Jacques Chirac accompagnera le traité d'amitié
franco-algérien d'un geste fort sur la mémoire de
la colonisation. D'une rive à l'autre de la Méditerranée,
la thématique est des plus sensibles et les enjeux politiques
des plus actuels. Côté français, on a pourtant
fait le gros dos devant les remarques récentes du président
Abdelaziz Bouteflika sur le passé français en Algérie.
On a fait la part de la rhétorique électorale et
des attentes véritables. On espère aussi, à
Paris, qu'après avoir tourné, grâce à
leur référendum, la page de la guerre civile, les
Algériens ouvriront plus sereinement celle de l'héritage
français.
Le président de la République, convaincu qu'Alger
souhaite être «de plain-pied avec la France»,
juge que celle-ci peut franchir une nouvelle étape avec
son ex-colonie. La manière et le moment restent à
fixer. Chaque mot, chaque inflexion comptent : ces détails
capitaux font l'objet de négociations au plus haut niveau
qui reprendront après le référendum. Une
chose est déjà certaine : le «geste»
que Jacques Chirac concocte aura pour coeur une réflexion
sur la façon dont l'usage de la mémoire –
les mémoires, puisque chacun invoque sa vérité
– peut permettre d'ouvrir une nouvelle page entre les deux
pays.
A Paris, on se refuse à parler de repentance, en affirmant
que les Algériens ne le demandent pas. Il ne saurait être
question aussi de revenir sur la loi du 23 février dernier
sur l'indemnisation des rapatriés. Ce n'est pas à
l'Etat mais aux historiens et aux citoyens d'écrire l'histoire,
souligne-t-on, pour minimiser la portée de ce texte qui
en mentionnant «le rôle positif» de la présence
française dans ses anciennes colonies, avait mis le feu
aux poudres à Alger.
Jacques Chirac entend s'inspirer de trois précédents.
Primo, la commémoration de la rafle du Vél'd'Hiv.
«La folie criminelle de l'occupant a été,
chacun le sait, secondée par des Français, secondée
par l'Etat français», avait déclaré
le président de la République le 16 juillet 1995
en ajoutant que «La France (...) ce jour-là, accomplissait
l'irréparable». La charge symbolique de ces propos
inédits devrait inspirer la démarche présidentielle
vis-à-vis de l'Algérie, même si la colonisation
française dans ce pays ne saurait en rien s'apparenter
à l'occupation nazie et à la collaboration. Secundo,
le discours de Brazzaville sur l'esclavage, en juillet 1996. «La
dignité des uns et des autres passe par la reconnaissance
d'une histoire que l'Occident ne doit plus ignorer ni taire, celle
de la déportation de millions et de millions d'Africains
pendant près de trois siècles et demi», avait
souligné Jacques Chirac devant le Parlement congolais.
Tertio, la reconnaissance de la répression sanglante des
émeutes de 1947 à Madagascar. «Il faut avoir
conscience du caractère inacceptable des répressions
engendrées par les dérives du système colonial»,
avait souligné le chef de l'Etat le 21 juillet dernier.
Des mots que Jacques Chirac pourrait reprendre le moment venu
pour sceller l'«amitié» franco-algérienne.
IN FIGARO Alain Barluet [28 septembre 2005]