Arnaud Montebourg :
La France doit commencer par reconnaître sa responsabilité historique sur l'Algérie.

 
       
 
 

Arnaud Montebourg, député à l’Assemblée nationale française et président du Conseil général de Saône-et-Loire, est l’un des principaux dirigeants du Parti socialiste (PS). Dans cet entretien à TSA, il évoque notamment les relations algéro-françaises, la mémoire, l’immigration, et ses origines algériennes.

Des députés du FLN ont déposé un projet de loi criminalisant le colonialisme français. Quelle est votre réaction ?

C’est une sorte de retour en boomerang de la loi française du 23 février 2005. Le Parlement français avait adopté une loi qui obligeait les manuels d’histoire à célébrer les bienfaits de la présence de la France outre-mer, notamment en Afrique du Nord. Le mot « bienfaits » avait provoqué des réactions vives et justifiées. D’ailleurs à l’époque, la gauche française s’était violemment émue de cette loi qui avait été approuvée avec l’appui de la passivité du gouvernement.
Cette loi constituait une manière de réouvrir sur le plan symbolique la guerre d’Algérie. Aujourd’hui, nos homologues parlementaires algériens à travers ce projet de loi ont décidé eux aussi de réouvrir à leur tour la guerre d’Algérie. Finalement, nous nous retrouvons installés dans un conflit mémoriel sur le sens de la colonisation. Je me souviens que, dans les débats sur la loi du 23 février, certains députés de l’UMP refusaient même le terme de colonisation, considérant que c’était un abus de langage, alors qu’en réalité tout a été dit et constaté sur ce sujet. La France n’a aucune raison de ne pas regarder en face ce qu’elle a été et notamment les souffrances que la colonisation a représentées pour des millions d’hommes et de femmes.

Aimé Cesaire, grand poète martiniquais, dans son célèbre discours sur le colonialisme en 1955, avait écrit que la colonisation relevait « de l’appétit et de la force ». Louis-Philippe, Roi de France sous le règne duquel l’Algérie fut conquise, avait nommé une commission d’enquête sur la présence française en Algérie dès 1933, trois ans après le début de la colonisation. Voilà ce que le rapport de la commission révélait : « La manière dont l’occupation a traité les indigènes est en contradiction non seulement avec la justice mais avec la raison ». Et encore : « Nous avons commencé l’exercice de notre puissance par une exaction. Nous avons débordé la barbarie des barbares que nous venions civiliser et nous nous plaignons de ne pas avoir réussi avec eux .»

La République ne peut pas ignorer cela. Et nous pourrions continuer à nous faire la guerre mémorielle pendant encore un siècle. Mais j’ai, au contraire, envie de dire, moi qui ai à la fois une famille en Algerie qui fut en partie engagée dans l’ALN et qui suis également fils d’appelé du contingent français qui fit la guerre en Algérie, est-ce que nous allons nous faire la guerre encore longtemps ? Et à quoi cela sert ? Je pense que l’erreur de la loi de 2005, qui a d’ailleurs été réparée par le Parlement français, ne devrait pas nous conduire à cette escalade franco-algérienne qui finalement nous empêcherait de faire les grandes choses que notre destin nous commande de faire ensemble. Maintenant, il faut que nous assumions l’idée d’une explication définitive. On se dira tout, on ouvrira les archives. Nos historiens pourront travailler ensemble pour une construction commune de ce qu’est l’histoire de la colonisation. Parce que chacun peut aujourd’hui reconnaître que c’est par la force qu’est intervenue la France en Algérie et non par le consentement.

La France doit-elle se repentir ou s’excuser comme le demandent les Algériens ?

La France doit commencer par reconnaître sa responsabilité historique. C’est le minimum. Comme cela a été fait par d’autres ex-empires à l’égard d’autres territoires. Mais je n’emploierai pas le mot « repentance ». D’abord, parce qu’il y a une connotation quasi-religieuse qui n’appartient pas un acte d’Etat. En revanche, je pense qu’il est nécessaire d’assumer la part de responsabilité que la France a dans cette période comme elle l’a assumée pour la période de l’occupation lorsqu’elle a prêté main forte à l’occupant nazi. Comme J.F. Kennedy, j’ai envie de dire « mon pays a eu tort, mais c’est mon pays ».

Comment voyez-vous cette démarche de réconciliation entre les deux pays ?

Je pense qu’il serait temps d’ouvrir, pour pouvoir ensuite et enfin le refermer, le volet historique de la relation. Il faut commencer par cela. Il serait nécessaire que les deux pays mandatent deux collèges d’historiens pour travailler ensemble. Pour se mettre d’accord et écrire les choses pour clore la question mémorielle et historique. Personnellement, je n’accepte pas que dans une partie de l’opinion française se poursuive l’hommage à « l’Algérie française ». L’Histoire a tranché. Donc, ouvrons le grand livre de l’histoire et refermons-le ensemble. Cela prendrait un an, deux ans, voire plus. Peu importe. Mais au lieu de gaspiller 50 ans dans la conflictualité permanente comme nous venons de le faire, nous pourrions faire ce travail constructif pour l’avenir.

Entre l’Algérie et la France, la mémoire n’est pas le seul sujet de désaccord. D’autres dossiers empoisonnent la relation bilatérale. Comment jugez-vous la gestion du dossier algérien par le pouvoir actuel en France ?

Il est vrai que l’ouverture par le gouvernement français du débat sur l’identité nationale qui a ouvert les vannes d’une sorte de racisme quasi-officiel, presque ministériel, a provoqué beaucoup de réactions justifiées de crispation. Ce débat, qui a provoqué au sein de la gauche et d’une partie grande de l’opinion française des réactions de répugnance et de condamnation profonde, s’est transformé en débat sur l’islam en France alors que nous vivons pacifiquement les uns avec les autres depuis si longtemps dans le respect de nos cultes, de nos croyances et de nos identités qui ne font qu’une dans une République comme la nôtre. Pour le reste, il y a des questions qui sont posées par l’Algérie et par la France : la liste noire, le protectionnisme économique du côté algérien, les affaires judiciaires en cours, les essais nucléaires dans le Sahara algérien… Dans n’importe quelle relation d’Etat à Etat, il y a longtemps que ces dossiers auraient été soldé. C’est parce que nous transportons avec nous un passif sentimental qui n’a pas été réglé que ces dossiers ne trouvent pas de solution. Et puis il y a aussi quelques maladresses. Le fait que le ministre des Affaires étrangères, M. Kouchner, ait presque exigé le départ des dirigeants actuels d’Algérie qui ont été élus au suffrage universel est un élément supplémentaire d’éloignement entre nos deux pays. Ce que je regrette et déplore.

L’autre sujet de conflit concerne la libre circulation des personnes : restriction sur les visas, réduction de l’accès des Algériens aux titres de séjour… Pourquoi le gouvernement français cherche-t-il à modifier les accords de 1968 ?

Nous avons un pouvoir qui court après les symboles et les choix de l’extrême-droite. Les choix de l’extrême-droite sont connus : la question de l’Algérie française et la violence à l’égard de l’immigration. Le fait que Nicolas Sarkozy ait toujours marqué sa préférence pour l’immigration choisie, qui matérialise le tri sélectif des hommes en fonction de leur savoir-faire et encourage la fuite des cerveaux, est aussi une marque de mépris à l’égard de nos engagements internationaux en matière des droits de l’homme, accordant le droit à une vie familiale normale à tout être humain.

Vous avez des origines algériennes. Au-delà de la politique, quel est votre lien avec l’Algérie ?

Mon grand père est Algérien. Il s’appelait Khermiche Ould Cadi. Il est issu d’une famille de la plaine de Mascara, de Dombasle, exactement. Mon grand père s’est engagé dans sa jeunesse dans l’armée française avant de retourner travailler la terre de sa famille à Mascara pendant la guerre d’Algérie. Il a eu quatre enfants : Yamina, Leïla, Ali, et Nebia. Et ma mère est Leïla, née à Oran. Pendant la guerre d’Algérie, ses quatre enfants se sont installés en Saône-et-Loire, et ont tous épousé des morvandiaux. Je suis aujourd’hui député de ce beau département et président du Conseil général de Saône et Loire. Nous avons conservé des liens très forts avec l’Algérie.

Un projet de visite politique en Algérie ?

Je souhaiterais d’abord m’y rendre à titre personnel et privé pour voir ma famille sur place. Mais je souhaiterais aussi, si je le peux, œuvrer avec la modestie de mes moyens au dépassement des difficultés. L’Algérie a besoin de la France et la France a besoin de l’Algérie. Nous avons beaucoup de choses et de grandes choses à faire ensemble dans l’avenir. - source : http://www.tsa-algerie.com/diplomatie/1/arnaud-montebourg-la-france-n-a-aucune-raison-de-ne-pas_9603.html