Je laisse la parole
Madame Michèle Tabarot, députée Maire du Canet (06) fille de Pieds Noirs, est l’auteur d’un article paru dans un grand quotidien. Avec son autorisation, monsieur René Andres, président du Collectif, a souhaité lui laisser la parole dans les colonnes du Felfel.

Face aux interrogations de l’histoire, les mots et les gestes du présent sont rarement neutres. S’ils peuvent suffire à mettre un baume salutaire sur une plaie du passé, ils peuvent aussi raviver la douleur d’une blessure toujours à fleur de peau. La visite du président Chirac en Algérie oscille entre ces deux tendances. Le drame vécu il y a 40 ans et pendant 40 ans par les Pieds Noirs et les Harkis souligne non seulement le poids des mots et des gestes, mais plus encore, celui des symboles qui les escortent. Or, inverser les symboles peut être fatal aux fondements même de notre socle identitaire. Comme l’identité d’un individu se fonde dans la confiance de sa naissance, celle d’une communauté puise dans la vérité de son histoire.
Il a fallu attendre près de 40 longues années avant que les « opérations de maintien de l’ordre en Algérie » soient officiellement désignées « Guerre d’Algérie ». Ce « petit pas » pour le législateur a été un grand pas pour nos communautés offensées par le déni. Tous les espoirs étaient alors permis et certains d’entre eux furent d’ailleurs au rendez-vous : la désignation par Jacques Chirac d’une « journée nationale d’hommage aux harkis », la création en 2002 d’une mission interministérielle aux rapatriés, directement placée sous l’autorité du premier ministre et la nomination dans le même esprit de Hamlaoui Mekachera secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants. C’était sans compter sur une histoire mentie dès l’origine et qui a laissé aux propagateurs d’idées préconçues le rôle de grands ordonnateurs du bien et du mal…
A ressurgi la question de la torture en Algérie, dont les tortionnaires ne pouvaient qu’être l’armée française, laissant penser que le FLN, lui, avait mené une guerre propre.
Faut-il encore rappeler que nos appelés du contingent étaient confrontés à un ennemi invisible qui n’a pas hésité à frapper bien après les accords d’Evian et même après l’indépendance, comme en atteste la triste chronologie du massacre d’Oran le 5 juillet 1962? C’est dans ce contexte, où l’espoir le dispute à la provocation, que l’année 2003 a été consacrée « Année de l’Algérie ». On pourrait s’en réjouir et, en tant que fille de pieds noirs, j’étais prête à le faire dans toute la sincérité de mon cœur. Malheureusement 2003 n’est pas l’année rédemptrice qu’elle aurait dû être. Force est de constater que la visite du président de la République en Algérie vient renforcer ce regret. Il y a eu des gestes forts comme la visite du cimetière de Saint Eugène. Mais quelle désolation pour les familles de voir les images des tombes profanées, remises hâtivement en état pour la circonstance!
D’autres raisons viennent nourrir nos regrets: l’appel d’air à une nouvelle vague d’immigration quand les difficultés déjà existantes sont loin d’être résolues. Le traitement de l’immigration qui doit être abordé dans toute sa complexité ne peut s’adresser à l’Algérie sans un déchaînement de passions qui renvoie invariablement à la même culpabilité que notre pays cultive comme une mauvaise conscience.
De la même façon que nous avions su faire notre réconciliation avec l’Allemagne, l’occasion nous était donnée de ne pas amputer notre histoire contemporaine de sa longue parenthèse algérienne. Or, à la lecture du programme élaboré pour célébrer l’année de l’Algérie, cette ambition, ou plutôt ce courage, a manqué.
Notre regret est dans l’épais et pesant « non-dit » qui entoure cette célébration, comme si l’Algérie n’avait jamais côtoyé la France, sa culture, ses idéaux. On aurait pourtant gagné à une claire conscience de cette vérité historique pour construire ensemble un même sens du passé, nécessaire à l’élaboration de notre avenir commun. Cette introspection nationale, qui mieux que l’Etat aurait pu la conduire dans un esprit d’apaisement et pourquoi pas, en faisant œuvre pédagogique auprès des plus jeunes?
Oui, il y avait 2% de colons en Algérie mais il serait peut-être bon de souligner que 80% des pieds-noirs avaient un niveau de vie inférieur à celui de la métropole. L’Algérie elle-même pourrait trouver dans les traces de la présence française les ressorts indispensables à son propre développement, à son propre dynamisme économique et à son rayonnement international.
Alors oui pour une année de l’Algérie, mais pas telle qu’on nous la propose. Il nous reste 10 mois pour réhabiliter la présence française dans ce pays. Cette présence a valu à l’Algérie un essor considérable, rendant fertile une terre inculte. Si le devoir de mémoire fait partie de nos devoirs, il nous faut cultiver cette vérité pour qu’elle soit demain le fier héritage de tous les députés.
Avec l’autorisation de Michèle TABAROT
Député Maire des Alpes Maritimes
Maire du Cannet « Le Figaro 9 mars 2003 


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