Dans un numéro de la revue Historia sur " les traites" Alain Duhamel place en tête Charles de Gaulle à la question : Quel est selon vous l'acte de trahison le plus retentissant de la Ve République ? Réponse de Alain Duhamel - Sans hésitation, celui du général de Gaulle sur l'Algérie -

 
     
 

Historia – Novembre – Décembre 2009
Historia Thématique
n°122 novembre 2009 au prix de 5.60€
Le traître, de Caïn à Sarkozy
Historia
“L’on fait plus souvent des trahisons par faiblesse que par un dessein forcé de trahir”, a écrit La Rochefoucauld. De fait, toutes les trahisons ne peuvent pas être mises sur le même plan : entre celui qui fait défection à son camp en plein milieu d’une bataille, celui qui tire les ficelles dans l’ombre, celui qui agit au gré des événements, il y a autant de cas de figure qu’un curé puisse en bénir. Car la religion, bien sûr, n’et pas en reste. Voir Wénilon, prélat pas très catholique. Un panorama complet de tous les cas de félonie à travers l’histoire.
Sommaire
Les traîtres
Les traîtres au fond des yeux
CAS DE CONSCIENCE
Paroles de traîtres
Sur le divan du psy, sa nature se révèle
Par idéal
Brutus, l'utopiste devenu assassin
Laval, le pacifiste collabo
Philby père et fils, les faux amis d e la gentry
Par intérêt
Alcibiade, le prince charmant fatal à Athènes
Wenilon, un prélat pas très catholique
Jean sans Peur... et sans scrupule
Les traîtres
Le marquis de Mantoue, un génie de la volte-face
Dumouriez : Vive la République ! Vive le roi !
Bazaine se voit déjà en régent
La trahison n'est pas le propre du monde politique"
Par vengeance
Murat, le roitelet qui en voulait trop
Sous la contrainte
Henri IV abjure pour la France
Le Grand Condé joue son va-tout
Louis XVI fait défaut à Dieu et à son peuple
Félons hier, héros aujourd'hui
SI L'HISTOIRE M'ÉTAIT CONTÉE
Un poilu raconte sa guerre
DVD
Le Japon, l'empereur et l'armée
Un barrage contre le Pacifique
Le mur de Berlin
Traditions
Le charpentier


"La trahison n'est pas le propre du monde politique"
Depuis quarante ans qu'il décrypte les arcanes du pouvoir en France, Alain Duhamel, chroniqueur à RTL et à Libération, a été témoin de multiples revirements historiques.
Et de rares fidélités.

Entretien.

Historia - Quel est selon vous l'acte de trahison le plus retentissant de la Ve République?

Alain Duhamel - Sans hésitation, celui du général de Gaulle   ! vis-à-vis des Français d"Algérie. Ses plus proches collaborateurs; témoignent qu'il avait l'intention d'agir pour l'indépendance de l'Algérie dès 1958, mais il était beaucoup trop intelligent pour dévoiler ses objectifs dès le départ. En fait, il s'est retrouvé dans l’obligation de mettre sur pied un « simulacre pédagogique ». Cette trahison a eu des conséquences, certainement indispensables, mais néanmoins inhumaines, tant pour le million de pieds-noirs que pour beaucoup d'Algériens.

Historia. - Quid des trahisons de personne à personne?

Alain Duhamel. - Deux exemples sont particulièrement mémorables: la conduite de Chirac à l'égard de Giscard et celle de Balladur à l'égard de Chirac. Jacques Chirac a fait tout ce qu'il a pu pour que Valéry Giscard d'Estaing soit élu président de la République en 1974. En conséquence, il est devenu son Premier ministre mais cette collaboration s'est exceptionnellement mal passée.
Il s'avère que leur couple s'est révélé le plus mal assorti de toute l'histoire de la V République.
La situation fut pire entre eux deux qu'au cours des deux cohabitations sous François Mitterrand. De 1976 à 1981, Chirac n'a eu de cesse d'affaiblir Giscard. À tel point qu'à la présidentielle de 1981, ceux qui étaient les plus proches de lui ont soit voté Mitterrand, soit se sont abstenus au second tour.
De fait, entre le jeune secrétaire d'État ébloui par le ministre des Finances, le jeune Premier ministre récompensé d'avoir choisi Giscard contre Chaban-Delmas puis l'adversaire du Président la trahison est flagrante. Il ne s'agit pas de la juger en termes moraux mais en termes politiques. Le cas d'Edouard Balladur est plus subtil parce que lui-même est plus fin. Il fut à la fois le conseiller le plus écouté de Chirac, son ministre le plus influent sous la première cohabitation, devenant en réalité le chef du gouvernement, dirigeant la politique économique et sociale et inspirant un certain nombre de décisions. Ce duo fut parfaitement complémentaire de 1986 à 1988.
C'est Chirac lui-même qui a voulu que Balladur devienne Premier ministre en 1993 optant pour la stratégie qui lui apparaissait la plus payante en vue de la présidentielle de 1995. Balladur, jouissant d'une belle popularité, a pensé qu'il avait autant de qualités potentielles que Chirac pour devenir chef de l'État. Il s'est donc mis sur les rangs.
Dès lors, pour Chirac, le contrat politique et amical était déchiré. Mais ne lui avait-il pas donné l'exemple avec Valéry Giscard d'Estaing?

Historia – Ces multiples forfaitures n'ont-elles pas coûté le prix fort à la droite républicaine?

Alain Duhamel  - C'est en effet au sein de la droite républicaine que la trahison a pris l'allure la plus dramatique. Mais cela ne doit pas occulter la légion de trahisons, tant à gauche qu'à l'extrême droite. Quand Bruno Mégret quitte Jean-Marie Le Pen cette scission porte un coup sévère au Front national qui se retrouve banalisé.
À gauche au sein du parti communiste, les transmissions de pouvoir ne se sont pas réalisées de façon consensuelle. Quand Georges Marchais est devenu secrétaire général du PCF, ce fut au prix de conjurations. Les choses n'ont pas été simples non plus quand il a fallu le remplacer. Son héritier naturel. Alain Bocquet, président de groupe à l'Assemblée nationale, n'a pu empêcher l'intronisation moins prévisible de Robert Hue. A quel prix s'est-elle réalisée ? Et lorsque Marie-George Buffet lui a succédé, là aussi, ça ne s'est pas fait à la suite d'un mouvement démocratique bien ordonné... Les socialistes ne sont pas en reste en matière de renversement d'alliance.
Lors du congrès d'Épinay (1971) à l'issue duquel François Mitterrand prend le contrôle du parti socialiste on assiste à l'alliance de Jean-Pierre Chevènement, qui incarnait à l'époque l'extrême gauche du PS  avec l'aile droite de Gaston Defferre et de Pierre Mauroy et le petit groupe de Mitterrand tous unis contre Guy Mollet, Alain Savary et la majorité du parti Un coup d'éclat pour ne pas dire un coup d'État.

Historia  - Est-il possible de distinguer plusieurs natures de trahison depuis les débuts de la Ve République?

Alain Duhamel - De Gaulle et l'Algérie, c'est vraiment une trahison de nature politique.
Si j'ose dire, c'est une trahison d'Etat.

Quand Laurent Fabius lequel a toujours été européen, prend la tête du camp des « Non » au référendum constitutionnel, la part de l’ambition personnelle et la part de l’ambition politique sont au moins équivalentes. Au final, cela reste une trahison surtout par rapport à ce qu'il disait à l'époque de Mitterrand, qui était un grand européen.
Quand Jacques Chirac prend le contrôle de ce qui devient le RPR (1976), il s'agit d’une conjuration politicienne. Je vous épargne les dizaines d'exemples de « frontaliers », ceux qui passent d'un parti à un autre par frustration ou par opportunisme. Il ne s'agit là ni de trahison d'État, ni de trahison politicienne mais de trahison personnelle. J'insiste sur le fait que cette tendance à la trahison n'est pas le propre du monde politique. Mais elle y est plus visible et plus choquante parce que les citoyens ont le droit de contrôler ce que font les dirigeants politiques.

Historia. - «Jeter la rancune à la rivière» - citation de Giscard à regard de Chirac -, autrement dit pardonner. Est-ce possible en politique?

Alain Duhamel  - Je ne crois pas que le pardon soit dans la nature politique. En revanche, je pense que les réconciliations forcées peuvent se produire. Lorsque Mitterrand nomme Michel Rocard Premier ministre en 1988, c'est à la fois une réconciliation, après dix ans de tensions, mais aussi une forme de vengeance (en le nommant, il espère qu'il échouera). Quand Nicolas Sarkozy revient au gouvernement sous Chirac, alors qu'il avait été un de ses espoirs et qu'ils avaient été brouillés à mort par la candidature Balladur - pour laquelle s'était totalement engagé Nicolas Sarkozy -, c'est une réconciliation là encore, non dénuée d'arrière-pensées puisque par la suite les rapports sont devenus terriblement conflictuels. Villepin a poussé Chirac à faire revenir Sarkozy au gouvernement, après quoi il a été son principal adversaire. Pas de pardon donc, mais plutôt des compromis quelquefois suivis de vengeance. Dans le gouvernement actuel, un certain nombre de ministres de gauche ont écrit des choses pas très aimables sur Nicolas Sarkozy pendant la campagne présidentielle.
Est-ce que ce dernier les a pardonnés ou les utilise-il par intérêt ?

Historia  - A contrario, quel est l'exemple de loyauté le plus probant de la V République?

Alain Duhamel  - Je pense d'abord aux fidélités personnelles : Michel Poniatowski par rapport à Valéry Giscard d'Estaing, Brice Hortefeux envers Nicolas Sarkozy. Ce sont des fidélités inébranlables. D'autres ont incarné des choix et s'y sont toujours tenus. Premier ministre de Giscard. Raymond Barre a toujours joué totalement le jeu à l'égard du président de la République.
Historia - a toujours respecté ses convictions, mis en œuvre ses engagements tout en restant d'une loyauté absolue vis-à-vis du Président même quand ils n'étaient pas d'accord. ■ Propos recueillis par Éric Pinças