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La Cour européenne des droits de l’homme déclare la requête d'un Harki irrecevable contre le fils du général de Gaulle.

 
   
       
 
 

Dans sa décision en l’affaire Boumaraf la Cour européenne des droits de l’homme déclare, à l’unanimité, la requête irrecevable. Cette décision est définitive.


Principaux faits


     
 

Le requérant, M. Amar Boumaraf, est un ressortissant français, né en 1941 et résidant à Saint-Palais-sur-Mer (France). Le 2 avril 2004, le quotidien Midi Libre publia un entretien de Philippe De Gaulle au sujet du livre écrit sur son père, qui comportait les propos suivants : « Tout le monde ne voulait pas partir [d'Algérie], comme ces 100 000 harkis qui ont rejoint l'armée algérienne. »
S'estimant diffamés, M. Boumaraf et quatre autres anciens harkis assignèrent le Midi Libre, son directeur de publication et Philippe de Gaulle, devant le tribunal correctionnel de Montpellier, des chefs du délit et de complicité du délit de diffamation publique à l'encontre d'agents de l'autorité publique.
Le tribunal jugea que les intéressés avaient qualité pour agir en tant qu'anciens harkis et que leur action était recevable, mais que sur le fond les propos publiés n'étaient pas « de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération des parties civiles. »

Le 23 mars 2006, la cour d'appel de Montpellier infirma le jugement, considérant que le délit de diffamation était bien constitué. Elle condamna solidairement Philippe de Gaulle, le Midi Libre et son directeur de publication, à verser 1 € à titre de dommages-intérêts à chacune des parties civiles, ainsi qu'une indemnité de 1500 €. Ceux-ci se pourvurent en cassation, faisant valoir que les propos incriminés ne visaient pas précisément les plaignants, mais au contraire ceux qui avaient rejoint l'armée algérienne, soit un groupe de personnes indéterminées. Le requérant invoque à l'appui de son grief un arrêt de la Cour de cassation du 12 septembre 2000 qui avait considéré qu'une injure visant une pluralité de personnes formant un groupe - en l’occurrence il s’agissait précisément de la communauté des harkis - pouvait justifier une réparation au profit de chacun de ses membres démontrant l’existence d’un préjudice propre, dès lors que cette communauté constituait un groupe restreint, ce que la Cour de cassation avait, en la circonstance, reconnu pour les harkis.

Le 29 janvier 2008, la Cour de cassation cassa et annula sans renvoi l'arrêt rendu par la cour d'appel de Montpellier, aux motifs, entre autres, que « les propos en cause ne visaient pas des personnes formant un groupe suffisamment restreint pour qu’un soupçon plane sur chacun de ses membres et leur donne le droit de demander réparation du préjudice résultant de l’infraction dénoncée. »

Griefs, procédure et composition de la Cour

La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 24 juin 2008.
Invoquant l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable), le requérant se plaint de ce que la cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence de manière « injustifiée et Arbitraire » par rapport à son arrêt en date du 12 septembre 2000, en lequel elle a jugé que les harkis constituaient un groupe suffisamment restreint pour que chaque membre de ce groupe dispose du droit individuel à demander réparation du préjudice causé.

La décision a été rendue par une chambre de sept juges composée de :

Dean Spielmann (Luxembourg), président, Elisabet Fura (Suède), Jean-Paul Costa (France),
Karel Jungwiert (République Tchèque), Boštjan M. Zupančič (Slovénie), Ganna Yudkivska (Ukraine), Angelika Nußberger (Allemagne), Juges, ainsi que de Claudia Westerdiek, greffière de section.


Décision de la Cour


Article 6 § 1 (droit à un procès équitable)

La Cour observe que les exigences de sécurité juridique et de protection de la confiance des justiciables ne consacrent pas un droit à une jurisprudence constante. Elle rappelle pour cela qu'une évolution de la jurisprudence n'est pas contraire à une bonne administration de la justice. Cependant, lorsqu'il existe une jurisprudence bien établie ("well-established case-law") sur une question en jeu, la juridiction suprême a l'obligation de donner des raisons substantielles pour expliquer son revirement de jurisprudence, faute de quoi seraient violés les droits du justiciable d'obtenir une décision suffisamment motivée.
La Cour estime cependant que l'arrêt de la Cour de cassation du 12 septembre 2000 ne saurait à lui seul constituer « une jurisprudence bien établie », du fait notamment que l’arrêt en question portait sur le délit d’injure (article 33 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse), tandis que l’arrêt du 29 janvier 2008 rendu dans la cause du requérant avait trait au délit de diffamation (articles 29 alinéa 1 et 31 alinéa 1 de la loi précitée).
Elle admet toutefois qu'une motivation plus détaillée des raisons de l'infirmation de la solution retenue par la Cour de cassation aurait été souhaitable pour le requérant, mais elle rappelle qu'elle n'a pas à se substituer aux juridictions internes dans leur interprétation de la législation interne. Le rôle de la Cour se limite à ce stade à vérifier la compatibilité des effets de telles interprétations avec la Convention. A cet égard, la Cour estime que la procédure a satisfait, en l'espèce, aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention.
Mis en ligne le 17 septembre 2011 1h30 CET