Rapatriés d'Algérie racontent leurs déboires pour renouveler leur carte d’identité.
 
 
«Que faire de plus pour être française ?»
 

Les témoignages publiés le 25 août 2007 sur la difficulté pour obtenir une carte d’identité continuent de provoquer des réactions et des témoignages. Ceux-là ne sont pas des anonymes. Le grand public les connaît, peu ou prou.
Cet imbroglio administratif les fait sortir de leurs gonds.
Démarche. Pierre Schapira, d’abord. L’adjoint au maire de Paris, chargé des relations internationales et de la francophonie, né en Algérie en 1944, n’avait jamais parlé de cette histoire à personne. « Je l’ai longtemps gardée pour moi de manière un peu bête », confesse-t-il. N’empêche. Vers 1987, il est allé refaire sa carte. « On m’a dit : Prouvez que vous êtes français. » Là, il a vu rouge. Son père est né en Algérie. Sa mère aussi. « Française par le décret Crémieux.» Schapira est inscrit à l’ordre des chirurgiens-dentistes. C’est son métier. « Et pour être inscrit à l’ordre il faut être français », dit-il. Schapira égrène ses titres. Il est élu à Paris, membre du Conseil économique et social depuis 1984, député européen, et, ce qu’il ne dit pas, très proche de Lionel Jospin. « J’ai failli casser la vitre », s’énerve-t-il encore aujourd’hui. « Mes deux grands-pères ont fait la guerre de 14, on venait d’Algérie, on était français, c’est tout.» Heureusement, raconte-t-il, ce jour où il effectue sa démarche, un fonctionnaire né en Algérie comme lui est intervenu, et a tranché : « J’arrange le coup.» Mais le mal était fait. Schapira trouve cela « humiliant ». Il ne veut pas refaire la démarche, ne pas avoir à subir à nouveau ce qu’il considère comme une « blessure ». Aujourd’hui, il utilise son passeport.
Michèle Halberstadt est productrice de cinéma. Elle aussi a contacté un journal pour raconter de nouveau l’épisode qui figure dans un livre publié en 2006 chez Albin Michel , Café viennois. Le père de Michèle est polonais. Sa mère viennoise. Pour elle, ses parents ont demandé la nationalité française à sa naissance en 1955. En 1999, lors d’une demande de renouvellement, à Montfort-l’Amaury (Yvelines), où elle réside, quand elle s’adresse au fonctionnaire au guichet, on lui répond: «Prouvez-le.» Et la responsable d’ajouter: «Vous comprenez, il y a trop de gens à qui on a donné la nationalité. Alors, maintenant, on épluche, on fait le ménage
Michèle Halberstadt dit que cette histoire l’a rendue « dingue », au point qu’elle en a fait ce livre. « Je ne veux plus vivre cela », dit-elle. « A l’époque, j’avais 47 ans. Demain, on peut très bien me dire : Tu n’es plus française. Sur le coup, je m’en suis voulue de penser que le monde n’avait pas changé.» Elle ajoute : «Comme tout le monde, je peux être virée.» Elle, ce n’est pas un fonctionnaire compréhensif, comme dans le cas de Schapira, mais une lettre de Lionel Jospin qu’elle a produite, avec ce commentaire : « Si je suis française pour lui, est-ce que cela vous suffit ?» « Ça a été magique», conclut-elle. Mais elle y pense encore, «l’arbitraire me fait peur», dit-elle. « C’est quoi la preuve ?» interroge-t-elle. «Comment fait-on pour prouver ?» Michèle Halberstadt dit penser à cette histoire chaque fois qu’elle passe une frontière : «J’ai eu l’impression qu’on me renvoyait à mes racines avec une telle violence. Je me suis dit que je ne serai jamais intégrée. Mais je n’ai jamais vécu ailleurs qu’à Paris. En même temps, je me dis que mes enfants ne connaîtront pas cela. Ils n’auront jamais à prouver qu’ils sont français
Scénario. Comme Pierre Schapira, Lyne Cohen-Solal est adjointe (PS) à la mairie de Paris. Il y a quelques années, elle perd sa carte d’identité, se rend à la préfecture pour la refaire. Même scénario : « Prouvez que votre père était français !» lui lance-t-on. « J’ai failli me mettre à pleurer. Je suis née en 1947 en Algérie, un département français, nous avons été rapatriés en 1962 avant que l’Algérie devienne indépendante, je n’ai jamais vécu sur un territoire étranger, alors que faire de plus pour être française ? » Lyne Cohen-Solal a renoncé à obtenir sa carte d’identité et vit avec son passeport. « Et je ne veux pas que Brice Hortefeux, ministre de l’Identité nationale, s’occupe de mon identité ! »