Le discours de la honte de Bernard Bajolet
le 14 juillet 2008 à Alger


Discours du 14 juillet, prononcé par M. Bernard Bajolet, Ambassadeur de France en Algérie- Alger, 14 juillet 2008

Messieurs les Premiers ministres, Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,Monseigneur, Mesdames et Messieurs, chers amis,

C’est avec des sentiments mêlés de joie et de tristesse que je m’exprime aujourd’hui devant vous : joie de voir tant d’amis ici rassemblés en ce jour de fête nationale ; tristesse de devoir vous quitter, de quitter ce pays auquel tant de liens me rattachent depuis plus de trente ans et que je dois laisser à mi-parcours avec un sentiment de mission inachevée, même si c’est pour une autre mission de responsabilité que le président de la République Nicolas SARKOZY me fait l’honneur de me confier.

Si ma mission est inachevée par rapport aux objectifs que je m’étais fixés, que le Président lui-même m’avait fixés, je suis assuré qu’elle sera poursuivie par mon successeur, qui prendra ses fonctions à la mi-septembre : en effet, la voie a été tracée au plus haut niveau depuis l’élection du Président de la République, dont un des premiers gestes a été d’appeler son homologue algérien, puis de lui rendre visite. Sous l’impulsion des deux chefs d’Etat, le sillon a été creusé et semé. Il faut maintenant irriguer, puis récolter, tout en faisant attention aux mauvaises herbes.

Les mauvaises herbes. Pour bâtir des relations solides au profit des nouvelles générations, il faut apurer le passé. Des gestes audacieux ont été faits en ce sens du côté français, en particulier avec le discours prononcé le 5 décembre 2007 par le Président SARKOZY à Constantine, la remise des plans de pose de mines, intervenue bien tardivement il est vrai, mais accompagnée d’autres engagements dans ce domaine, des propositions de coopération en matière d’archives, la remise des archives audio-visuelles de l’INA, qui sera suivie de celle des archives audio-visuelles de l’armée française. D’autres avancées dans ces domaines sensibles font actuellement l’objet de discussions.

Il faut continuer dans ce sens, car nous avons perdu beaucoup de temps, trop de temps, qu’il faut rattraper. Ce jour de célébration de notre fête nationale est pour nous l’occasion d’un questionnement, car, comment la République a-t-elle pu perdre de vue pendant les 132 ans de sa présence en Algérie, les valeurs fondatrices de liberté, d’égalité et de fraternité qu’elle a fait rayonner ailleurs dans le monde depuis plus de deux siècles ? En posant cette question, il ne s’agit pas de verser dans la repentance ni l’auto-flagellation, mais de faire preuve d’honnêteté pour le passé, de lucidité pour le présent et de vigilance pour l’avenir. Nous devons poursuivre nos efforts avec ténacité, sans nous laisser impressionner par la surenchère de ceux qui, de part et d’autre de la Méditerranée, ne souhaitent en réalité pas les voir aboutir, de crainte que ne disparaisse un fonds de commerce si aisé à exploiter.

Parallèlement à ce travail d’assainissement des relations, nous avons jeté de nouvelles bases, très solides pour les encadrer dans tous les domaines, à travers un triptyque de trois accords refondateurs : la Convention de Partenariat, qui régit désormais l’ensemble de la coopération civile et la santé militaire ; l’accord sur les utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire et l’accord de coopération dans le domaine de la défense. Ces avancées viennent d’être saluées par le président BOUTEFLIKA dans le message qu’il a adressé au président SARKOZY à l’occasion du 14 juillet et dans lequel il se réjouit de la « dynamique de rapprochement remarquable » que les relations entre les deux pays ont connue depuis un an.

Il faut maintenant aller plus loin, en participant massivement à la formation des cadres de l’Algérie de demain et à la création de nouveaux pôles d’excellence franco-algériens, comme l’Ecole Supérieure de Technologie et, je l’espère, l’Université algéro-française ; en encourageant les investissements français en Algérie, ce qui suppose des efforts de part et d’autre, car il convient aussi de créer un environnement favorable pour de tels investissements ; en promouvant de façon systématique des partenariats entre PME françaises et algériennes, si importantes dans chacun de nos deux pays pour le développement économique et l’emploi . Un autre grand chantier à peine ouvert, mais qu’il faudra mener à bien, est celui des conditions de séjour et de circulation entre nos deux pays, dont nous connaissons bien l’importance et la sensibilité, des deux côtés de la Méditerranée. Pour sa part, la France y travaillera dans un esprit à la fois d’ouverture et de réciprocité. Ainsi, le maintien du principe d’un régime dérogatoire pour les Algériens séjournant en France, principe qui ne doit pas empêcher les adaptations nécessaires, justifie l’élaboration d’un régime dérogatoire pour les Français qui viennent travailler en Algérie. De même, l’octroi généreux par nos consulats de visas de circulation, qui représentent désormais le tiers du total, appelle des mesures dans le même sens du côté algérien. Je suis désormais confiant après le vote par le Parlement algérien d’une loi autorisant l’octroi de visas de circulation.

La relation franco-algérienne n’est pas banale et je ne pense pas qu’elle le deviendra jamais. D’ailleurs, est-il souhaitable que ce soit le cas ? Il faut certes, je le disais, assainir cette relation, notamment en ôtant les épines du passé. Mais la normaliser, non, je ne le crois pas. Cette relation est faite de passion, de sentiments, parfois mêlés, mais jamais d’indifférence. Elle a été soudée pour le meilleur et pour le pire, par le sang et les larmes, le sang que des milliers d’Algériens ont versé pour notre liberté pendant les deux guerres mondiales, le sang de l’injustice versé par tant d’Algériens pendant la période coloniale, puis celui de la dignité qu’il leur a fallu reconquérir, mais aussi le sang des soldats français versé pour une cause qui n’était pas la leur, les larmes des milliers de pieds noirs arrachés à la terre qui les avait vu naître, qu’ils aimaient et qu’ils avaient travaillée avec tant d’ardeur. De ce passé douloureux et dramatique, faisons une force positive pour l’avenir, un gage de fraternité et d’amitié retrouvée.

La relation franco-algérienne, ce sont aussi les 6 millions de Français d’origine algérienne ou descendants de Français d’Algérie, qui ont un lien avec ce pays et les dizaines de milliers de double nationaux, au regard du droit français, qui vivent en Algérie. Les uns et les autres constituent pour les deux pays une formidable richesse, un atout incomparable. Sachons le mettre à profit, non seulement pour nos relations bilatérales, mais aussi pour le rapprochement des deux rives de la Méditerranée.

Le sommet fondateur de l’Union pour la Méditerranée, qui vient de se tenir à Paris avec la participation de quasiment tous les chefs d’Etat ou de gouvernement de l’Union européenne et du bassin méditerranéen, nous a confortés dans notre conviction que l’avenir de l’Europe se trouve bien au sud de la Méditerranée. L’Algérie, à la jonction de la Méditerranée et de l’Afrique, en est un partenaire clé et c’est pourquoi sa participation était et reste si précieuse à nos yeux./.

Document établi par la recopie du site internet :
http://www.ambafrance-dz.org/article.php3?id_article=2077