Il était une fois l’Empire Français

LES MARINS EN INDOCHINE
1857/1945

Les amiraux gouverneurs en Cochinchine et Francis Garnier


 
       
 








Rigault de Genouilly

 
 

Depuis l’avènement de l’empereur Tu Duc, les missionnaires catholiques français et espagnols étaient maltraités en Annam. Dès 1847, les navires français avaient détruit à titre d’avertissement les forts de Tourane. En 1857, Monseigneur Diaz, évêque de nationalité espagnole, avait été assassiné.
En cette même année, des navires français et espagnols étaient venus opérer sur les côtes. L’amiral Rigault de Genouilly, pour intimider les mandarins, avait bombardé et occupé Tourane. Mais les troupes de débarquement avaient été éprouvées par la saison des pluies et les malades qui en résultaient. D’autre part, les marins avaient compté sur l’aide des Chrétiens qui auraient pu servir de guides, mais ceux-ci n’avaient pas osé intervenir.


1- L’amiral Rigault de Genouilly


Le principal objectif était manqué, puisque Hué, capitale de l’empire d’Annam, n’avait pas été atteint. L’amiral Rigault de Genouilly compensa cet échec en faisant reconnaître le Delta du fleuve Rouge et celui du Mékong. Au moment où la mousson soufflant du nord rendait difficile la navigation vers le Tonkin, le Delta du Mékong en Cochinchine, était d’un accès relativement aisé. La marée permettait d’aller jusqu’à Saïgon, que Rigault de Genouilly fit bombarder et occuper le 18 février 1859. Après avoir fait sauter la citadelle, et laissé une garnison sur place, il retourna à Tourane qui fut réoccupée.
Mais la cour d’Annam n’était pas disposée à céder, bien que la France n’ait demandé de garanties que pour les missionnaires et les commerçants, sans exiger d’indemnité de guerre. D’autre part, l’escadre française de l’Annam dut rejoindre la flotte, envoyée pour l’expédition de Chine, ce qui causa, en grande partie , l’évacuation de Tourane.
La garnison de Saïgon, réduite à 700 hommes, soutint un siège héroïque de dix mois. Au retour de l’expédition de Chine, la flotte française vint délivrer la garnison de Saigon et les trois provinces de la Plaine à l’ouest du Mékong furent occupées militairement. L’amiral Charner², à la tête d’un corps expéditionnaire franco-espagnol, s’empara les 24 et 25 février 1861, des lignes de Chi Hoa. La pacification du pays est entreprise.

 

2- L’organisation de la Cochinchine


Les amiraux Charner et Bonnard organisèrent une sorte de Protectorat sur la Cochinchine. Les fonctionnaires indigènes furent maintenus avec leurs pouvoirs traditionnels et simplement placés sous le contrôle d’officiers de Marine qui reçurent le titre d’"Inspecteurs des Affaires Indigènes".
Ce système d’administration semblait fonctionner normalement. Aussi les troupes françaises furent-elles retirées. Mais, l’empereur d’Annam Tu Duc n’avait pas renoncé à sa souveraineté sur la Cochinchine et favorisait une agitation qui devait nécessiter de nouvelles expéditions dans l’intérieur du pays. Pendant quelque temps, les officiers de Marine français exercèrent tous les pouvoirs. Le commandant Simon reçut l’ordre de croiser dans la Rivière des Parfums.³
Des pourparlers s’engagèrent, et le 5 juin 1862, un traité fut signé entre la France et l’Espagne d’une part, et l’Annam d’autre part. Les deux puissances européennes recevaient une indemnité de vingt millions de francs. Les ports de Tourane, Ba Lac et Kouang An étaient ouverts au commerce. La France conservait trois provinces ainsi que l’île de Poulo Condore.
L’action des amiraux ne devait pas se limiter à la Cochinchine. L’amiral Charner dut intervenir au Cambodge qui était devenu le champ de bataille où Annamites et Siamois réglaient leurs différends. Aussi le roi du Cambodge, An Duong, sollicita-t-il le secours de la France en envoyant à Singapour une ambassade auprès du consul français. An Duong mourut en 1859 et son fils Norodom 1er échangea des ambassadeurs avec l’amiral Charner dès 1861.

 
     
 

 




Amiral Charner

 
     
 
 

3- Doudart de Lagrée et le protectorat sur le Cambodge


L’amiral de la Grandière (4) et le lieutenant de Vaisseau Doudart de Lagrée (5) jouèrent un rôle essentiel. Sur l’initiative de Doudart de Lagrée, l’amiral de la Grandière signa avec le roi du Cambodge une convention qui plaçait le pays sous protectorat de la France, le 1er mai 1863. Le traité fut ratifié en 1864. Le Siam  ne reconnut que le 18 juillet 1867 le protectorat sur le Cambodge.
En 1866, à la tête d’une mission scientifique, Doudart de Lagrée remonta le cours du Mékong jusqu’au Yunnan. La mission, chargée de reconnaître le cours supérieur du Mékong, principale voie fluviale de pénétration, encore en grande partie inconnue, quitta Saigon le 5 juin 1866. Le lieutenant de Vaisseau Francis Garnier (6) avait été l’un des principaux promoteurs de cette mission, mais, en raison de son grade et de son jeune âge, le commandement avait été confié au capitaine de Frégate Doudart de Lagrée.
La mission se composait d’un chirurgien de la Marine, Thorel, de l’Enseigne de Vaisseau Delaporte, chargé de la partie archéologique, du docteur Joubert, médecin de l’expédition, d’un Attaché au Ministère des Affaires étrangères, de Carne, de l’interprète Seguin, su Sergent Charbonnier et de quelques indigènes, soit 28 personnes qui devaient prendre place sur deux canonnières.
Après avoir traversé la région du Haut Mékong et le royaume de Louang Prabang au Laos, la mission pénétra au Yunnan, province méridionale de la Chine et limitrophe du Tonkin qui appartenait à l’Empire d’Annam. L’exploration de cette région permettait de reconnaître une voie de pénétration commerciale vers les provinces de la Chine intérieure et pouvait servir à une expansion éventuelle de la France au Tonkin. La mission atteignit Shanghai le 18 juin 1868 et, le 23 elle repartait pour Saigon.
Le 12 mars 1868, Doudart de Lagrée mourut des fièvres à Tong Tchuan au Yunnan et Francis Garnier reçut la mission de poursuivre l’expédition.






 

4-L’amiral Dupré et la question du Tonkin


Francis Garnier ne devait quitter l’Indochine que pour la guerre de 1870 où il fut affecté sur le Rhin puis sur la Seine. Il fut attaché ensuite au "Dépôt des Cartes et Plans". Il traita alors, dans le Bulletin de la Société de Géographie, la question des nouvelles routes commerciales avec la Chine. Il reprit la publication officielle des travaux de sa mission au Mékong, et repartit pour la Chine en se proposant de pénétrer au Tibet pour résoudre la question des grands fleuves indochinois.
A ce moment là, une idée directrice s’impose dans l’esprit de Francis Garnier. La défaite de 1870/1871 l’avait persuadé qu’il était nécessaire pour la France, en développant son Empire colonial, d’affermir sa situation internationale pour ouvrir à son commerce un champ d’activités toujours plus grand, mais aussi pour accroître son influence spirituelle, en particulier par l’expansion des Missions. Ainsi, la France pourrait-elle trouver une compensation au désastre et la possibilité de rétablir son prestige.
Le grand voyage d’exploration projeté à travers la Chine méridionale ne devait durer que quelques mois. Garnier n’eut pas le temps de prendre les instructions définitives pour son voyage au Tibet. Un ordre pressant de l’amiral Dupré (7) lui prescrivait de revenir à Saïgon pour remonter le fleuve du Tonkin et l’ouvrir au commerce français.
Dès son retour à Saïgon, le 27 août 1873, Francis Garnier se mit à la disposition de l’amiral Dupré qui avait décidé d’envoyer une mission pour négocier, avec la cour d’Annam, le départ de Jean Dupuis, commerçant français qui avait essayer de remonter le Fleuve Rouge (8) . Dupuis avait déjà essayé d’ouvrir cette grande artère fluviale, voie de pénétration vers les provinces de la Chine méridionale. Il réalisait ainsi, sur le plan commercial, la grande idée politique de Francis Garnier. Ce dernier était alors immobilisé à Hanoï, avec toute sa flottille et en butte à l’hostilité des mandarins, qui exigeaient son départ du Tonkin.

   
   
     
   
     
     
         
 
     
   
 

5- L’intervention au Tonkin
et la mort de Francis Garnier


Francs Garnier partit de Saïgon le 11 octobre 1883, avec 56 marins et 30 soldats d’Infanterie coloniale, sous le commandement de l’Enseigne de Vaisseau Balny d’Avricourt et du sous-lieutenant de Trintinian. Dès son arrivée, le 5 novembre, les mandarins annamites ne cachèrent pas leur hostilité, d’autant plus que les Pavillons Noirs interdisaient aux Français l’accès à la citadelle d’Hanoï. Francis Garnier dut adresser un ultimatum au Grand Maréchal qui exerçait l’autorité militaire à Hanoï, mais ne reçut pas de réponse. Une demi heure après l’expiration du délai fixé, les colonnes d’assaut prenaient leur position d’attaque. Avec une poignée d’hommes, Francis Garnier emportait la citadelle défendue par 7000 soldats annamites. Il n’y eut qu’un seul blessé du côté français.(9)
Francis Garnier rejoignit Saïgon, mais pour peu de temps. Le 18 décembre, rappelé par un avis de Dupuis, il revenait à Hanoï où les Pavillons Noirs et des troupes annamites venues de Sontay menaçaient d’encercler Hanoï. Garnier avait fixé l’attaque au 21 décembre, mais, ce jour-là, arrivaient à Hanoï les ambassadeurs de la Cour de Hué, chargés de négocier la paix entre la France et l’Annam. Garnier remit au lendemain son projet d’attaque. Les Pavillons Noirs en profitèrent pour passer à l’offensive et attaquèrent par surprise, Francis Garnier fut tué devant la citadelle d’Hanoï.

 
     

6- L’amiral Dupré
et le traité avec l’Annam


Le lieutenant de vaisseau Philastre, qui succédait à Francis Garnier, devait se décider à une évacuation partielle. Seul un capitaine restait à Hanoï avec le titre de Consul et disposant de 30 homme seulement. Rentré à Saïgon, Philastre préparait le traité dont il avait jeté les bases.
Avant de quitter ses fonctions, l’amiral Dupré était parvenu à imposer un traité à l’Annam. Le 15 mars 1874, il signait un traité entre la France et l’Empire d’Annam. Cinq bâtiments à vapeur, cent canons et mille fusils lui étaient cédés gracieusement. La France s’engageait à reconstruire la Flotte et à instruire et organiser l’armée de l’empereur d’Annam. En contrepartie, le souverain s’engageait à rendre conforme sa politique à celle de la France dont il reconnaissait la pleine et entière souveraineté sur le territoire occupé. Enfin, et c’était le point le plus important, le religion catholique était autorisée sur tout le territoire de l’Empire d’Annam. Des Consulats étaient établis à Hanoï, Haiphong et Qui Nhon. L’échange des ratifications eut lieu le 26 août 1875, et la date d’ouverture des ports du Tonkin le 15 septembre.

Avec le départ de l’amiral Dupré en 1874, se terminait l’action des amiraux Gouverneurs de la Cochinchine, dont le nom doit être retenu. Après Rigault de Genouilly, Charner, Bonnard, La Grandière et Dupré avaient exercé les fonctions de Gouverneur. Charner et Bonnard avaient établi les bases d’une sorte de protectorat. La Grandière avait été le véritable instaurateur de la colonisation française en Cochinchine, et Dupré, en continuant l’œuvre de ses prédécesseurs avait jeté les bases d’une influence durable dans l’Empire d’Annam.

Pierre GOURINARD