| Accueil | | Théma | Retour pages Disparus | Retour inauguration Mur Disparus Perpignan |
 
 
 
L'EVENEMENT - Perpignan en cette fin de mois de novembre, je n'ai pu me résoudre aux appellations classiques de « congrès », « colloque », « inauguration », car c'était tout cela à la fois, indissolublement lié, où tous les éléments étaient imbriqués, formant quelque chose d'indescriptible. Je me suis arrêté au mot générique « d'événement ».

 
   
 
 

Pour tenter de faire passer, par le prisme réducteur du papier, l'atmosphère qui a régné dans et autour de Perpignan en cette fin de mois de novembre, je n'ai pu me résoudre aux appellations classiques de « congrès », « colloque », « inauguration », car c'était tout cela à la fois, indissolublement lié, où tous les éléments étaient imbriqués, formant quelque chose d'indescriptible. Je me suis arrêté au mot générique « d'événement ». Je ne jurerais pas qu'il n'y ait pas eu dans ce choix une part d'action du subconscient: un événement pour se dresser face aux « événements ». En faisant mémoire vivante de nos milliers de Disparus, nous avons volatilisé la notion de temps. Dans leur ascension au-dessus de leurs pauvres dépouilles martyrisées, ils nous ont entraînés à leur suite en un moment d'éternité.

   

Le demi-siècle de souffrance physique et morale n'était plus que poussière de planète morte. Dans le long voile lacté de la présence de ces « absents », nous nous sommes dressés face aux « assassins », devant le grand juge, celui qui sait tout, en leur disant seulement: « Pourquoi avez-vous fait cela ? Où est votre victoire ? Votre barbarie a été vaine ».
Dès la séance inaugurale de ces journées, pourtant réservée aux travaux coutumiers, en présence d'une foule déjà nombreuse convergeant vers ce Palais des congrès de Perpignan qui nous est devenu si familier, au sens fort du terme (et si nous avions eu le cœur à sourire, nous aurions dit que ce Palais des congrès est à nous ce que la gare de la même cité était à Dali: le centre du monde), le ton était donné. A la gravité des visages correspondait la concentration de l'environnement sur le seul sujet des Disparus et de l'exode. Un dépouillement qui a été admis par tous, qui a contribué à maintenir chacun dans l'essentiel. Ces journées étaient plus que solennelles. Elles étaient uniques, et tous les participants en ont eu conscience. Le samedi, journée consacrée au « colloque » proprement dit, fut d'une intensité inégalée. Pourtant, notre Cercle en avait déjà connu des « grandes heures » dans ses trente-quatre années d'existence! Mais à ce point, jamais. Encore une fois, à raison de la concentration totale du programme et des esprits.

 

Salles combles, est-il besoin de le préciser, où l'émotion montait des respirations retenues en un lourd silence, à couper au couteau, puis peu à peu libérées par des exclamations, des interjections, des salves libératrices d'applaudissements, pour évacuer le trop-plein de pression dans nos poitrines, et aussi, au prononcé de certains noms, quelques brèves mais vigoureuses « broncas ». Méritées.
Ce grand corps collectif que nous formions avait pris vie comme tel. Dans la pénombre opaque, mais tendu vers l'estrade où se trouvaient celles et ceux qui sont notre voix, et vers ce grand carré de l'écran où repassaient nos vies perdues, où les images des parfois nous faire encore plus mal que les images de souffrances...

           

Et je songeais à la phrase de Jean Brune qui termine son œuvre maîtresse, Cette Haine qui ressemble à l'Amour: « Nous marchons désespérément vers la lumière ». En ces journées de Perpignan, nous avons marché désespérément, mais résolument vers la lumière.
D'autres amis fraternels diront, en ces pages, les aspects saillants de ces interventions, de ces débats qui ne furent pas des ronronnements consensuels, de ces illustrations visuelles et sonores. Ils n'omettront pas, bien sûr, les moments où l'on put reprendre force et un peu de sérénité lors des différentes distinctions des nôtres qui ponctuèrent cette journée.
J'évoquerai le concert du soir, qui fut, non un « spectacle », mais un retour chez nous à travers la Légion, qui est peut-être « étrangère », mais pas pour nous, puisqu'elle reste le seul et unique rappel de ce que nous étions là-bas. Ah! que ce fut beau, cette salle immense, au garde-à-vous, face à la grande formation des Képis Blancs! Ah ! Ce « Chant des Africains », chanté à pleine voix, et exécuté dans sa version orchestrale intégrale, avec le rappel des thèmes du « Pan, pan, Larbi, les chacals sont par ici » et de « la casquette du Père Bugeaud »!... Ce fut du délire! « Depuis le Forum... » ai-je entendu non loin de moi... Mais point n'était besoin d'attendre la suite. C'est vrai, douloureusement vrai. Comment ne pas avouer que je n'étais plus dans cette vaste mais sombre salle, mais sous le soleil et le vent de mer balayant le plateau des Glières ? Nous ne sommes pas des saints, tant s'en faut, mais je crois que nous avons gagné, bessif, le don de bilocation...

 
 
 
       
 
 
 

Bien sûr, nous attendions dimanche. Nous étions là pour cela. Par milliers. Ce papier a pour but d'évoquer, à sa modeste mesure, l'atmosphère qui a régné au cours de ces journées.
Ce qui vient d'être fait tant bien que mal. Mais là, arrivé devant ce Mur qui ressemblait aux études que nous avions contemplées sur le papier mais qui leur échappait totalement, comme le réel échappe à toutes ses représentations, je crie « Grâce », je me sens incapable d'aligner les mots. Le « Mur » est là, nous l'avons vu. Nous l'avons pieusement effleuré de nos doigts. Nous avons pu enfin nous y recueillir, anonymes, derrière ces familles qui retrouvaient enfin les leurs. Honte à ceux qui osent en parler comme d'un mur de la honte! Misérables, ces plumitifs qui titrent sur un « mur de la discorde » ! Quel terrible mystère d'iniquité que de nous être battus pour continuer à être leurs concitoyens! Il est vain de discourir avec eux. Aux autorités, à qui ce rôle incombe, de protéger ce lieu de piété des mains sales des vandales. A nous désormais, pour accompagner notre marche vers la vérité, de parler à ceux qui sont désormais nommément présents, et de nous dire, de leur dire, encore une fois avec Jean Brune : « Aux heures de tristesse, il faut retremper ses forces dans l'évocation de ce qu'il y a de plus difficilement accessible a la crête des grands rêves ».

Pierre Dimech

Voir aussi le diaporama de l'inauguration du mur des disparus