Cinquantenaire de l’exode des Français d’Algérie la messe du 12 mai 2012 dans la cathédrale de la Major ou basilique de Sainte-Marie-Majeure (la Major) qui évoque l'Orient par son style romano-byzantin, est la Cathédrale de Marseille, l’homélie et les texte des prêtes officiants, Mgr Jean-Pierre ELLUL,Mgr Jean-Marc Aveline, et Père Jean-Claude Duhoux Curé d’Endoume.

 
 
       
     

Mgr Jean-Pierre ELLUL Curé du Sacré-Coeur


Chers Frères et Sœurs,

Chers amis,

Nous voici rassemblés très nombreux, sous les voûtes de la cathédrale Notre-Dame de la Major, pour cette messe du souvenir où nous venons rendre grâce. Laissez-moi, remercier Mgr Georges Pontier, notre archevêque, qui, lorsque nous lui avons demandé la possibilité de célébrer en une messe solennelle, le 50èmeanniversaire de notre retour d’Algérie, a immédiatement accepté d’ouvrir sa cathédrale. Et Mgr Jean-Marc Aveline, nous a redit au début de cette Eucharistie, son attachement dans la prière et ses sentiments d’amitié qui nous touchent beaucoup.

 
 
     
 

Que de souvenirs reviennent à notre mémoire !

En allant honorer nos défunts tout à l’heure et en prenant place dans les bateaux pour aller au large, -comme pour nous rapprocher un plus de l’Algérie notre terre de naissance- nous étions accompagné des statues de Notre-Dame d’Afrique, de Notre-Dame de Santa Cruz et de St Augustin d’Hippone.

Qui ne se souvient de notre arrivée à Marseille ? Nous allions descendre du bateau, avec l’angoisse au cœur ; nous avions pris la décision de partir, devant les derniers attentats et les crimes qui se perpétraient ; nous avions tout perdu, nos yeux voilés de larmes voyaient les côtes de l’Algérie s’estomper peu à peu à nos regards et nos souvenirs, nos maisons, nos morts restés là-bas, sans que l’on puisse aller s’incliner une dernière fois sur leurs tombes et l’incertitude surtout, la peur et tant de questions pour l’avenir, car la plupart d’entre-nous ne savaient où aller, restaient sans réponse. Sans compter la haine de certains et le racisme latent que déclenchait notre accent.

C’est vers Notre-Dame de la Garde que nous nous sommes tournés, pour lui confier notre avenir et prier pour nos familles.

Notre avenir ! Quel serait notre avenir ? Un bien grand mot, rempli d’amertume, de questionnements, de haine, de peur et d’interrogations. Trop angoissés, avec ce sentiment d’injustice qui tenaillait notre cœur, le souvenir des attentats, des enlèvements, des derniers crimes commis au nom de l’Indépendance future. Nous n’avions pas de cellules psychologiques pour pouvoir parler et nous écouter. Mais nous avions la foi et les paroles de l’Evangile du Christ, « Je suis avec vous, tous les jours, jusqu’à la fin des temps », soutenaient dans l’espérance, notre marche vers une vie toute autre.

Brisés, écrasés, désemparés, nous n’avons pas vu tout ce que l’Eglise de Marseille, avec 17 autres Associations, avaient organisé pour soulager nos peines, nous tendre la main, nous montrer l’amour du Christ et nous aider dans nos premières démarches administratives.

450 000 rapatriés, arrivent ici, de mai à septembre, sur les plus de 665 000 qui arrivent en France. Oui, nous serons 200 000 pour le seul mois de juin, reçus en 40 centres d’accueil.

Combien de catholiques, combien de chrétiens, d’hommes et femmes de bonne volonté, se sont mis à notre disposition, à notre service, pour conduire nos premiers pas à Marseille et essayer, dans l’urgence, de nous procurer le nécessaire, que ce soit sur le port, à la Gare St Charles où à Marignane ? Remercions-les, dans la prière en ce jour anniversaire et prions pour eux, car la plupart sont retournés vers le Seigneur.

Depuis plus d’un an, dès les premiers jours de 1961, Mgr Marc Lallier demandait aux chrétiens de Marseille, de mettre des chambres ou des appartements à notre disposition, car il savait que nous allions arriver sans rien, n’emportant qu’un maigre bagage. Il écrit le 19 mai 1962 : « Vous rendriez, à nos frères d’Algérie, un très grand service, en les accueillant chez vous 48 heures, c’est-à-dire le temps de leur transit. Si vous disposiez d’une ou plusieurs chambres, voulez-vous prévenir dès aujourd’hui le clergé de votre paroisse ? Vous le devinez bien : dans les circonstances actuelles, un seul geste de charité peut atténuer la souffrance de nos frères, et les aider à reprendre espoir. Je ne doute pas de votre bon cœur. Je vous rappelle la parole du Christ Jésus : « Celui qui reçoit un des miens, me reçoit ».

Dès le lundi 21 mai, plus d’un millier de chambres étaient mises à la disposition du Secours Catholique.

Les Cardinaux et Archevêques de France, publiaient un communiqué, dont j’extrais les phrases suivantes : « A vous qui revenez en Métropole, pour un temps, ou définitivement, nous déclarons que l’Eglise n’est qu’un seul et même cœur, pour vous accueillir. Pour nous, vous êtes des frères… et des frères dans l’épreuve. Prêtres et religieuses, institutions d’Eglise, sont dès maintenant, à votre service pour vous aider à résoudre les problèmes qui vous accablent »… Enfin, après toutes ces années de guerre et de dénigrement, une parole de commisération.

Et dans notre diocèse, Mgr Marc Lallier, le Pasteur Jacques Marchand, le grand rabbin Salzer, déclaraient : « Au moment où Marseille se trouve en face de la dure réalité de ces avions et de ces bateaux, chargés de nos frères d’Algérie qui viennent vers nous, les autorités religieuses de notre ville, tiennent à affirmer leur unité de vues dans le devoir présent. Le rôle de Marseille est d’offrir à nos frères douloureusement éprouvés, le premier visage de l’accueil. C’est une responsabilité que nous devons assumer de tout cœur. Ce qui prime à l’heure actuelle, c’est un effort de compréhension auquel tout homme et à plus forte raison, tous ceux qui se réclament d’un Dieu d’amour, ne peuvent se dérober ».

Si certains ont profité de notre détresse, d’autres ont même pensé nous renvoyer sans ménagement. « Que les rapatriés quittent Marseille en vitesse, disait le maire de l’époque, qu’ils aillent se réadapter ailleurs et tout ira pour le mieux »… Puis la municipalité mis à notre disposition des structures accueil.

Le diocèse de Marseille à agi comme le Christ nous le demande ce jour, en nous laissant ce commandement nouveau : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés ».

Marseille, rappelons-le, a subi le choc le plus violent de cette décolonisation et le climat idéologique de cette époque faisait de nous, Pieds-Noirs, de « riches colons racistes », ayant fait suer le burnous »… ce que nous n’étions pas, nous le savons bien, pour 95% d’entre-nous. Oui, cet été 1962, reste l’été de tous les malentendus et de toutes les incompréhensions, entre ceux qui arrivent et ceux qui reçoivent », écrit Jean-Jacques Jordi.

Nous aurions pu nous indigner, mais pour nous, il n’y avait pas de place à l’indignation tant nous étions psychiquement éprouvés : pour nous, c’était je viens de le dire, le dénigrement, le mensonge, les quolibets. Mais nous avons tenu bon et nous nous sommes relevés peu à peu, comme nous l’avons toujours fait, avec force, courage et ténacité.

Des paroissiens du Sacré-Cœur, m’expliquaient encore la semaine dernière, toute la peine et le désarroi qui les envahissaient en nous voyant revenir d’Algérie, en découvrant sur le port, assis sur un banc, ceux qui attendaient et qui attendaient encore, sans avoir de point de chute, et l’énergie qu’ils avaient déployée, pour orienter certaines familles qui ne savaient pas où aller, surtout les plus âgés, qui revenaient sans espoir de retour… et que nous avons tous vus, à la descente du bateau, les larmes aux yeux, les yeux hagards et la peine au cœur.

Combien sont retournés vers le Seigneur, choqués psychiquement et se laissant mourir de tristesse, ayant tout perdu après une vie de dur labeur. C’étaient des gens simples, c’étaient des gens pauvres. Nous pensons à eux en cette Eucharistie et nous prions pour eux.

Puis vient le temps, et il le fallait bien, où nous nous sommes insérés dans les paroisses qui nous accueillaient et le diocèse proposait des paroisses pour que les prêtres qui revenaient d’Algérie, offrant le service de leur ministère sacerdotal, puisent y trouver réconfort et amitié. Tout ne fut pas facile évidemment. Nos familles se sont établies, les enfants ont grandi, la vie a continué et nous sommes là cet après-midi, rendant grâces pour tout ce que le Seigneur nous a permis de vivre et de reconstruire ici.

Comment oublier ce que nous avions vécu en Algérie ?

Encore de nos jours, ne revoyez-vous pas, comme en un flash, un fait de vie, un souvenir heureux de nos jeunesses insouciantes, avec ces senteurs d’eucalyptus et la forte chaleur, le parler haut et fort, les dimanches en paroisse ; nos grands-parents et nos parents, autour de la table familiale et l’été, en bras de chemise, faisant un tour des plages au plus fort de l’été, mais aussi à la compagne, la vie en famille, et les plus vieux, comme témoins de ce qu’ils avaient construit, accompagné, relevé, vécu … pensant que nous en serions les héritiers, fiers de nous passer le témoin d’une vie toute donnée.

Ils ont fait l’Algérie Française, ils étaient fiers de notre pays, de notre culture, ils étaient chez eux, car ils y étaient nés et vivaient sur cette terre que nous aimons tant, terre qui fut chrétienne dès la prédication de l’Evangile. Ces communautés chrétiennes primitives, vivantes, réunies autour de plus de 600 évêques au Vème siècle. Tertullien, Cyprien, Augustin, une église florissante en dépit des persécutions romaines ou du schisme donatiste, écoutant la prédication des témoins oculaires de la résurrection du Christ, peuple mêlé et bigarré, aux origines diverses, mais que rassemblait un même amour du Christ de la Vierge Marie et de l’Eglise. N’est-ce pas à Carthage qu’a commencé la première traduction en latin de la Bible ? … chrétienté qui au 7èmesiècle, commencera à s’étioler sous la conquête arabe, la laissant affaiblie, exsangue et brutalement privée de ses pasteurs, où seule la conversion pouvait laisser la vie sauve, cette d’Afrique du Nord, qui retrouvera l’Evangile du Christ au 19ème siècle et dont les chrétiens et les prêtres qui y vivent actuellement, sont porteurs de son message d’amour et continuent d’en être les témoins.

Et puis ce fut 10 ans de guerre, avec son cortège de violences, d’incompréhensions, d’exactions, d’attentats, de meurtres, de tortures, d’enlèvements, de disparitions.

Le rappel de ces évènements nous rassemble désormais dans la basilique du Sacré-Cœur trois fois par an : en novembre, pour une messe de requiem pour tous les défunts d’Algérie et d’Afrique du Nord ; le 26 mars, pour les fusillés de la rue d’Isly à Alger et tous les 5 juillet, pour ceux qui ce jour-là, en 1962, furent lâchement assassinés, égorgés ou qui disparurent, enlevés à leurs familles et dont on retrouvera jamais les corps.

Que de haine, Seigneur, que de haine et d’exactions, que nous devons transformer en pardon… que de souffrances, que nous devons transformer en miséricorde, même s’il nous en coûte de pardonner.

Jésus nous demande de demeurer dans son amour et de garder fidèlement les commandements de son Père, afin que sa joie soit en nous.

« Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. »

Comment ne pas nous souvenir de tous ceux qui nous ont enseigné ces commandements d’amour, transmis l’Evangile, fait de nous, ces témoins intrépides de la foi en Christ ressuscité.

Prêtres, religieuses et religieux, catéchistes de nos paroisses d’Algérie, qui sans compter, ont donné de leur temps, pour faire de nous ce que nous sommes : des témoins fidèles, que rien ne peut ébranler !

« De toutes les nations, faites des disciples, nous dit Jésus avant de remontant au ciel, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ». Pour eux, cela ne leur était pas permis, car ils ne pouvaient le proposer à ceux qui n’étaient pas chrétiens…

Et pourtant, nous avons vécu comme nous le pouvions, étroitement liés, pour la plupart d’entre-nous avec nos amis juifs et musulmans, surtout avant la guerre d’Indépendance, dans l’amitié et la reconnaissance de l’autre.

Notre culture, issue de nos diverses appartenances, Italiens, Maltais, Espagnols et autres, est notre fierté et nous devons la partager, la transmettre aux plus jeunes, comme nous le ferons tout à l’heure sur le parvis de la cathédrale, mais dans le respect et la diversité.

Chers frères et sœurs, je voudrais conclure à présent. Notre grand désir, c’est celui d’être ensemble, d’être unis, pour que désormais tous nos actes soient empreints de paix et d’amitié et que chaque fois que nous nous retrouverons, que ce soit au pèlerinage annuel de l’Ascension à Nîmes, dans les différentes paroisses dans lesquelles nos célébrations du souvenir auront lieu, et plus particulièrement le vendredi 29 juin prochain, où une plaque de bronze sera posée sur le monument de l’Hélice, érigé sur la Corniche, rappelant notre retour d’Algérie, ce soit la paix et l’amitié qui prédominent.

Que cette Eucharistie, célébrée à la mémoire de tous nos chers disparus, et de tous ceux qui ont fait l’Algérie, nous rassemble dans la mansuétude et le pardon. Délaissons la colère et la haine, mettons à la place l’amour et le pardon. Nous célébrerons dans quelques mois l’Année de la Foi. « Porta Fidei », rappel de l’ouverture du Concile de Vatican II et 30ème anniversaire de la parution du Catéchisme de l’Eglise Catholique.

Je le disais en novembre 2011, au cours de la célébration des défunts d’Afrique du Nord : « Bien souvent nos souvenirs sont « embellis » et les vérifications de l’Histoire ne sont pas toujours conformes à ce que nous pensons intimement. Ce sera pour nous tous, le temps de la métanoïa, c'est-à-dire du retournement intérieur, du respect de ce que nous avons vécu. Nous devons témoigner, en parler et plus particulièrement avec les plus jeunes ; ils attendent de nous, qu’on évoque les souvenirs de là-bas, pour continuer d’être ici, en France, à leur tour, ceux qui n’oublieront pas ce que nous avons vécu.

Le Christ à vaincu la souffrance, le péché et la mort. Il est ressuscité et il vient vous nous pour essuyer toutes les larmes de nos yeux. Et il nous dit : « Courage, j’ai vaincu le monde ... Tout ce que nous demanderez au Père en mon nom, il vous l’accordera. Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les uns les autres. »

Sous le regard aimant de la Vierge Marie, soyons ses disciples, forts dans la foi et l’espérance, qui n’ont jamais quitté nos cœurs. Essayons d’être des témoins de l’Amour. Amen.

 
   

Mgr Jean-Marc Aveline Vicaire général de Marseille


Chers amis,

Au début de cette célébration, je m’adresse à vous à un double titre. D’abord, en tant que vicaire général, je suis heureux de vous transmettre les salutations chaleureuses et attentionnées de Mgr Georges Pontier, archevêque de Marseille. L’Église catholique qui est à Marseille tient à saluer aujourd’hui le courage et le témoignage de foi des chrétiens originaires d’Algérie.

 
   

Ensuite, en tant que fils de l’Algérie, né à Sidi-Bel-Abbès sous un Tessala sans doute aussi « couronné de chèvres » que le Garlaban de Marcel Pagnol, je désire vous livrer un bref témoignage. Ma famille, qui était, comme beaucoup des vôtres, de condition modeste, était arrivée en Oranie au cours du XIXesiècle, en provenance de l’Andalousie, de l’Alsace ou de la Vendée, cherchant du travail sur ces terres désormais contrôlées par la France, à une époque où les flux migratoires en Méditerranée allaient plutôt du nord vers le sud.

Au moment où je suis né, mes parents habitaient Colomb-Béchar, une oasis aux portes du Sahara, où mon père avait été affecté. Quelques temps après, il fut muté à Constantine, d’où nous vîmes monter la violence, sans pourtant imaginer qu’elle nous entraînerait à jamais loin de cette terre où étaient et demeurent nos racines, puisque quatre générations de ma famille y ont trouvé sinon la richesse du moins le bonheur d’une vie simple et unie, digne et laborieuse. Il y eut des peurs, il y eut des drames, il y eut des incompréhensions.

Le 7 novembre 1962, mes parents et moi avons quitté l’Algérie. Ce fut le premier grand voyage de ma vie, un voyage sans billet retour… Un voyage au bout duquel les miens, comme bien d’autres parmi vous ce soir, n’entrevoyaient que la peur de l’inconnu, l’angoisse de la dispersion, l’incertitude de l’avenir. Il est important, comme nous le faisons aujourd’hui, d’entretenir le souvenir de ce drame, de ne pas oublier ! Il est important de transmettre à ceux qui viennent après nous l’essentiel de ce que nous avons vécu, non pour qu’ils soient écrasés par ce passé, mais pour que cette mémoire les aide à bâtir l’avenir.

Certes, en cet automne 1962, j’étais moi-même bien trop jeune pour mesurer l’ampleur des douleurs du départ et des vexations à l’arrivée, trop jeune pour comprendre la profondeur des blessures et l’abîme des incompréhensions qui ont dû habiter mes parents et tous ceux qui comme eux, simples ouvriers, n’avaient vu venir ni la colère de ceux qui les expulsaient, ni le mépris de ceux qui ne les attendaient pas. La montagne du Tessala vers laquelle, toutes ethnies confondues, nous savions regarder pour prévoir le temps qu’il ferait demain, avait trop l’habitude d’annoncer des jours ensoleillés pour qu’on ait pu comprendre à temps la sombre gravité des « événements » qui se préparaient !

En relisant aujourd’hui, cinquante ans plus tard, ces années difficiles, je puis témoigner que ce n’est qu’en tissant peu à peu de nouvelles solidarités, en s’engageant au service des plus pauvres, en ne renonçant jamais ni au goût de vivre ni à la joie d’aimer qui nous caractérisent, nous peuple pieds-noirs, que l’on peut transformer cette blessure en ressource, cet obstacle en élan, cet exode en espérance. Notre petit peuple, balloté et meurtri par l’histoire, a reçu de Dieu, j’en suis convaincu, une mission spirituelle : celle de témoigner, envers et contre tout, que rien, ni l’exode ni la douleur, ni le mépris ni la haine, rien ne peut détruire la joie de la foi et la force de l’amour, révélées en Jésus Christ.

Que la Vierge Marie, celle que nous avons priée à Notre-Dame-d’Afrique ou à Santa-Cruz, celle que nous prions aujourd’hui à Notre-Dame-de-la-Garde, mette en nos cœurs la paix et nous aide à accomplir, dans l’espérance, cette belle mission spirituelle.

Amen !

 
   

Père Jean-Claude Duhoux Curé d’Endoume


Nous avons connu l’Algérie heureuse avant la trahison, l’abandon, l’arrachement et l’exode dont nous faisons mémoire, après 50 ans d’un départ toujours douloureux. Nous ne pouvons pas oublier.

Mais notre mémoire doit aller plus avant. Nous devons nous souvenir qu’avant l’invasion arabe, en 647, l’Afrique du Nord était habitée par une population largement romanisée.

 
   

La région était devenue, dès le 2° siècle, une terre profondément chrétienne, avec ses nombreux diocèses, mais qui connut aussi, comme à Rome ses persécutions et ses martyrs, parmi eux : saintes Perpétue, Félicité et leurs compagnons mis à mort dans l’amphithéâtre de Carthage, sainte Marcienne, jetée aux bêtes, saint Cyprien, évêque de Carthage, décapité dans sa ville, les saints Jacques et Marien décapités également à Constantine, dans les gorges du Rhumel, au rocher dit des martyrs.

Cette jeune Eglise a donné à l’Eglise Universelle sainte Monique et son fils Augustin, Père et Docteur de l’Eglise. Son œuvre littéraire est immense, son activité prodigieuse. Il insiste sur la grâce, la charité, le Christ total assumant toute l’humanité. On a de lui : « Les Confessions », plus de 1000 sermons, des ouvrages de controverse, de nombreux commentaires de l’Ecriture, des psaumes, 226 lettres, « La Cité de Dieu ». Ce génie de l’Afrique chrétienne, ce Berbère est né à Souk-Ahras, mort à Hippone, assiégée par les Vandales, en 430. Son tombeau se trouve à Pavie, en Italie. Mais en 1842, le saint évêque de Marseille, Eugène de Mazenod fit le voyage à Bône pour le transfert de la relique du bras droit de saint Augustin, en la basilique d’Hippone.

Trois papes africains ont été successeurs de saint Pierre à Rome, dont saint Gélase I. Je ne peux oublier de citer saint Eugène, le premier patron de l’église d’Endoume, mort en 505 près d’Albi. Sur les 24 ans que dura son épiscopat à Carthage, il en passa 13 en exil, tant les rois vandales favorisaient l’arianisme et persécutaient les catholiques.

Ce n’est pas uniquement un glorieux passé, mais peut-être, une espérance pour l’avenir. Je crois que, chrétiens originaires d’Afrique du Nord, nous sommes, en quelques sortes, les descendants spirituels de cette chrétienté là.

Au 7° siècle, le déferlement des musulmans d’Orient a imposé par la force l’islamisation de tout le Maghreb. Les communautés chrétiennes furent décimées. Tout a été détruit. L’Afrique du Nord passa sous le joug ottoman. La piraterie en méditerranée et le commerce d’esclaves se développèrent. Le mot « Algérie » n’apparaît qu’en 1831 dans un document destiné au roi Charles X.

En 1848, Mgr Pavy, évêque d’Alger, écrivit à l’évêque de Marseille, connu pour son zèle missionnaire, Mgr de Mazenod pour lui demander des Pères Oblats. La réponse fut : « l’Algérie nous appelle… ».

Ainsi le projet de l’évangélisation des musulmans se posait.

Le cardinal Lavigerie, pour y répondre fonda les Pères Blancs et les sœurs missionnaires de Notre Dame d’Afrique pour être au plus près des populations à évangéliser. Mais les différents gouvernements de la France s’y opposèrent, au nom de la laïcité, déjà, tout en construisant des mosquées dans les villages les plus reculés.

Depuis Tamanrasset, en 1912, le bienheureux Charles de Foucauld, n’ayant comme seule richesse en son ermitage que l’humble présence du Christ dans l’hostie, écrivait à sa cousine Marie de Bondy, qu’il appelait « sa chère mère », parce qu’elle avait été l’artisan de sa conversion, une lettre, aux accents prophétiques :

« Ma si chère mère, priez pour tous les musulmans de notre empire Nord-Ouest africain, maintenant si vaste. L’heure présente est grave pour leurs âmes, comme pour la France… On s’est si peu occupé du salut des âmes des musulmans…Si les chrétiens de France ne comprennent pas qu’il est de leur devoir d’évangéliser leurs colonies, c’est une faute dont ils rendront compte et ce sera la cause de la perte d’une foule d’âmes qui auraient pu être sauvées. Si la France n’administre pas mieux les indigènes de sa colonie qu’elle ne l’a fait, elle la perdra et ce sera un recul de ces peuples vers la barbarie avec perte d’espoir de christianisation pour longtemps… »

En quittant le grand séminaire d’Alger pour rentrer en Métropole, je garde en mémoire la large et longue banderole blanche, barrant toute la façade de l’église de Kouba, avec cette phrase écrite en lettre rouge sang : « Vous êtes vaincus, votre Dieu n’est pas le bon ! ». Dernière image d’un départ définitif.. Mais Dieu ne nous appartient pas, c’est nous qui lui appartenons. En son Fils Jésus Christ, il veut que nous demeurions en lui. Par le baptême, comme l’écrit saint Paul, nous sommes déjà ressuscités. Notre mémoire doit enfin rejoindre nos cimetières d’Algérie. C’est là que nous retrouvons nos souvenirs les plus chers, et en même temps l’espérance la plus forte.

Quant à moi, je vois le cimetière de Constantine où sont les tombes de mes parents, mon père, dans le carré militaire, ma mère et mes deux sœurs au bord de l’allée à l’ombre des cyprès.

Et voyez, nos cimetières deviennent champs de blé qui ondulent pour la moisson, sous le vent de l’Esprit, « car le grain qui tombe en terre donne beaucoup de fruits. ». Et les fruits murissent, nourris par nos souffrances, arrosés par nos larmes, sanctifiés par nos prières.

Et aujourd’hui, de nouveaux chrétiens se lèvent en Algérie, des berbères, des kabyles retrouvent leurs racines chrétiennes, ils seraient plus de 25.000, malgré les hostilités, les intimidations, les menaces qu’ils subissent de la part des musulmans, malgré la politique d’arabisation et d’islamisation que prône le pouvoir en place.

Ils ne sont plus « soumis », ils redécouvrent une religion de liberté, de vérité et d’amour. Ils redécouvrent le sens de ces croix tatouées sur le front. Ils redécouvrent le sens ancestral de leur rituel des funérailles, en lisant dans l’Evangile, l’ensevelissement du Christ dans son linceul. Ils redécouvrent la force du baptême. Ils redécouvrent la foi de leurs ancêtres, de nos ancêtres.

Ils sont nos frères dans la foi au Christ Jésus, même s’ils ne sont pas unis à l’Eglise de Rome. Ils cheminent au risque de leur vie. Je crois que nous ne pouvons que saluer le travail évangélique de nos frères protestants, leur audace, leur enthousiasme, en Algérie, aujourd’hui.

Confions notre mémoire, notre espérance à la Vierge Marie, notre Bonne Mère, en faisant nôtre cette prière à Notre Dame d’Afrique, écrite par les Pères Blancs :

Notre-Dame d'Afrique, toi qui es mère de tous les hommes, souviens-toi spécialement des Africains.

Ramène à l'unité tous ceux qui suivent le Christ; réunis-les tous dans l'Eglise fondée par ton Fils.

Que tous ceux qui ne reconnaissent pas en Jésus le Fils du Père soient attirés par sa Lumière.

Que tous ceux qui se sont laissés saisir par Lui proclament sa Bonne Nouvelle par toute leur vie.

Toi, qui étais avec les Apôtres, au début de l'Eglise, soutiens encore maintenant l'ardeur des apôtres d'aujourd'hui.

Qu'ils annoncent la Parole avec assurance.

Toi qui étais disponible à l'Esprit Saint pour accueillir Jésus en toi et le donner au monde, obtiens à beaucoup de jeunes cette même disponibilité.

Notre-Dame d'Afrique, Reine de la Paix, obtiens la Paix pour tous les pays déchirés par la Haine, les Rancœurs, le Racisme.

Que la loi de Charité de ton Fils gagne les cœurs et les unisse, pour que tous chantent la gloire du Père, du Fils et du Saint Esprit. Amen.

Source : http://mgrellul.over-blog.com/article-retour-d-algerie-1962-2012-celebration-du-cinquentenaire-105118205.html