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L'Etat français et les
colons installés en Algérie peuvent-il être
assimilés aux nazis ? Ont-ils, eux aussi, par leur comportement,
mené un "génocide" ? Le président
algérien, Abdelaziz Bouteflika, semble le penser, qui a fait
lire, vendredi 6 mai, par son ministre des anciens combattants,
Mohammed Chérif Abbas, un long texte passionné et
sans nuance devant les participants à un colloque sur les
"massacres du 8 mai 1945" . Ce dernier s'est tenu à
l'université Ferhat-Abbas, à Sétif, dans l'est
du pays, à l'occasion du 60e anniversaire des tueries dans
le Nord-Constantinois.
Le chef de l'Etat n'y est pas allé par quatre chemins. "Les
commandos de mort, écrit-il, à propos des auteurs
des massacres commis à Sétif et dans sa région
qui ont fait, selon les sources, de 15 000 à 45 000
morts , ont exécuté par centaines et milliers
les citoyens sur les places publiques, stades et autres buissons.
Les corps gisaient sur le sol, en proie aux animaux. Qui ne se souvient
des fours de la honte installés par l'occupant dans la région
de Guelma, au lieu-dit "El Hadj-Mebarek", devenu lieu
de pèlerinage (...) Ces fours étaient identiques aux
fours crématoires des nazis."
Et le président d'ajouter, selon la traduction
de ses propos par l'agence de presse algérienne : "Nous
ne pouvons oublier les centaines de massacres commis auparavant
et les nombreux fours installés dans notre pays. Le four
le plus célèbre est celui du mont Dahra, oeuvre des
bourreaux Bugeaud et Pélissier. De telles pratiques se sont
multipliées, notamment durant la deuxième moitié
du XIXe siècle (...). L'occupation a foulé la dignité
humaine et commis l'innommable à l'encontre des droits humains
fondamentaux (...) et adopté la voie de l'extermination et
du génocide qui s'est inlassablement répétée
durant son règne funeste."
En conclusion de son intervention, le président
Bouteflika demande à la France "un geste qui libérerait
-sa- conscience" .
Arrivé lundi soir en Algérie pour
une visite de trois jours, le secrétaire d'Etat aux affaires
étrangères, Renaud Muselier, s'est gardé de
commenter les propos présidentiels, préférant
mettre l'accent sur la "volonté" de Paris et d'Alger
de "concrétiser le traité d'amitié"
que les deux pays devraient signer avant la fin de l'année.
La presse algérienne n'a pas davantage relevé les
propos présidentiels.
Recours France, une association de rapatriés
d'Afrique du Nord, se montre autrement véhémente.
"Nous déplorons profondément la perte de sang-froid
et les propos insultants que le président de la République
algérienne a tenus à l'égard de la France"
, écrit-elle, dans une lettre adressée, mardi, au
président Chirac. Et l'association d'exprimer, dans un autre
courrier adressé au chef de la diplomatie française,
Michel Barnier, son "vif mécontentement de voir la France
laisser salir son oeuvre civilisatrice outre-mer" , même
s'il y a eu, précise-t-elle, "quelques erreurs"
.
Le parallèle fait par le président
Bouteflika entre le comportement des colons et celui des nazis vient
probablement de l'incinération dans des fours à chaux
de cadavres de musulmans massacrés au cours des événements
de Sétif.
Quant à la référence aux "bourreaux"
Bugeaud et Pélissier, elle renvoie à un épisode
précis : le 19 juin 1845, alors que Bugeaud, partisan d'une
"guerre acharnée" était le gouverneur d'une
Algérie encore partiellement insoumise, le général
Pélissier n'avait pas hésité à faire
enfumer des habitants d'une tribu favorable à l'émir
Abd El-Kader qui s'étaient réfugiés dans des
grottes.
Quelque 760 personnes avaient péri, parmi
lesquelles des femmes et des enfants. Dans une lettre, un officier
français présent sur les lieux avait précisé
que les soldats en faction devant l'entrée des grottes enfumées
n'avaient pas hésité à tirer sur ceux qui,
profitant de la nuit, avaient tenté de s'enfuir.
Jean-Pierre Tuquoi
IN Article paru dans l'édition du 12.05.05
LE MONDE | 11.05.05 | 13h45 • Mis à jour le 11.05.05
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