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POUR UN VRAI REGARD SUR LE FILM "INDIGENES"
 
 
     
   
 
Un film de Rachid Bouchareb
Avec Jamel Debbouze, Roschdy Zem, Sami Bouajila, Samy Nacéri, Bernard Blancan
Sortie 27 septembre 2006

 
 
INDIGENES vient de sortir en DVD. Programmé tôt ou tard sur nos chaînes, il ne manquera pas d'accompagner demain plus d'un cours d'Histoire... Il est certain que dès sa sortie en salle, ce film très annoncé, a remporté un vif succès. Si incontestable que Rachid BOUCHARED, son réalisateur, a fait aussitôt savoir qu'il lui donnerait une suite. "INDIGENES", certes, est assurément remarquable pour ses qualités techniques, tout autant que par le jeu émouvant et vrai de ses principaux acteurs.
Cet hommage appuyé aux combattants musulmans de l'Armée d'Afrique est entièrement justifié, les pensions des anciens combattants musulmans de cette époque n'étant toujours pas alignées sur celles de leurs camarades en France ; et il est grand temps de faire vite ! Mais le message de ce film s'adresse également aux jeunes de l'immigration en France, et c'est alors que son caractère ambigu ne saurait échapper.
   
 

Le courage des tirailleurs venus d'Afrique du Nord, et l'impact de leurs victoires ouvre à bon droit un véritable espace de fierté aux enfants de l'immigration en attente de considération. Les acteurs nous le disent : "Ce film valorise notre place dans la société française." "Un libérateur, c'est mieux qu'un balayeur !" Et Bouchared de conclure : "Ce film, c'est notre mémoire familiale, et je devais le faire !"
Après le désastre de 1940, l'héroïsme des combattants de l'Armée d'Afrique a rétabli la France dans sa dignité, et lui a fait retrouver sa place dans la victoire. Mais pourquoi avoir gommé la participation massive des "pieds­noirs" et des français de métropole ? Pratiquement, ils sont absents des assauts. Bouchared nous dit pourtant : "Pendant plus d'un an, nous avons épluché les documents de l'armée et rencontré les vétérans." Toutes les archives rapportent que 12.000 combattants musulmans ont fait le sacrifice suprême pour la libération de la France et que
14.000 pieds-noirs aussi ont trouvé la mort. Le taux de mobilisation des européens d'AFN était de 16%. Celui des musulmans,plus nombreux, étant d'environ 2%. Quel bel exemple fraternité on aurait pu réaliser aujourd'hui utilement avec un tel sujet !
Les combats et les assauts sont reconstitués avec un grand réalisme. Le courage et l'idéal patriotique des tirailleurs nous empoignent, en particulier lorsqu'ils plantent le drapeau tricolore au sommet du mont Majo. Exploit éclatant et historique ! Mais les cadres, officiers et sous-officiers n'en sont pas ! Tous les combattants ne partagent-ils pas ce même droit à la reconnaissance ? Chacun sait bien qu'il n'y a pas d'assauts si les chefs n'y sont pas.
Une seule fois, comme nous l'apprend le Livre d'Or de la 3ème DIA, les tirailleurs de cette division sont partis à l'assaut sans leurs officiers. Il s'est agi de la 10ème compagnie du 7ème RTA, lors de la prise du Mona Casale, peu avant la conquête du Belvédère. (où le colonel du 4ème Roux commandant le régiment de tirailleurs tunisiens trouvera la mort au milieu de ses tirailleurs) Revenons au Mona Casale. La compagnie du 7ème RTA s'élance, officiers en tête, et coiffe l'objectif, quand une contre attaque allemande la repousse sur ses bases. Tous les officiers ont été tués ou blessés. Harangués alors par le commandant du bataillon, les tirailleurs repartent à l'assaut derrière deux sergents, et emportent à nouveau le sommet. Las ! La compagnie se voit encore repoussée sur sa base. Alors une troisième fois, les tirailleurs remontent, mais cette fois-ci, ils sont seuls. Ils conquièrent l'objectif, le conservent, et n'ayant plus de munitions, ils le défendent à coups de pierres. Un à un ces héros seront félicités par le général de Montsabert, et cités à l'ordre de l'armée.
Combien de capitaines, de lieutenants et de sergent-chefs, sont tombés à la tête de leurs tirailleurs, en Italie comme en France ! Ouvrons le Livre d'Or. Voici les capitaines du 4ème RTT, morts dans les combats : les capitaines TIXIER, JEAN, CARRE, CHATILLON, IZAAC, LARROQUE, TIERY, GOIFFON, BALUZE, CAMUS, CATTEANO, MEYER, et ROUVIN. Quel exemple !
Dans cette fiction, aucune trace, non plus, de l'extraordinaire fraternité qui unissait troupes et cadres au sein de l'Armée d'Afrique. Sans doute est-elle difficile à imaginer aujourd'hui. Une fiction, c'est l'expression intime de la conscience de l'auteur… Pour ma part, je n'ai connu que les dernières années de l'Armée d'Afrique. J'ai commandé au combat des tirailleurs et des spahis pendant la guerre d'Algérie. Au-delà de cette fraternité, je les ai vus plusieurs fois, s'exposer eux-mêmes directement s'ils voyaient leur lieutenant en danger. Souvent protégé, sinon veillé par eux, il me reste de ces moments de ma vie de jeune officier le souvenir d'une connivence et d'un attachement exceptionnels.
Ce film, au contraire, nous montre des officiers maladroits, racistes, peu soucieux de leurs hommes et tout compte fait, assez médiocres. Les tirailleurs, en revanche, sont très humains et fidèles, bien que traités sans égards .On nous donne d'ailleurs à voir leurs assauts héroïques et sanglants, en alternance avec l'image de leur général, assis loin à l'arrière, et qui observe confortablement les hécatombes aux jumelles…
Avant d'aborder l'hiver et les Vosges, divers incidents se succèdent qui nous plongent dans le racisme quotidien au sein du régiment. La charge, il est vrai, n'est pas toujours sans fondement. Qu'il s'agisse d'avancement, de soldes ou de récompenses… mais à trop forcer le trait, on est dans l'imaginaire. C'est l'épisode des tomates, refusées dit-on à des Noirs, ou ce théâtre aux armées venant singer un "pas de deux" sur air de Coppélia. Nos fiers tirailleurs quittent ce grotesque tableau et manifestent. " Nous combattons pour la Liberté, et contre le Nazisme". Et non pour libérer la Mère Patrie, comme au départ d'Algérie (évolution). Un autre tirailleur évoque le meurtre de ses parents autrefois par l'armée française : "c'était la pacification !". Une expression qui fait écho au débat d'aujourd'hui …
Laissons ici la relation du film ; c'est l'ambivalence de son message qui fait réfléchir. Tantôt c'est l'enthousiasme et le patriotisme, ils chantent comme jamais "La Marseillaise" ou "Les Africains". Puis c'est la dureté des officiers insensibles aux souffrances des hommes, et le racisme. Où veut-on en venir? Ecoutons les acteurs : "Notre rôle, c'est de réveiller les consciences", "Les spectateurs ont vraiment envie de parler politique", "Aujourd'hui, grâce à Indigènes, on assiste à une vraie prise de conscience de la part des gamins et des profs…"
"On nous dit vous faites partie de ce pays, et en même temps, on nous jette !" Est-ce alors désir d'intégration ? Mais Rachid Bouchared, lui-même, présente son film pour les oscars à Los Angeles sous les couleurs de l'Algérie. Sait-on ici que ce sont les chaînes Antenne 2, FR 3 et Canal +, des aides nationales et régionales, des aides sur recettes et sur effets spéciaux qui ont assuré à 90% le financement du film. Passablement français, quand même. On ne les "jette" pas tellement…
Sait-on encore que ce film a bénéficié d'un lancement très spécial ? Dans cinquante villes choisies, les professeurs d'histoire et de géographie, d'éducation civique ou de français, et les documentalistes des collèges et des lycées, ont été invités en exclusivité. Il leur était aussi indiqué comment se procurer un dossier gratuit d'accompagnement et le matériel pédagogique pour la classe.
Un document de huit pages couleurs était remis aux invités. Il présentait le scénario, les acteurs, la bataille et les colonies "conquises parfois au prix de violences inouïes", la colonne Voulet-Chanoine "dévastatrice et massacrante", le travail forcé, les tirailleurs "souvent encadrés par des officiers français ou des colons", le sort des soldats indigènes après la guerre : Le massacre de Thiaroye au Sénégal, "les officiers français ouvrant le feu à la mitraillette lourde" et …la répression à Sétif le 8 mai 1945. "Le drapeau algérien levé par un scout musulman, tandis que du haut de leur balcon, les colons tirent sur le cortège…" Suivait alors un résumé du film etc… Qui donc agit derrière cette opération d'information singulière ?
Rachid Bouchared le déclare à la Presse :"Le film devait se terminer par le massacre de Sétif en 1945, mais j'ai préféré garder cet événement dramatique pour un deuxième volet. Sétif se comprend mieux dans le contexte de la guerre d'Algérie…L'action débutera lors des émeutes…" Aujourd'hui, on voit bien l'impact des ces fictions, vérités recrées, choisies et travaillées : trouble des spectateurs. Qui cherche ainsi à nous diviser ? Et pour demain, quel tissus ensemble, quelle communauté affective ?
INDIGENES montre en tout cas combien il est urgent de se parler. François MEYER