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Histoire que l'Algérie veut gommer
     
 
 
     
 

Mémoire. À la veille de l’hommage national aux disparus d’Algérie, le souvenir de la tragédie de tous ceux qui ne sont jamais revenus.


Les accords signés à Évian entre la France et le FLN, le 19 mars 1962, mirent fin à la présence française en Algérie. Ils devaient aussi clore définitivement les huit années de guerre qui venaient d’ensanglanter le pays. Ils marquèrent en réalité le début d’une véritable campagne d’“épuration ethnique”, menée à l’initiative du FLN, alors que les troupes françaises quittaient le pays, en application des accords d’Évian.
Cette date du 19 mars 1962, que la gauche voudrait commémorer pour marquer la fin de la guerre d’Algérie, ouvrit en réalité des mois de terreur absolue (la date retenue par le gouvernement français pour la commémoration officielle, chaque année, est le 5 décembre). L’été et ce tragique automne 1962 furent marqués par une chasse méthodique aux pieds-noirs et aux musulmans restés fidèles à la France (notamment les harkis).

Souvent “oubliées” dans nos manuels scolaires, niées aussi en bloc par l’historiographie officielle algérienne, ces souffrances sont restées longtemps secrètes. C’est ce que rappelle Raphaël Delpard dans son récit des heures tragiques vécues par les derniers Français d’Algérie, ouvrage bienvenu au moment où le régime algérien demande à la France un acte officiel de repentance. Delpard revient sur la tristesse de devoir tout quitter – “la valise ou le cercueil” –, l’impunité dont bénéficièrent les tueurs du FLN, le désespoir devant l’indifférence de la métropole.
Le rapatriement se fit dans la précipitation. Les scènes d’adieu sur les ports d’Alger ou d’Oran sont dans la mémoire de chaque rapatrié : « Des jeunes gens sont pris de tremblements, des femmes éclatent en sanglots ou s’évanouissent à mesure que le bateau prend le large. Des hommes tournent ostensiblement le dos à la côte pour ne pas la voir disparaître. » Une partie de l’opinion publique rendait même les pieds-noirs responsables du déclenchement des violences. La “pensée officielle” parlait avec mépris des “colons”, évoquant des “exploiteurs”, alors que la moitié d’entre eux appartenait aux catégories les plus modestes : « L’ignorance fut bien le moteur du rejet. »
À Paris, des intellectuels collaborateurs du terrorisme antifrançais qualifièrent les attentats du FLN « d’effort de résistance à l’occupant ». Les rapatriés passèrent du statut de victimes à celui d’agresseurs, surtout après la création de l’OAS (Organisation de l’armée secrète), en février 1961. À Évian, ils furent totalement ignorés.
Delpard illustre cette injustice à travers l’histoire de cet hôtelier qui refusa une chambre à une femme et ses enfants, “simplement parce qu’ils étaient des rapatriés” : « Dans son propre pays, elle fut considérée moins bien qu’une étrangère… C’étaient pourtant deux communautés réunies sous le même drapeau, parlant la même langue, partageant le même amour pour la France et son histoire et cependant étrangères l’une à l’autre. »
Plus d’un million de personnes quittèrent l’Algérie. « Les autorités n’ont pris aucune disposition pour les accueillir », souligne aussi Éléonore Bakhdatzé, dans la Guerre d’Algérie, un album regroupant cent trente photos issues du fonds d’archives de l’AFP. Les familles allèrent d’hôtels en foyers d’hébergement. Quelques rares associations leur vinrent pourtant en aide. Dans leur exil, les rapatriés durent sans cesse prouver qu’ils étaient bien français : « Cette blessure administrative n’est pas la moindre de celles qu’ils eurent à subir. »
Ce livre est aussi un hommage à ceux dont la vie repartait à zéro : « Leur courage et leur esprit d’initiative firent merveille. » Ces pionniers qui avaient mis en valeur l’Algérie – travail encore nié par les autorités algériennes… – surent bonifier des régions déshéritées, notamment en Aquitaine et en Midi-Pyrénées : « Ils insufflèrent même un dynamisme supplémentaire à la vie économique du pays en pleines “trente glorieuses”. »

À lire
Les souffrances secrètes des Français d’Algérie, de Raphaël Delpard, Michel Lafon, 286 pages, 20 €.
La Guerre d’Algérie, d’Éléonore Bakh-datzé, Hoëbeke-AFP, 120 pages, 19,90 €.

L’hommage national. “Impossible d’oublier”
C’est à Perpignan, ce 25 novembre, que sera inauguré par Alain Marleix, secrétaire d’État aux Anciens combattants, le mémorial national des disparus d’Algérie, pour la période 1954-1963. Ce monument est le premier de la sorte en France. Il porte 2 619 noms, ceux de la liste des disparus communiquée par l’État. C’est Nicolas Sarkozy qui avait promis ce geste de la nation le 18 avril dernier, dans un courrier adressé aux associations de rapatriés : « Près d’un demi-siècle après les faits, il est grand temps que toute la lumière soit faite sur ces disparitions. Il est grand temps de connaî-tre la vérité historique des faits. Il est grand temps de rendre hommage à ces victimes et à leur famille. »
Plus de sept mille personnes étaient attendues sur place, notamment un millier de membres de familles de disparus, pieds-noirs, harkis ou militaires, et plus de trois cents présidents d’associations de Français d’Afrique du Nord. La cérémonie portera aussi la mémoire des dizaines de milliers de harkis et supplétifs musulmans de l’armée française, abandonnés et suppliciés par le FLN, morts sans sépulture, des combattants fidèles qui n’ont jamais pu être identifiés.
La veille de cette cérémonie, le samedi 24, le Cercle algérianiste organise à Perpignan un grand colloque présentant de nombreux films inédits, des témoignages de personnalités (historiens, témoins directs, journalistes, cinéastes), clôturé par un concert exceptionnel de la Musique de la Légion étrangère. Tous, au cours de cette journée, auront à cœur de raconter cette page douloureuse, volontairement oubliée pendant presque quarante ans par l’État français, ce qui en faisait le dernier vrai tabou de l’histoire de la guerre d’Algérie. À cette occasion, le Cercle algérianiste présidé par Thierry Rolando édite un document passionnant, “Français d’Algérie disparus”, reprenant des dizaines de témoignages de familles sans nouvelles de proches depuis cinquante ans. L’ouvrage s’ouvre sur cette citation de Jean Brune : « La seule défaite irréparable c’est l’oubli. »
Frédéric Pons

Contact :
Cercle algérianiste national, BP 213, 11102 Narbonne Cedex.
Tél. : 04.68.32.70.07. Courriel : secretariat@cerclealgerianiste.asso.fr.

IN VALEURS ACTUELLES By Élise Deloraine, le 23-11-2007