Voyage en Algérie : Hollande a déçu

   
       
 
 

La visite du chef de l’État était chargée de sens, mais il a livré trop de messages contradictoires. À gauche comme à droite, on s’interroge sur le cap suivi et sur l’avenir de la relation.


La poussière de la visite d’État de François Hollande en Algérie est maintenant retombée. On y voit plus clair et le bilan est mitigé. Les accolades chaleureuses et les hommages répétés de Hollande à Abdelaziz Bouteflika, chef de l’État depuis 1999, heureux de se voir tant célébré devant son peuple en dépit des difficultés du pays, ont montré une réelle connivence, insistante, malgré les doutes sur la clarté démocratique du régime algérien.

     

L'Elysée semble s'être contenté de cela alors qu'il ressort peu de chose concrète de ce voyage « attendu, espéré, redouté, nécessaire », à l’exception d’une usine d’assemblage de véhicules Renault près d’Oran. Ce projet important aura au moins permis à Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, de s’autoféliciter : « Cela fera de l’emploi en Algérie. Cela créera aussi de l’emploi en France. » Il n’a pas dit comment.

François Hollande voulait faire de cette visite d’État son premier grand succès diplomatique, pour marquer la rupture avec le style et les idées de son prédécesseur et prouver sa maîtrise des dossiers géopolitiques – à gauche, certains en doutent encore – , face à Laurent Fabius, son brillant ministre des Affaires étrangères. Mandaté pour expliquer la ligne du président de la République, l’ex-rival aura promené pendant ces deux jours son élégante fatigue, sans jamais se départir d’un léger sourire ironique.

Le chef de l’État a été accueilli en ami dans ce pays qui lui est « si cher », comme il l’a rappelé sur place à plusieurs reprises. C’est à l’ambassade de France qu’il fit son stage de jeune énarque, en 1978.
Il revint à Alger en 2006, premier secrétaire du Parti socialiste, pour renforcer la « relation fraternelle » entre le PS français et le FLN algérien.

Accompagné cette fois de huit ministres, d’une trentaine de chefs d’entreprise, d’autant d’invités personnels et d’une centaine de journalistes, tout aura contribué à détendre l’atmosphère, à commencer par l’humour de Kad Merad et les innombrables bises distribuées par la “smala Hollande” – Yamina Benguigui, ministre déléguée chargée de la Francophonie, Kader Arif, ministre délégué aux Anciens Combattants, Faouzi Lamdaoui, conseiller à l’égalité et à la diversité auprès du président de la République.

Ces gestes amicaux et la complaisance politique ont pu faire croire au succès de ce « partenariat stratégique ouvrant le temps d’un nouvel âge, cinquante ans après ». Hollande s’est inscrit en fait dans la lignée de ses prédécesseurs – Jacques Chirac en mars 2003, Nicolas Sarkozy en décembre 2007.

Eux aussi tentèrent de relancer la coopération.

François Hollande a plaidé en faveur d’une « nouvelle relation fondée sur l’égalité, le respect mutuel, l’équilibre des intérêts et la solidarité ». Les Algériens se sont montrés moins allants, comme si les Français avaient voulu aller trop vite. Un diplomate familier du dossier le reconnaît : « Il fallait s’y attendre. Tant que les gens arrivés au pouvoir en 1962 seront encore aux affaires, on n’avancera pas. Ce n’est pas une question de droite ou de gauche. C’est le problème de la gérontocratie algérienne et de l’opacité du pouvoir à Alger. »

L’escamotage des deux grands dossiers d’actualité – le Mali et la Syrie – illustre cette façon de faire, comme les ambiguïtés sur le poids des « mémoires blessées ». « Il y a une vérité à dire sur le passé, prévenait François Hollande, dès son arrivée. Il faut qu’une page se tourne pour en écrire beaucoup d’autres. » Il avait préparé le terrain, avec la reconnaissance officielle de la répression sanglante de la manifestation indépendantiste algérienne du 17 octobre 1961 à Paris et l’adoption du 19 mars comme date officielle de la fin de la guerre d’Algérie, en dépit de l’opposition de la quasi-totalité des associations de rapatriés et d’anciens combattants.

Encouragés par cette bonne volonté, des responsables algériens s’étaient même pris à rêver d’excuses officielles, voire d’une repentance. « C’est à vous à trouver ce qu’il faut dire », avaient-ils dit aux Français. Ils ont été déçus et l’ont fait savoir.
Dans ce domaine si sensible, Hollande semble avoir manqué son but. Ses messages auront été trop souvent contradictoires, mécontentant les uns sans satisfaire les autres.

« Pendant cent trente-deux ans, l’Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal, avait-il pourtant commencé sous les applaudissements du Congrès algérien, le 20 décembre. Ce système a un nom, c’est la colonisation, et je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien. »

Il évoquait ensuite dans ce discours retouché jusqu’à la dernière minute les massacres de Sétif du 8 mai 1945 et le combat anticolonialiste de certains Français (Clemenceau, André Mandouze, Germaine Tillion, François Mauriac).

Et puis, plus rien ! Et de moins en moins d’applaudissements, quand Hollande lâchait des phrases soudain à double sens, destinées autant aux Algériens qu’à l’opinion française : « Nous avons le respect de la mémoire, de toutes les mémoires. » “Toutes” ! Y compris celles des Français d’Algérie. « Il est nécessaire que les historiens aient accès aux archives, que la vérité soit connue de tous. »
Pas seulement en France, où les archives sont maintenant largement ouvertes, mais aussi et surtout en Algérie où elles restent fermées, ce dont se plaignent tous les chercheurs algériens.

En décryptant ces allusions, la gauche a aussitôt exprimé sa déception, étonnée par ces mots, dits deux fois : « Je ne suis pas venu ici pour des excuses ou une quelconque repentance. »

Souvent interviewée, la veuve de Maurice Audin (militant communiste pro-FLN arrêté, torturé et exécuté à Alger, en 1957) a traduit cette gêne des amis du FLN : « Je n’apprécie pas du tout son discours qui me semble le minimum du minimum du minimum de ce qu’il aurait dû faire. »

Le 20 décembre, à Tlemcen, informé de ces premières réactions négatives, Hollande s’expliquait : « Il faut une part d’émotion et de passion et beaucoup de réalisme. Je n’ai pas voulu satisfaire tel ou tel. »
Invité personnel de François Hollande, Benjamin Stora allait à la rencontre des journalistes, en exégète appliqué. Intronisé historien officiel de la guerre d’Algérie par la gauche, l’ancien trotskiste tentait de convaincre les médias du bien-fondé des propos présidentiels.

Les apparatchiks algériens devaient connaître au préalable le ton adopté par François Hollande.

Cela expliquerait la faible mobilisation populaire organisée par le régime pour accompagner les “déambulations” présidentielles, à Alger et Tlemcen.

En 2003 et 2007, des foules enthousiastes étaient venues à la rencontre de Chirac et de Sarkozy. Le boulevard Zighoud-Youcef, le long du port, avait été pavoisé de drapeaux français et algériens. Chirac avait été presque porté en triomphe.

Rien de tel ce 19 décembre, malgré l’enthousiasme de commande des groupes folkloriques et des citoyens convoyés par le FLN. Pas de foules survoltées et très peu de drapeaux français. Il y avait plus de monde, au même moment, pour assister au début d’incendie de la Grande Poste d’Alger, à deux pas.

La délégation française a fait semblant d’être impressionnée par « l’accueil chaleureux ». Les journalistes présents en 2003 et 2007 n’ont pas été dupes.

Hollande a aussi dérouté ses partisans en exprimant une empathie inattendue à l’égard des Français « qui ont une relation humaine, singulière, parfois douloureuse » avec l’Algérie, allusion claire à la population pied-noire, qui mit en valeur le pays : « Au-delà des oppositions et des fractures, au-delà même des blessures et des deuils, demeure la relation nouée par des Français d’Algérie – instituteurs, médecins, architectes, professeurs, artistes, commerçants, agriculteurs – avec le peuple algérien. »

Pour appuyer cet hommage surprenant, Hollande se permettait de citer Messali Hadj, fondateur du nationalisme algérien, longtemps excommunié par le FLN : « Il évoque, dans ses Mémoires, des Français d’Algérie avec qui ses rapports étaient caractérisés, dit-il, par “une réelle amitié et une véritable confiance”. Il dit la force de ces relations simples, quotidiennes, naturelles, dont le souvenir nous appartient. »

Les caciques du régime ont encore tiqué, plus tard, en entendant cet appel à l’Algérie, pour « ouvrir plus largement ses portes aux Français qui souhaitent se rendre sur [son] territoire, parce qu’ils y ont des souvenirs, des attaches familiales et affectives, des projets personnels ou professionnels à réaliser ». Un passage inouï : Hollande citait les harkis, sur le sol algérien, alors que le régime les considère toujours comme des traîtres…

Ces propos étonnants ont-ils pour autant satisfait les pieds-noirs, « qui gardent ce pays dans leur coeur » ?

Pas vraiment. Le message aurait été plus sincère, disent-ils, si Hollande avait aussi convié leurs grandes associations à ce voyage pourtant placé sous le signe de la lucidité et de la vérité. Cela n’a pas été le cas, contrairement à la tradition des précédents voyages présidentiels en Algérie.

« Nos dirigeants mentent au peuple et vous mentent à vous, les Français », me disait ma voisine de table lors du couscous officiel offert par le ministère de la Communication. Quadragénaire algérienne sans foulard, elle bouillait en écoutant le discours du ministre : « Que Hollande vienne baiser la babouche de Boutef, on s’en fout ! Les rappels incessants sur la guerre de libération, on s’en fout ! »

Cadre du privé, caustique comme le sont tant d’Algériens de la société civile, elle tenait à m’expliquer les « vraies attentes » de son pays : « Trouver du travail, un logement, un visa ! Que la France revienne pour nous aider, qu’elle facilite les visas ! On n’attend pas grand-chose de nos dirigeants, seulement qu’ils redistribuent un peu de la richesse nationale qu’ils pillent. Vous avez vu où on en est, cinquante ans après notre indépendance ? »

Par Frédéric Pons

Source : http://www.valeursactuelles.com/alg%C3%A9rie-hollande-d%C3%A9%C3%A7u20130103.html


François Le Normal (FLN) devant la plaque située au bas du Bd Camille Saint-Saëns, à Alger du militant indépendantiste  Maurice Audin dont une place  porte le nom à Alger  (comme  à Paris).  Jeune prof de maths  de 25 ans, marié père de trois enfants, Audin était  membre  du   Parti communiste algérien (PCA)  qui soutenait et aidait  les poseurs de bombes  qui tuèrent, mutilèrent  des dizaines de nos  compatriotes  civils, hommes, femmes et enfants pendant la bataille d’Alger  en 1957.   Arrêté à son domicile  par les paras à Alger le 11 juin de cette même année,  Maurice Audin ne fut jamais retrouvé