Jean-Marie BASTIEN THIRY
est fusillé le matin du 11 Mars 1963

Le verdict est rendu après deux heures quarante minutes de délibération. Pour Bastien-Thiry, Alain de Bougrenet de La Tocnaye, Prévost, Watin, Marton, Bernier (les trois derniers par contumace) : la mort ; pour Buisines, Louis de Condé, Naudin (ces deux ci par contumace) : réclusion criminelle à perpétuité ; pour Magade et Bertin : quinze ans de réclusion ; pour Varga : dix ans ; pour Constantin : sept ans ; pour Ducasse : trois ans. Les juges ont condamné Prévost à une peine supérieure à celle qui était requise. Ce n'est pas la moindre anomalie de ce procès. C'est la plus troublante.
Les accusés ont écouté la sentence sans ciller, très droits, immobiles. " Bastien-Thiry est rayé des cadres de la Légion d'honneur ", ajoute le général Gardet. Un haussement d'épaules lui répond. Du fond de la salle, soudain, a cri part, celui d'une femme : " Assassins ! Assassins ! Aucun soldat français n'acceptera de les fusiller ! Assassins ! " Cette femme, c'est Mme de La Tocnaye, l'épouse Alain. Une autre femme joint sa voix à la sienne : c'est la mère du condamné. D'autres cris se font entendre : C'est une honte ! C'est un scandale ! Bourreaux ! " Puis peu à peu, la salle se vide. Les condamnés sont séparés. ; savent qu'ils ne se verront plus : Bastien Thiry, La Tocnaye, Prévost sont emmenés à Fresnes, les autres à la santé. Dans la médiocre salle du Fort de Vincennes, les lumières s'éteignent. La pièce est jouée, la tragédie s'est achevée, selon les modalités prévues par le metteur en scène. Du moins celui ci a t il eu la pudeur de ne pas mettre son nom au générique.

Le lundi 11 mars à l'aube - une semaine après le verdict - d'importantes forces de police entourent la prison Fresnes. D'autres jalonnent la route qui conduit au Fort Ivry. Celui-ci est lui-même étroitement surveillé, ce qui normal puisque la Ve République en a fait l'un de ses principaux monuments.

Dans sa cellule, on vient réveiller le colonel Bastien Thiry. Il dort profondément. Dès qu'il a ouvert les yeux, il a compris. Ses premières paroles sont pour ses amis : Quel est leur sort ? On le rassure : ils ont été graciés. Alors il s'habille posément, revêt par-dessus ses vêtements civils une capote bleue de l'armée de l'air, sans galons. Il ne dit rien. Déjà, il se détache du monde, cependant que ses avocats, dans un ultime effort pour le sauver, lui font ter cette déclaration :
- je proteste contre ma condamnation et mon exécution. Ma condamnation est illégale. Mon exécution est un assassinat. Je demande qu'il y soit sursis jusqu'à ce que le Conseil d'état se soit prononcé sur la validité des arrêts de la Cour Militaire de justice.

On transmet à M. Gerthoffer. Après quelques instants de discussion, celui-ci refuse le sursis, Le condamné entend alors la messe, reçoit la communion. Ceux qui assistèrent à ces derniers instants ont rapporté à quel point ils avaient été frappés par le rayonnement intérieur qui émanait alors de l'homme qui allait mourir.

Bastien-Thiry prend place dans un fourgon cellulaire. Pendant le trajet, il prie. Le convoi parvient au Fort d'Ivry. Le condamné marche vers le poteau en tenant toujours son chapelet entre ses doigts. On l'attache, on veut lui bander les yeux. il refuse, comme l'avaient fait avant lui Piges. Dovecar, Degueldre. A 6 h 46, la salve retentit, puis le coup qu'on appelle "de grâce ", Le lieutenant colonel Bastien-Thiry est mort. On emporte son corps à Thiais. On l'enfouit dans le carré des suppliciés, à la sauvette, comme ces voleurs pendus jadis à Montfaucon que l'on entassait dans les fosses communes. Autour de cette tombe sans croix, quelques gendarmes, garde dérisoire.
" Nous ne souffrons pas en vain. Nous souffrons pour tous les lâches qui ne risquent rien. Que Dieu ait pitié de nous " Bernanos a écrit ces mots admirables. A qui pourraient ils mieux s'appliquer qu'à celui qui dort désormais, en paix avec lui-même, sous les broussailles de Thiais ?

" je suis persuadé que notre mort, si elle avait lieu, secouerait la torpeur du peuple français ", s'était écrié Alain de la Tocnaye devant ses juges. Il était bon prophète : la stupeur, l'indignation accueillent la mort de Bastien-Thiry, chez ceux-là mêmes qui s'opposaient farouchement à ses thèses politiques. De Gaulle, une fois de plus, confirmait qu'il n'avait de l'homme que l'apparence, et qu'en fait tout ce qui était humain lui était indifférent.

Le 11 mars 1963, au petit matin, la police garde les accès du Fort d'Ivry.......
Le carré des fusillés.
LES REACTIONS
" En tait, l'humanité du souverain finit par accabler jusqu'à ses partisans, peut écrire Jean Daniel dans L'Express. Qu'il représente l'état, chacun y consent ; mais qu'il s'identifie à lui au point d'oublier que c'est lui, personnellement, qui a été menacé et qu'un certain devoir d'élégance consiste dans ce cas à gracier, on le supporte mal ".

Jérôme Gauthier, notoirement hostile à l'O.A.S., déclare quant à lui dans Le Canard Enchaîné : " Bastien-Thiry a été fusillé le 11 mars, à l'aube, dans un tel luxe de clandestinité, que cela a ressemblé à de l'obstination : le brouillard de flics sur le parcours de Fresnes au Fort d'Ivry; les routes interdites, dans la nuit, à tout ce qui n'était pas le convoi funèbre ; les cordons de police autour du tort ; et le rappel tait ensuite à la presse, par le ministère des armées, de l'article 15 du code pénal, qui interdit toute autre publication que celle du procès-verbal officiel relativement aux exécutions capitales. Pourquoi tant de précautions ? La vraie pudeur est fière. C'est la honte qui rase les murs. Une certaine justice aussi, semble-t-il... De plus audacieux que moi croiront peut-être pouvoir en con clure qu'une justice, qui tend un rideau de gendarmes entre le regard des consciences et ce qu'elle est en train de taire au pied du mur, y tait quelque chose de pas propre... Le lieutenant-colonel Bastien Tbiry est mort, je ne dis pas pleuré, mais plaint par un très grand nombre de Français, même parmi ceux les plus farouchement hostiles à sa cause ".

A la nouvelle de l'exécution, on voit sur le carreau des mines les grévistes interrompre leurs discussions professionnelles pour la commenter, avec une stupeur triste.

Le directeur du Courrier de l'ouest, Paul Langevin, peu suspect de sentiments activistes, écrit au lendemain du supplice : " La succession du général de Gaulle est virtuellement ouverte depuis hier matin, 11 mars, à 6 b 45 du matin. Grève d'un côté, salve de l'autre. Le règne est fini... ". Et l'un de ses lecteurs, ancien résistant, lui envoie cette lettre : " Ce matin à l'aube, le pouvoir a tait un bond dans l'abîme. Le sang avait assez coulé, j'ai peur qu'il ait maintenant trop coulé. Bastien-Tbiry avait eu tort, mais comme tous les Français qui suivent le général de Gaulle depuis longtemps, je pense que le pouvoir avait encore la confiance de la nation et était assez tort pour pardonner. Maintenant, c'est fini, je ne suivrai plus le général. Je connais les cellules allemandes et ma femme pleure une sœur bien-aimée morte à Auschwitz. Pourtant nous ne reprochions pas à de Gaulle la libération des bourreaux nazis qui avaient déjà tait dix-huit années de prison. Mais comme tous les parents de familles nombreuses, nous ne pourrons oublier le deuil tragique des trois fillettes de Bastien-Tbiry. "

Le Nouveau Candide, trois jours après l'exécution, tentera d'expliquer qu'elle a été motivée par la raison d'état. Quelle stupidité ! La raison d'état (sans parler des raisons du cœur) commandait au contraire la grâce. Pour le pouvoir, Jean-Marie Bastien-Thiry est bien plus redoutable mort que vivant. La vaste théorie des hommes excédés par trop de mensonges, trop de reniements, trop de cruauté et de mépris, a fait de ses déclarations une bible. " Il y a des morts qu'il faut qu'on tue " : malgré son assurance et sa superbe, de Gaulle doit craindre de ne pas être assez fort pour tuer ce cadavre là.