Le procès de Fernand Iveton au Tribunal militaire d'Alger a lieu le samedi 24 novembre 1956 au tribunal permanent des forces armées (TPFA) qui est situé rue Cavaignac à Alger à l’arrière de la Grande Poste entre les rues de l’Algérois Alfred Lelluch et Sadi Carnot.

 


Fernand Iveton terroriste poseur de bombe du Parti Communiste PCA & FLN


Après les hésitations politiques des premières décennies de la colonisation, et durant la première moitié du XXe siècle, le régime administratif de l'Algérie pouvait paraître proche de celui de la « métropole ».


Divisée en trois départements, chacun sous la responsabilité d'un préfet, l'Algérie du Nord s'en écartait pourtant sensiblement par la présence d'un gouverneur général, représentant le pouvoir central de Paris mais surtout par une autonomie financière, une monnaie distincte et l'absence de tout droit de vote des Musulmans constituant pourtant les 9/10es de la population.


Il faut y ajouter la persistance jusqu'en 1947 du Code de l'indigénat et du Code forestier, instituant des sanctions pénales propres aux « indigènes » et des peines collectives à l'ensemble d'un village ou d'une tribu en cas d'incendie de forêt ou de pâturage.
Le statut de 1947 prévoyait un double collège d'électeurs français européens, d'une part, et musulmans, d'autre part. Il désignait un nombre égal de délégués à l'Assemblée algérienne, créée par ce statut, donnant ainsi à la minorité européenne une majorité, de fait induite par la fraude électorale dans le « deuxième collège » musulman. L'existence hors des villes de « communes mixtes » gérées par un administrateur français était aussi prévue.

 


Alger rue Cavaignac côté mer


L'administration de la justice dépendait directement du ministère de Paris, avec dix-sept tribunaux de première instance, une cour d'appel à Alger, puis trois à Alger, Oran et Constantine à compter de 1955.


Si la procédure et la législation civiles étaient très différentes entre les deux communautés pour tenir compte du statut personnel musulman du plus grand nombre de justiciables, la justice pénale rendue par les tribunaux de police, correctionnels et par les cours d'assises s'appliquait à tous (sous réserve, en matière criminelle, de la composition du jury).


Ces quelques observations sommaires permettent de mesurer à quel point la qualification d'« Algérie Trois départements français », alors utilisée, relève de la fiction.


Les textes spéciaux, consécutifs aux « événements d'Algérie »


Le déclenchement, le 1er novembre 1954, simultanément dans tout le territoire algérien, de troubles graves caractérisés par l'explosion de bombes plus ou moins artisanales, d'attaques de gendarmeries, de meurtres, coordonnés par les organisations politiques et militaires, qui deviendront le Front de libération national (FLN) et l'Armée de libération nationale (ALN), conduira le gouvernement français à promulguer rapidement des textes législatifs et réglementaires, en utilisant, faute de réalisme politique, la justice pénale.


Après une première période, au cours de laquelle les parquets ont requis l'ouverture d'informations judiciaires confiées à des magistrats instructeurs, ou, pour les infractions qualifiées de « délits », le renvoi des auteurs présumés devant les tribunaux correctionnels qui les condamnaient pourtant lourdement, la loi du 3 avril 1955 sur l'état d'urgence a donné compétence aux tribunaux permanents des forces armées pour juger tous les faits commis à partir du 1er novembre 1954, tous qualifiés sans distinction de « crimes », statuant dans la formation prévue pour juger des civils, soit trois magistrats professionnels et six jurés militaires. De nombreuses condamnations à mort ont été prononcées par ces tribunaux. Toutefois, aucune exécution capitale n'est alors intervenue.

 

Alger le tribunal militaire à droite

Après les élections françaises de 1956, le gouvernement, sous la présidence de M. Guy Mollet, obtenait de l'Assemblée nationale des pouvoirs spéciaux permettant de légiférer par décret.
C'est ainsi que toute participation aux mouvements indépendantistes a été qualifiée de « crime » justiciable de tribunaux militaires composés exclusivement de militaires, présidés par un magistrat professionnel volontaire ou mobilisé, souvent président de chambre ou conseiller de cour d'appel, et qu'a été instituée la notion de « crime flagrant » permettant aux tribunaux militaires de juger leurs auteurs présumés sans instruction préalable, souvent quelques jours après leur arrestation.
La Cour de cassation ayant, aux yeux des dirigeants politiques de l'époque, une fâcheuse tendance à casser les décisions comportant la peine de mort, un tribunal militaire de cassation était créé à Alger, chargé d'examiner en quelques jours les pourvois des condamnés, en rejetant systématiquement les recours.


La défense devant les tribunaux militaires


Jusqu'en février 1957, la défense des accusés était assurée par un nombre restreint d'avocats (Musulmans européens politiquement engagés ou « libéraux », soucieux de concourir au retour à la paix par la négociation), très minoritaires parmi les 400 membres du barreau d'Alger.


Les autres avocats n'acceptaient pas de prêter leur concours à des personnes qui, de surcroît, ne disposaient guère de moyens financiers.


Pour l'essentiel, la défense était donc assurée par une vingtaine d'avocats algérois et quelques Parisiens qui avaient constitué des « collectifs » et se relayaient, la tâche étant lourde eu égard au nombre de militants nationalistes algériens traduits devant les tribunaux militaires.


Par décret, avait également été institué un corps d'officiers défenseurs choisis parmi les avocats volontaires, rémunérés par l'État et qui, en l'absence de conseil désigné par l'accusé, assuraient une défense formelle.


L'exécution des condamnés à mort


En juin 1956, intervenaient les premières exécutions de condamnés à mort, dont les recours en grâce avaient été rejetés, et la guillotine n'a plus cessé de fonctionner au cours des deux années suivantes.


Défendant les accusés passibles de la peine de mort, il s'agissait alors, pour les avocats, d'éviter une telle condamnation, la durée des peines de réclusion important peu, dès lors que tout accusé, acquitté ou puni d'une peine d'emprisonnement n'excédant pas la durée de la détention préventive, était aussitôt interné dans des « centres d'hébergement », par simple mesure administrative dont la motivation imprimée sur l'arrêté d'internement était que « leur activité s'avérait dangereuse pour la sécurité et l'ordre public ».


Sous la qualification de « centres d'hébergement », avaient été créés des camps privatifs de liberté dans lesquels les personnes internées survivaient, plus ou moins inconfortablement tant qu'il plairait à l'administration de les y laisser.


Dans le même temps, les pouvoirs de police, toujours en vertu des pouvoirs spéciaux, étaient délégués à l'armée, et, en ce qui concerne l'agglomération algéroise, à des unités parachutistes.


Le procès Iveton


C'est dans ce contexte que sont intervenus le procès, la condamnation à mort et l'exécution d'un militant communiste, Fernand Iveton. Celui-ci avait rejoint le FLN en 1956.


Il n'était pas le seul Français qui avait fait ce choix.


Le groupe dont Fernand Iveton faisait partie avait décidé de placer un engin explosif artisanal dans l'enceinte de l'entreprise Électricité et Gaz d'Algérie qui employait Iveton en qualité d'ouvrier tourneur.


L'engin, réglé pour exploser à 19 h 30, à une heure largement postérieure au départ des salariés et qui devait de surcroît être déposé dans un local désaffecté, a été découvert dans l'après-midi alors que Fernand Iveton l'avait provisoirement rangé dans son casier pour le transporter ultérieurement dans ce local.
Alertés par un contremaître qui avait trouvé suspecte l'attitude de celui-ci, les services de police découvraient la bombe.
C'était le 14 novembre 1956.


Iveton retardait ses aveux le plus longtemps possible, permettant ainsi aux membres de son groupe d'éviter, au moins provisoirement, d'être arrêtés à leur tour, ce qui leur a probablement sauvé la vie puisque, condamnés ultérieurement, certains à la peine de mort, ils ont échappé à la guillotine en raison de la suspension provisoire des exécutions après mai 1958.


Incarcéré le 19 novembre 1956, Fernand Iveton était déféré en « crime flagrant » devant le tribunal militaire, convoqué pour le juger le samedi 24 novembre, cinq jours plus tard.

Par une lettre reçue le jeudi 22 novembre, en fin de matinée, le bâtonnier de l'ordre des avocats d'Alger me commettait d'office pour assurer sa défense.
Conscient du sort que lui réserverait sans doute le tribunal militaire, en raison du climat de peur et de haine qui sévissait alors dans les milieux européens d'Algérie, j'intervenais auprès du bâtonnier pour que soit désigné un avocat beaucoup plus expérimenté.


Tout en maintenant sa commission, le bâtonnier Perrin désignait alors un avocat beaucoup plus ancien et connu, Me Charles Laine (alors président du Secours catholique), avec qui, dans la journée de vendredi, veille de l'audience, je prenais connaissance du dossier en vue de préparer la défense de l'accusé.
Au terme d'une journée de procès et malgré nos efforts, Fernand Iveton était condamné à mort sous les applaudissements du public admis dans la salle d'audience.

Le Tribunal militaire de cassation rejetait peu après le pourvoi.

Le président de la République, qui était alors M. René Coty, nous convoquait, Me Laine, moi-même ainsi qu'un avocat parisien, Me Nordman, qui nous avait rejoints après la condamnation.
L'attitude du président ne nous avait guère laissé d'espoir.


Photo extraite du film navet du gauchiste Hélier Cisterne de nos frères blessés


Le dimanche 10 février 1957, en fin de journée, le bâtonnier m'informait par téléphone de l'exécution prévue le lendemain, 11 février à l'aube, et, n'ayant pu joindre les avocats de deux autres condamnés à mort devant être exécutés le même jour, me commettait d'office pour les assister également. Le 11 février 1957, les trois hommes étaient guillotinés à la maison d'arrêt d'Alger-Barberousse.

 


Fernand Iveton, qui n'avait voulu accomplir qu'un acte symbolique en évitant tout risque de victimes était ainsi sacrifié pour complaire à ceux qui n'avaient pas encore compris que le temps de la colonisation était révolu.


L'arrestation et l'internement des avocats

Quarante-huit heures après l'exécution de Fernand Iveton et de ses compagnons, le 13 février 1957, j'étais arrêté en même temps que deux de mes confrères, Mes Guedj et Benmehla, et, en vertu d'un arrêté du préfet d'Alger du même jour, nous étions internés Guedj et moi au camp de Lodi, et Benmehla à celui de Berrouaghia.

En l'absence de toute protestation sérieuse de l'ordre des avocats d'Alger, onze autres avocats défendant habituellement les militants indépendantistes étaient arrêtés à leur tour et internés à Lodi pour Louis Grange (camp réservé aux « Européens ») et à Berrouaghia pour les autres. Des centaines de détenus étaient ainsi privés de défenseur avant que des avocats parisiens interviennent à leur tour.


Nous devions être internés et interdits de fait d'exercer notre profession jusqu'à la fin de l'année 1958, notre libération intervenant simultanément par une décision politique comme l'avait été celle de notre internement.


Dans l'intervalle, les exécutions capitales avaient été suspendues par le général de Gaulle, arrivé au pouvoir en mai 1958, avant que les condamnés soient graciés et libérés, à la suite des accords d'Évian et de l'accession de l'Algérie à l'indépendance. De juin 1956 à juin 1959, 164 condamnés à mort ont été guillotinés (un peu plus de 200, selon les statistiques algériennes), sur un total de 2 000 condamnés à mort environ.
De nombreux jeunes Français appelés à faire la guerre en Algérie, au cours de leur service militaire alors obligatoire, ont trouvé la mort ou ont été blessés.
Près d'un demi-siècle s'est écoulé avant que les « événements » ou la « rébellions » soient officiellement qualifié de « guerre d'Algérie », au cours de laquelle le pouvoir politique a, en la dévoyant, instrumentalisé la justice.

Maitre Albert Smadja défenseur du traître Fernand Iveton , membre du PCA, avocat commis d'office


Le plus dur ? Nous ne savions absolument pas quand nous allions sortir, raconte Albert Smadja, 82 ans en mars 2010, ancien du barreau d’Alger.
Dans un an ? Deux ans, trois ans, plus longtemps encore ?


Nous avions laissé des femmes et des enfants, qui n’avaient plus un sou. Certains d’entre nous étaient malades, handicapés, âgés... Et nous n’avions aucune idée du sort qui nous était réservé». Albert Smadja est arrêté le mercredi 13 février 1957. Deux jours après l’exécution de son client Fernand Iveton, guillotiné à la prison algéroise de Barberousse, pour une bombe déposées pour faire sauter l’usine à Gaz EGA du Hamma dans le quartier populaire et ouvrier du Ruisseau à Alger.

Ce jour-là, l’avocat doit rendre à la famille un sac d’affaires personnelles du terroriste PCA-FLN, récupéré à la prison.


Les policiers l’attendent à son domicile, rue Jean Jaurès, dans le quartier de Bal El Oued, à Alger. Ils veulent lui passer les menottes.
Albert Smadja refuse. "D’accord, grogne un responsable, mais s’il bouge : une balle dans la peau". Il restera détenu presque deux ans dans le camp des combattants du PCA et membres des Combattants de la Libération (CDL) la branche armée du PCA situé à Lodi.

Il y a de tout, jetés, bien souvent, derrière les barbelés sans condamnation... et pour beaucoup, après un passage dans les centres dits de «tri et de transit», en fait des centres d'interrogatoire et de torture (plus d'une centaine) gérés par les paras: des chrétiens, catholiques ou protestants, des juifs, des athées, des agnostiques, des fonctionnaires, des industriels, des présidents d'associations, des vendeurs de pataugas, des journalistes, des enseignants, des agriculteurs, des médecins, des avocats, des infirmiers, des anciens résistants et prisonniers de guerre durant la Seconde Guerre contre les nazis...

Des noms, aujourd'hui bien connus : René Justrabo (ancien maire de Sidi Bel-Abbès et dont l'épouse est internée à Tefeschoun), Léon Cortès
( le père d'une actrice célèbre, Françoise Fabian
)
, Pierre Cots, les trois frères Timsit (Daniel qui sera «hébergé» à la maison centrale de Lambèse, Gabriel et Meyer qui, bien que condamnés «avec sursis», s'en iront à Lodi), Jean-Pierre Saïd (dont le cousin Pierre Ghenassia rejoindra le maquis Fln en février 1957 à l'âge de 17 ans et décèdera dans l'Atlas de Blida... comme d'ailleurs Maurice Laban, Roland Siméon, Georges Cornillon, Georges Raffini, Raymonde Peschard, Henri Maillot..), Jean Farrugia (un rescapé de Dachau), Marcel Lequément, Lucien Hanoun, Albert Smadja, Elie Guedj, Robert Manaranche, Maurice Baglietto, Jacob Amar dit Roland Rhaïs (fils d'Elissa Rhaïs, Rosine Boumendil de son vrai nom, la romancière et de l'ancien rabbin de la synagogue de la basse Casbah d'Alger), Gabriel Palacio, Jacques Waligorski, René Zaquin, Elie Angonin, Raymond Neveu, Louis Pont, Fernand Doukhan, Georges Hadjadj, Henri Alleg, René Zaquin, Paul Amar, Henri Zanetacci, René Duvalet, les trois frères Perles.