Le vendredi 20 avril 1962 Salan descend de son appartement situé au cinquième étage et se rend à son bureau qui se trouve au rez-de-chaussée du même immeuble, c’est-à-dire au 25 rue Desfontaines à Alger où il avait rendez-vous avec Jacques Achard, alias Alpha, chef de l’OAS du secteur Orléans-Marine, lui-même chargé de rencontrer le FAAD. Une Peugeot noire remonte le boulevard Saint-Saëns, tourne dans la rue Desfontaines et s’arrête. Les gardes du corps de Salan attendent dans une 403 grise dans cette même rue, voient un véhicule dans le rétroviseur, mais pensent qu’il s’agit du commando Delta. Le quartier est encerclé, Jean Marie Lavanceau la barbouze frappe à la porte du bureau.

             
 
 

Tout d'abord, ce ne fut qu'une rumeur. Un peu plus tard, tout Alger était au courant de l'arrestation du chef de l'OAS : le général Salan.
Après Jouhaud, arrêté à Oran, et Roger Degueldre, c'était maintenant au tour du chef suprême de l'organisation !
Dans le communiqué laconique donné à la radio, il n'était pas fait mention des circonstances exactes de sa capture.
Tout ce que le soviet des capitaines avait pu apprendre, c'était que le général s'était fait arrêter par le capitaine Laborde et ses hommes, à l'instant même où il avait rendez-vous avec l'homme que Jacques le Majeur avait envoyé au Mandarin.
A cette époque, personne ne pouvait se douter que l'ancien adjudant-chef Jean-Marie Lavanceau était à l'origine de l'arrestation de Salan.
L'idée de faire arrêter le chef de l'OAS avait germé à Paris, au moment où, à l'Elysée, le patron de la brigade anti-OAS, l'ancien commissaire divisionnaire d'Alger, Parrat, avait appris les

 
discordes et les problèmes qui séparaient l'OAS.
Si Degueldre a été donné, il devrait être facile d'avoir Salan, dit le nouveau contrôleur général Parrat.
Ce n'était pourtant pas les pièges tendus par les policiers qui avaient manqué ; mais tous avaient échoué.
Cette fois, l'Elysée avait décidé « de mettre le paquet ». Plus de cent millions d'anciens francs furent mis à la disposition du contrôleur général pour « régler » l'affaire au plus vite.
A la suite de l'arrestation d'un membre de l'OAS métro, dans un café parisien des Champs-Elysées, les policiers apprirent que, depuis quelque temps, le général Salan était en relation étroite avec d'anciens membres du MNA (l'Ancien parti politique de Messali Hadj. Mouvement Nationaliste Algérien), pour tenter de créer en Algérie une troisième force, qui réunirait une partie des musulmans favorables à une indépendance avec la participation de la France et des Français d'Algérie. C'était ce que Jacques Chevalier préconisait depuis 1955 !
Pour Salan, c'était la dernière carte. Elle allait lui être fatale.
C'est aux alentours du 15 mars 1962 que le contrôleur général Parrat décida d'agir.
On lui avait présenté, la veille, un ancien sous-officier des affaires algériennes qui avait longtemps servi en Algérie dans une SAS d'Azazga, en haute Kabylie.
Jean-Marie Lavanceau était aussi un ami du capitaine G..., qui travaillait en accord avec les services de police du ministère de l'Intérieur qui luttaient contre l'OAS.
Le capitaine G... était, lui, un ami intime de Jacques le Majeur qu'il avait connu en Indochine.
Il est le seul homme qui pourra nous conduire jusqu'à Salan avait confié le capitaine G... au contrôleur général Parrat. Il faut envoyer là-bas Lavanceau pour le contacter.
Le jeudi 10 avril, l'adjudant-chef Jean-Marie Lavanceau débarquait à Alger. Aussitôt, il se mit en chasse.
Jean-Marie Lavanceau prit un taxi devant son hôtel et se fit conduire à Bab-el-Oued. En route, il bavarda avec le chauffeur :
- Vous n'êtes pas d'ici vous, hein M'sieur ? Ça s'entend à votre drôle d'accent ! Vous êtes patos ?
- Oui, je suis de métropole...
- Ah... il y a longtemps que vous êtes en Algérie ? Oui. Assez pour aimer ce pays et essayer de le défendre.
   
 
La fausse carte d'identité
de l'adjudant-chef Jean-Marie Lavanceau,
pour approcher Raoul Salan
 
- Bof... vous savez, au point où nous en sommes. Allez, va, croyez-moi, tout cela, c'est foutu. Demain il faudra s'en aller... putain va... quarante ans que je suis dans ce bled... et voilà où on en est arrivés. C'est pas malheureux, ça ?... enfin…dites M'sieur, avec ça, où c'est que je dois vous laisser ?
- Chez Jésus... à Bab-el-Oued.
- Bien, M'sieur, répondit le chauffeur de taxi sans le moindre étonnement
En arrivant place des Trois-Horloges, il stoppa devant la station de l'arrêt des TA :
- Le mieux serait que vous entriez dans un café et que vous demandiez au patron à le rencontrer. Vous savez, tout le monde ici sait qui est Jésus, mais personne qui le connaît vraiment... Allez « ciao », M'sieur, et bonne chance !
Une heure plus tard, Jean-Marie Lavanceau était en face de Jésus.
- Il faut que je rencontre Jacques le Majeur, c'est important, dites-lui que c'est de la part du capitaine G...
La rencontre eut lieu dans un appartement proche de la grande poste.
Jean-Marie Lavanceau devait tout d'abord prendre contact, dans un magasin de frivolités féminines de la rue d'Isly, avec le capitaine Nini.
A nouveau, il répéta son baratin au capitaine des UT.
- Bien, suivez-moi, il vous attend.
Le capitaine frappa deux petits coups discrets à la porte de l'appartement. Il attendit quelques secondes et sonna à nouveau deux fois.
La porte s'entrouvit. Jésus braquait son PM dans la direction de Jean-Marie Lavanceau.
- Laisse entrer, dit quelqu'un dans le salon.
L'adjudant ne connaissait Jacques le Majeur que par photos.
Immédiatement, il le reconnut.
- Vous venez de la part du capitaine G... ?
- Oui.
Ah, comment va-t-il ? Enfin, si tu es là et que tu as fait tous ces kilomètres pour me voir, ce n'est certainement pas pour me parler de ta vie. Alors, qu'est-ce que tu as à me dire ?
Lavanceau raconta son histoire.
- Ils sont prêts à balancer de « notre » côté, mais ils veulent des garanties précises, venant directement du Mandarin.
- C’est bon je vais lui en parler. Le mieux serait que nous nous revoyons dans une semaine même jour, même heure, même contact.
Jean-Louis Lavanceau fut précis.
-Bon, dit Jacques le Majeur, le rendez-vous est prévu pour demain matin avec Ferrandi qui te fera ensuite rencontrer le Mandarin. A quel hôtel es-tu descendu?
- Hôtel de l'Agha, 12, rue Charras.
- Bien, ne quitte pas ton hôtel de l'après-midi, tu recevras les ordres.
Les dés étaient jetés.
Le capitaine Ferrandi avait promis à Jean-Marie Lavanceau : « Le général vous recevra demain matin à 12 heures, une voiture viendra vous chercher à votre hôtel à 11 heures 40. Soyez prêt. »
Le soir même l'adjudant téléphonait à son contact à la délégation générale.
- Le rendez-vous est pour demain.
- Très bien, Lavanceau. C'est du bon boulot. Surtout, ne vous inquiétez de rien, tout se passera bien.
A 11 heures, Jean-Marie Lavanceau descendit de son hôtel, régla sa chambre et demanda à la patronne s'il pouvait laisser sa valise en consigne jusqu'au soir. Puis, il glissa une petite serviette de cuir noir sous son bras et se dirigea vers la sortie.
Ce vendredi 20 avril, un soleil resplendissant brillait sur Alger. Dehors, les passants pressaient le pas. Une voiture de police passa en trombe avenue de l'Agha, elle se dirigeait du côte de l'hôpital Mustapha.
En attendant l'heure fixée par le capitaine Ferrandi, Jean-Marie Lavanceau pénétra dans le café qui se trouvait à côté de l'hôtel. Il s'avança vers le comptoir et commanda une anisette.
A 11 heures 30, il paya et quitta le café, en même temps trois autres clients en firent tout autant.
A 11 heures 40 précises, une voiture s'arrêta devant l'adjudant qui attendait au bord du trottoir.
Un jeune homme lui fit un signe de la main et ouvrit la portière droite, côte passager.
Jean-Marie Lavanceau s'engouffra dans la voiture.
Le conducteur prit l'avenue Pasteur, entra dans le tunnel des Facultés et se lança à pleine vitesse pour attaquer le boulevard Saint-Saens. Au milieu du boulevard, il s'engagea sur la droite, grrimpa la rue Desfontaines et s'arrêta devant le numéro 23. Personne ne s'était rendu compte de la camionnette de déménagement qui suivait.
A l’interieur le capitaine Laborde décrocha son combiné radio, appela le QG et donna l'adresse.
A l'arrière, une dizaine de gendarmes en civil engagèrent le chargeur dans leur MAT qu'ils portaient caché sous une blouse.
Puis, la camionnette à son tour s'arrêta devant le numéro 23.
Quatre apôtres de Jésus descendirent d'une 404 en stationnement et s'approchèrent.
L'un des gendarmes en civil était descendu, un carnet à la main. Il fit mine d'aller regarder un nom à l'intérieur de l'immeuble et revint presque aussitôt en disant :
- Allez, c'est là, au troisième étage.
- Qu'est-ce que vous cherchez ? demanda Jésus.
- Oh... On vient prendre livraison d'un piano.
- C'est un drôle de boulot, hein ?
- Oui, surtout par ce temps.
Le capitaine Laborde, en tenue de contremaître, et cinq gendarmes s'engouffrèrent à l'intérieur du 23 de la rue Desfontaines.
Puis, tout alla très vite.
A l'intérieur de l'appartement de Salan, en entendant un bruit de pas précipités dans les escaliers, le capitaine Ferrandi regarda par le judas. Voyant les gendarmes en civil, la mitraillette à la main, il cria : « Vite, mon général, c'est un piège. Sauvez-vous. »
Jean-Marie Lavanceau ouvrit la porte de l'appartement en grand et cria :
- Ils sont là.
Ferrandi se jeta sur la porte pour la refermer, mais plus prompt, le capitaine Laborde glissa son pied dans l'entrebâillement et pénétra à l'intérieur.
Une voisine arriva en courant : « Vite, vite. Sauvez-vous, dit-elle, voilà les gendarmes, ils ont bouclé le quartier. »
Toute la nuit du vendredi saint, Jésus et ses apôtres fouillèrent la ville de fond en comble à la recherche de Lavanceau.
Le lendemain au petit jour, les policiers découvraient dans leur rapport que les morts par attentat de la nuit étaient tous des Européens et, chose étonnante, ils étaient tous habillés de la même façon : un costume de flanelle grise, et portaient tous une fine moustache à la Rudolph Valentino.
Troisième point : toutes les victimes avaient une valise à la main..
C'était le portrait robot de Lavanceau que Jacques le Majeur avait donné à Jésus.
Quant à Jean-Marie Lavanceau, il avait quitté Alger le soir même pour Paris.
Dans le même avion, un homme, les yeux cerclés de lunettes à monture en or, l’accompagnait. Il allait discuter à Paris la paix des braves de l'OAS.
Source : Raconté par Camille GILLES Dans son livre : " Jésus et ses Apôtres " - Editeur JULLIARD 8, rue Garancière Paris
Achevé d’imprimer 19 mars 1973 pages 291 à 296
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