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Des enfants de harkis et d'immigrés commémorent le 17 octobre 1961
 
 
 
Plusieurs organisations, et pour la première fois des enfants de harkis, ont appelé mercredi à un rassemblement le samedi 16 octobre 2004 à 17H00 sur le pont Saint-Michel à Paris (VIe), pour les victimes de la manifestation du 17 octobre 1961.
A l'automne 1961, les jeux sont faits. En Algérie, l'armée française s'est rendue maîtresse du terrain. Et bien inutilement, puisque le gouvernement français a accepté:
- 1. de négocier
- 2. de négocier à propos de l'avenir politique de l'Algérie.
- 3. avec le seul FLN.
- 4. sur une indépendance concernant tout le territoire, y compris le Sahara. Le gouvernement français considère la guerre comme terminée. Il a d'ailleurs décidé une trêve unilatérale à l'ouverture des premières négociations d'Evian, en mai 1961. Le FLN en profite pour reprendre la main.
Certains policiers concluent que désormais on leur tire dessus sans grand risque
En France, l'intérêt du FLN serait apparemment de calmer le jeu. Depuis la fin de l'année 1960, le MNA (Mouvement national algérien) est marginalisé et le Front contrôle l'ensemble de l'immigration, qui, avec 150 000 cotisants (pour 250 000 personnes, femmes et enfants compris), fournit au GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) l'essentiel de ses ressources.
A partir du mois de juin, des attentats du FLN contre la police, elles n'expliquent pas qu'à la fin d'août 1961 commence une campagne d'attentats aveugles (visant n'importe quel agent de la police: 22 policiers seront tués de janvier à octobre 1961, pour 9 en 1960).
Parmi les policiers parisiens se développe une révolte informe et viscérale contre la situation qu'ils subissent. La police a le sentiment, en cette fin de conflit, d'être exposée pour rien, sans perspective politique. Depuis janvier, il n'y a plus ni en France ni en Algérie d'exécution de condamné à mort. Certains policiers en concluent que désormais on leur tire dessus sans grand risque.
Mais la décision qui fera exploser la crise, c'est, le 6 octobre, l'instauration d'un couvre-feu à partir de 20 h 30 pour les Algériens, décision prise sur le conseil de plusieurs syndicats de policiers, dont la CFTC. Cette mesure provoque une levée de boucliers, voire un refus; pour l'opinion, la guerre est quasi finie et ce qui y ramène est mal perçu; quant au FLN, il doit réagir à une décision qui gêne considérablement son action.


La manifestation n'avait donc rien de spontané; c'était un ordre à exécuter, un devoir à remplir


Le 7 octobre Mohamed Saddok, coordinateur pour la région parisienne, propose au comité fédéral une réplique modeste: que les Algériens sortent un jour donné après 20 h 30 avec femmes et enfants dans les quartiers où ils sont nombreux. Le 10 et le 14 arrivent du comité fédéral (Kaddour Ladlani) des consignes bien plus ambitieuses, qui seront appliquées: former des cortèges pour défiler en masse dans les grandes artères de Paris, comme pour adresser une sommation politique et morale à la population française. Ces consignes, venues de Cologne, traduisent l'ambition de la Fédération de France de réussir sur son territoire quelque chose d'analogue aux manifestations d'Alger en décembre 1960; elles ne tiennent aucun compte de l'état d'esprit de la police. Et leur justification politique n'est pas claire.
Ces incohérences montrent les difficultés qu'a le FLN de sortir de la logique de l'affrontement. Le résultat sera d'envoyer une foule désarmée, pour une manifestation qui sera jugée provocante, par les policiers qui comptent dèja 22 victimes .
La manifestation n'avait donc rien de spontané; c'était un ordre à exécuter, un devoir à remplir, bien qu'aux mots d'ordre («Algérie algérienne!», «Contre le couvre-feu raciste!») ceux qui marchaient, beaucoup de femmes, aient adhéré de tout coeur. Le lendemain, une assistante sociale de Nanterre s'étonnera qu'une famille soit allée manifester avec un bébé de 15 mois. «Ils nous auraient tués si on n'y était pas allés»: telle fut la réponse.
Dans les semaines qui suivirent, la presse ne fut pas silencieuse, ni les hommes politiques. Les journaux qui, au départ, soulignaient la responsabilité du FLN insistèrent de plus en plus, même à droite, sur les inadmissibles «violences à froid» qui avaient suivi la manifestation. Claude Bourdet, Gaston Defferre, Eugène Claudius-Petit en particulier interpellèrent Maurice Papon au conseil municipal et Roger Frey à l'Assemblée. On leur répondit par les dénégations, le silence, puis l'étouffement. Frey fit semblant d'accepter une commission d'enquête parlementaire, puis éluda, sous prétexte de ne pas interférer avec des instructions judiciaires bidon. Puis il y eut l'amnistie.


Octobre 1961, fusionné avec février 1962, est devenu une illustration de l'éternel fascisme contre lequel la gauche éternellement s'affirme. Il est intéressant de remarquer que ce travail de déshistoricisation d'octobre 1961 est aujourd'hui repris et accentué par certains de ceux qui s'attachent à en réveiller la mémoire, avec cette différence que c'est plutôt le racisme que le fascisme qui désormais qualifie le crime.


Cette année, pour la première fois, aux côtés des associations de gauche soutenant le rassemblement (MRAP, LDH, Cimade, Fasti, PC, Verts, LCR, LO notamment), seront présents des enfants de harkis, ces supplétifs de l'armée française rapatriés en France à l'indépendance de l'Algérie en 1962.
Des descendants de harkis et d'immigrés d'origine algérienne avaient lancé fin septembre un manifeste commun "pour la réappropriation des mémoires confisquées", à l'initiative de Fatima Besnaci-Lancou, présidente de l'association Harkis-droits de l'Homme, créée en juin avec le soutien de la Ligue des droits de l'Homme (LDH).
"Pour la première fois, des enfants de harkis et des enfants d'immigrés commémorent ensemble la journée du 17 octobre 1961, pour assumer leur héritage dans la dignité et la fraternité", affirme Fatima Besnaci-Lancou dans un communiqué.
Les organisations qui appellent au rassemblement devant la plaque apposée par la mairie de Paris sur le pont Saint-Michel en octobre 2001 demandent le libre accès aux archives et que l'enseignement de ces événements soit développé dans les programmes et les manuels scolaires.