Mort de Lili Boniche, à Cannes 6 mars 2008


"Je suis Lili Boniche, chanteur oriental " : celui qui se présentait ainsi fut l'une des vedettes incontestées de la chanson judéo-arabe, la variété née dans une Algérie multiple. Lili Boniche avait le sourire étincelant, le tempérament charmeur, le coeur sur la main et la parole facile. Né dans une venelle de la casbah d'Alger de parents juifs originaires de Petite Kabylie, Elie Boniche, dit Lili, est mort le 6 mars 2008.

 
Lili Boniche - Alger Salle Pierre Bordes - 1959
 

Agé de 87 ans, il était, avec Line Monty, Maurice El Medioni ou Reinette l'Oranaise, disparue en 1998, l'une des figures de la variété algéroise. Le chanteur malicieux avait commencé à jouer de la mandoline dans la casbah au début des années 1930, avant de devenir une gloire nationale.
Dates clés 1921 Naissance à Alger. - 1936 Crée un orchestre.- 1946 Se produit à Paris.- 1962 Administrateur d'une entreprise de restauration. - 1990 Retour à la scène. - 6 mars 2008 Mort à Paris.

Lili Boniche a d'abord porté en lui Alger la Blanche, puis Alger la rapatriée, dont il imprégnait ses tangos-flamencos-pasos (Alleche, Tu ne m'aimes pas). Chanteur à la voix caressante, à l'humour flamboyant, il avait aussi multiplié les appels à la réconciliation (Il n'y a qu'un seul Dieu).

Lili Boniche, c'est aussi l'histoire d'une renaissance. En 1989, l'édition de la collection "Trésors de la chanson judéo-arabe" permettait de redécouvrir Reinette l'Oranaise, Blond-Blond ou Line Monty, avec la réédition du catalogue Doumia, le label qui avait regroupé jusqu'à l'indépendance les plus beaux défenseurs de la musique des juifs d'Afrique du Nord. Dans le volume consacré à Lili Boniche, il y a bien sûr la version arabophone de Bambino et de C'est l'histoire d'un amour. Lili Boniche est invité au Printemps de Bourges, reprend la route des concerts, guitare électrique en main. En 2003, son album Œuvres récentes affichant un casting chic, dont M ou le batteur Manu Katché.

L'histoire de Lili Boniche suit celle de la communauté juive et pied-noir d'Algérie d'avant-guerre. En 1933, le jeune Elie joue de la mandoline dans la basse casbah d'Alger. Très tôt, il retient tous les airs que jouent les phonos des cafés maures. M. Boniche père, joueur de mandole, confie son rejeton à Saoud l'Oranais, maître du luth et de la tradition arabo-andalouse, dont l'élève la plus rayonnante s'appelle alors Reinette l'Oranaise. Pendant trois ans, le musicien enseigne à Elie le luth et les subtilités du classique arabo-andalou et de ses dérivés, le châabi et le haouzi. De retour à Alger deux ans plus tard, à 15 ans et demi, Lili Boniche et son orchestre commencent à écumer les nuits de la Ville blanche. M. Azrou, directeur de Radio-Alger, leur offre une tranche d'une heure hebdomadaire l'après-midi.


IL RACCROCHE SA GUITARE ET SE LANCE DANS LES AFFAIRES


"Chez nous, les soirées duraient jusqu'à 3 heures du matin. A minuit, les pauvres, je sentais qu'ils s'enquiquinaient avec le répertoire classique. Je ne pouvais pas les laisser comme ça", racontait-il au Monde en 1991. Et Lili sort alors de sa musette quelques farces en "françarabe", conviviales, dansantes. D'Alexandrie à Beyrouth, d'Alger à Paris, où plusieurs "cabarets orientaux" se sont ouverts, la musique arabe se frotte à l'Occident, au jazz et aux musiques afro-latines.

A l'instar du "rossignol" Salim Hillali, champion des espagnolades, ou du dandy algérois Abdel Gobansi, Boniche mélange les styles : rumbas, paso-doble, tangos lui servent à adapter de nombreux standards occidentaux, à écrire des chansons en "françarabe", genre inventé au Liban et en Egypte dans les années 1910.

Il abandonne le luth pour la guitare, adapte des tangos, des paso-doble, des istihbar (préludes) à tour de bras, compose de généreuses complaintes (Alger, Alger) et met des couleurs endiablées sur des chansons de mariage, où l'on retrouve la trace de Perez Prado, venu ensorceler l'Algérie. A la veille de la seconde guerre mondiale, Lili Boniche est célèbre au Maghreb, il fait des tournées puis anime le théâtre aux armées. Tous les lundis, galas à l'opéra d'Alger pour les militaires.

En 1946, il tente l'aventure parisienne. Il se produit au Soleil d'Algérie, cabaret proche de la place Pigalle, qu'aimait fréquenter François Mitterrand. Mais le chanteur se marie, raccroche sa guitare et se lance dans les affaires. De retour à Alger en 1950, il devient propriétaire de quatre cinémas du centre-ville. Avec les premiers attentats en 1958, les salles se vident. L'indépendance le ramène à Paris.

Quand il revient sur le devant de la scène médiatique en 1990, il a 69 ans. Il a fait faillite (une entreprise de fournitures pour les administrations) et chante toujours son impérissable L'Oriental, sans barrière de langues ou de genre, répétant : "Chanson triste ou chanson gaie, moi je chante ce qu'il me plaît. Musique arabe ou espagnole, la musique c'est mon idole..." En 2003, Lili Boniche avait pris sa retraite. Ce Parigot d'adoption s'était retiré à Cannes avec sa seconde épouse, Josette.

In le Monde du 22 mars 2008 - Véronique Mortaigne