 62, du fait que cette figure emblématique, à leurs yeux, du patriotisme pût être en réalité animée de la volonté de faire carrément cadeau de l’Algérie - et du Sahara, avec son pétrole - à l’ennemi F.LN., de douter du fait que ce symbole, à leurs yeux, de l’honneur, voire de la générosité, pût être capable d’une telle duplicité et d’une telle dureté de coeur, l’accélération exponentielle du cours de l’Histoire après l’échec du putsch était de nature à effacer progressivement mais rapidement, chez les plus lucides, toute possibilité de continuer à se leurrer sur la personnalité profonde Charles De Gaulle et ses réelles intentions…
Les plus choquants de ces événements furent assurément la révélation de « l’affaire Si Salah », le début du massacre des harkis dès le 19 mars 1962, et la fusillade de la rue d’Isly le 26 mars 1962.


La révélation de l'affaire « Si Salah »


Lors de leur procès à la suite du putsch du 22 Avril 1961, les accusés, notamment le général Challe, avaient eu la possibilité d’exposer en détail les divers motifs de leur rébellion et de révéler en particulier ce qui fut appelé « l’affaire Si Salah »: Chef de la Willaya IV du F.L.N., Si Salah avait, au cours d’une entrevue secrète avec De Gaulle en France au titre de la fameuse « paix des braves » proposée par ce dernier, offert sa reddition et celle de ses hommes, ce qui eût sans doute porté le coup de grâce au F.L.N. en Algérie. Mais, comme semblaient le démontrer bien des révélations faites au cours de ce procès, l’Elysée aurait alors délibérément fait échouer cette reddition décisive en faisant dénoncer Si Salah au F.L.N., qui l’assassina dès qu’il fut de retour sur le sol algérien…
Le massacre des Harkis
La signature des « accords d’Evian », le 19 Mars 1962, avait, dès le lendemain de cette date, entraîné le début, dans d’abominables conditions de sauvagerie, du massacre des harkis, que l’armée française avait entrepris de désarmer sur l’ordre de De Gaulle, ordre transmis par son zélé serviteur Messmer, assorti même de l’interdiction de leur assurer ensuite la moindre protection, les livrant ainsi de fait à la vindicte du F.L.N.. Ce massacre reste, à l’évidence, une tache des plus hideuses sur l’honneur de la France. De la France légale du moins. Comme de l’Algérie nouvelle d’ailleurs.


La fusillade de la rue d’Isly


La fusillade de la rue d’Isly à Alger, événement emblématique lui aussi totalement révoltant, avait eu lieu le 26 Mars 1962 : Une foule française qui manifestait, sans arme, drapeaux tricolores brandis, son opposition au processus en cours et son soutien à l’O.A.S., avait été mitraillée par un détachement du 4ème Régiment de Tirailleurs Algériens, unité de l’armée française aux ordres du pouvoir gaulliste.
[Des témoignages, dont celui d’un journaliste ayant pu en publier à l’époque le reportage dans « le Figaro », rapportent que ces tirailleurs ouvrirent le feu sans avoir fait la moindre sommation sur les manifestants désarmés massés en face d’eux, les massacrant comme à plaisir pendant plus de douze minutes. Ils allèrent même jusqu’à abaisser leur tir de façon à atteindre les personnes qui s’étaient couchées ou qui étaient déjà tombées sous un premier impact, et jusqu’à achever certains blessés, tirant même sur ceux qui tentaient de leur porter secours et qui tombaient alors à leur tour. Ils poursuivirent en outre jusque dans les immeubles voisins les manifestants qui s‘y étaient réfugiés. Il résulta officiellement de tout cela 66 morts et plus de 200 blessés, dont un bon nombre devaient s’éteindre des suites de leurs blessures. Or si le but poursuivi n’avait réellement été que de disperser cette manifestation, il eût pourtant suffi d’utiliser contre elle des canons à eau, désagréables certes, et efficaces en de telles circonstances, mais non meurtriers… Cette fusillade de civils français perpétrée - qui plus est - sur l’ordre d’un gouvernement français ne constitue t-elle pas non seulement une trahison contre la patrie, mais même un crime contre l’humanité dont les responsables auraient déjà d’avoir à répondre ? Dont les responsables encore vivants devraient avoir à répondre ? Il en est de même du massacre des harkis ci-dessus évoqué, comme d’ailleurs, entre autres, des massacres survenus à Oran le 5 juillet 1962, ainsi que des nombreuses disparitions de français après l'indépendance de l'Algérie…].

Source : site internet de Monsieur Jean Marie de Larminat. http://www.larminat-jm.com
Voir aussi PNHA N° 169 de décembre 2008