C'est à Oran que s'est déroulée, du lundi 5 au dimanche 11 septembre 1960, la fameuse Semaine du Jazz. Oran, seule ville d'Algérie qui, avec ses nuits sans couvre feu, sa corniche très animée, ses rues lumineuses, pouvait accueillir dans son casino de Canastel, les grands noms du jazz. Mais quittons le Grand Café Riche, envahi par de nombreux supporters algérois, venus pour la circonstance

Aux abords du casino de Canastel, la grande difficulté de stationner et l'œil bienveillant du gendarme nous laissent présager un public nombreux.
Sous les glissandos d'un trombone, les applaudissements crépitent... Une salle avec une estrade, des chaises et des tables qui se pressent autour de la piste de danse, un curieux plafond de lattis roseau.
Et nous voici déjà plongé dans cette ambiance magique de la musique de jazz.
C'est lundi. Jacques Sany, finaliste du festival 1960 de Juan-les Pins, ouvre le spectacle, accompagné par J.P. Cazeau, quartet a Indiana ", interprété avec brio, donne un premier aperçu du jazz moderne et déclenche de vifs applaudissements.
Et voici Mezz Mezzrow, lui-même, qui fait son entrée sur scène pour nous présenter ses musiciens André Persiany, pianiste de grande de classe, qui sait s'adapter à tous les styles. Kansas Fields, juché sur sa batterie, fournit un tempo très solide qui permet au trompette Jack Butler et au trombone Billy Byers, de donner le meilleur d'eux-mêmes. Quant à Mezz, il sait électriser une salle et la musique qui coule de sa clarinette se répercute en longs frissons...Un Royal Garden Blues, magistralement interprété, lui vaut une véritable ovation. Le chanteur Clay Douglas, plus modeste, sut, malgré tout, nous charmer de sa voix chaude. La soirée fut mémorable et ceux qui étaient là ne sont pas près de l'oublier. L'atmosphère ne se détend pas jusqu'à mercredi, où le spectacle
Débute par une "jam session" très enlevée. La vedette de ce soir est Stéphane Grappelly. On retrouve, avec plaisir, André Persiany, au piano, aux côtés du grand violoniste qui fut le compagnon de Django, aux temps héroïques du jazz...Dans des morceaux connus tels que " Nuages ", " Lady be good " nous sentons aujourd'hui l'évolution du style de Stéphane Grappelly, depuis les années 34 du quintette. L'entente entre Grappelly et Persiany est complète ; ils pratiquent un Jazz de haute tenue et de, grande de qualité.
Ce soir là, vendredi 9, l'émotion est à son comble. Après une entrevue de l'orchestre Siste et de l'orchestre oranais Roger Fugen Drummer au swing remarquable les acclamations ne vont cesser de croître dès l'entrée en scène de l'orchestre de Jean-Christian Michel. II nous présente enfin du " Vieux Jazz " dans la pure tradition New Orléans. Certes, déplorons son manque de technique musicale, toutes ces leçons de solfège dont il s'est presque dispensé, mais qui, en revanche, alimente trop souvent des orchestres progressistes.
Ce feu sacré brûle sur l'autel. Nous scandons : " St-Louis Blues". Le trombone R. Soirat joue les yeux fermés et nous laisse interpréter par son profond feeling une foule d'émotions. Maintenant, c'est Alain Forradelles qui nous parle au travers des notes rondes de son cornet. J.P. Clément, au banjo, est infatigable de même que le pianiste J. Vernier qui permet aux musiciens de construire sur une base solide. Mais l'ampleur, la foi communicative, bref, la cohésion de l'orchestre, c'est J. Christian Michel qui parvient à la cristalliser de sa sonorité âpre.
Samedi et dimanche, ces deux jours se révélèrent être l'apothéose du festival. Peanuts Holland:, le grand trompette noir, accompagné par l'orchestre de Jean-Claude Pelletier, déchaîna, littéralement, la salle. Que ce soit dans des interprétations senties, tel que " Mood indigo ", où il nous donna, sans mesure, son extraordinaire talent, une sensibilité raffinée, mais, cependant, toujours contrôlée, ou bien dans des morceaux au punch dynamique, Peonuts ne déçut jamais. un seul instant.
La formation qui accompagnait la vedette américaine était de fout premier ordre. Jean-Claude Pelletier reste le brillant pianiste que nous connaissons et ses " riffs ", au piano, sont un véritable tonique pour un orchestre.
Les fous délirants scandèrent " C. jam blues ", interprété par Michel Attenoux. au saxo-soprano. et Dominique Chanson, au saxo-ténor, efficacement soutenus par Philippe Combelle, à la batterie.
Ces deux jours, se produisirent également la formation du vibraphoniste Tolosa . qui nous surprit par des arrangements remarquables (très Milt Jackson), l'orchestre de Pierre Siste et celui de Jean-Christian Michel auquel se joignit Michel Attenoux dans deux exécutions très enlevées. Une " Jam session " monstre clôtura le festival dans une atmosphère digne de Pleyel.
Les verres se remplissent à ras bord et même au-delà...
La semaine du jazz n'est pas terminée. Elle ne se terminera jamais dans nos coeurs. Car, tout a été fait pour nous laisser une impression forte et attachante. C'est à son organisateur et mécène. Rémi Amoros, à l'enthousiasme direct et à Pierre Voran, président du Hot Club d'Alger, à qui nous devons toute la direction artistique, que nous rendons hommage. Puisse une initiative aussi sympathique se reproduire souvent ! Maintenant les faisceaux des phares découpent, comme des ciseaux. la nuit d'encre.
Tout tourbillonne. II est impossible de dissocier dans notre âme toutes ces images vivaces, ces sons fondus qui s'entrechoquent, se heurtent, se brisent, comme les vagues tout en bas sur les rochers noirs.
PAR CLAUDE VASSEUR




Station Climatique de Canastel près d'Oran


Casino de Canastel près d'Oran.
Merci Antoine pour les photos extraites du livre de Jacques Gandini "Oran de ma jeunesse".

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