Aux abords du casino de Canastel, la grande difficulté
de stationner et l'il bienveillant du gendarme nous laissent présager
un public nombreux.
Sous les glissandos d'un trombone, les applaudissements crépitent...
Une salle avec une estrade, des chaises et des tables qui se pressent autour
de la piste de danse, un curieux plafond de lattis roseau.
Et nous voici déjà plongé dans cette ambiance magique
de la musique de jazz.
C'est lundi. Jacques Sany, finaliste du festival 1960 de Juan-les Pins, ouvre
le spectacle, accompagné par J.P. Cazeau, quartet a Indiana ",
interprété avec brio, donne un premier aperçu du jazz
moderne et déclenche de vifs applaudissements.
Et voici Mezz Mezzrow, lui-même, qui fait son entrée sur scène
pour nous présenter ses musiciens André Persiany, pianiste de
grande de classe, qui sait s'adapter à tous les styles. Kansas Fields,
juché sur sa batterie, fournit un tempo très solide qui permet
au trompette Jack Butler et au trombone Billy Byers, de donner le meilleur
d'eux-mêmes. Quant à Mezz, il sait électriser une salle
et la musique qui coule de sa clarinette se répercute en longs frissons...Un
Royal Garden Blues, magistralement interprété, lui vaut une
véritable ovation. Le chanteur Clay Douglas, plus modeste, sut, malgré
tout, nous charmer de sa voix chaude. La soirée fut mémorable
et ceux qui étaient là ne sont pas près de l'oublier.
L'atmosphère ne se détend pas jusqu'à mercredi, où
le spectacle
Débute par une "jam session" très enlevée.
La vedette de ce soir est Stéphane Grappelly. On retrouve, avec plaisir,
André Persiany, au piano, aux côtés du grand violoniste
qui fut le compagnon de Django, aux temps héroïques du jazz...Dans
des morceaux connus tels que " Nuages ", " Lady be good "
nous sentons aujourd'hui l'évolution du style de Stéphane Grappelly,
depuis les années 34 du quintette. L'entente entre Grappelly et Persiany
est complète ; ils pratiquent un Jazz de haute tenue et de, grande
de qualité.
Ce soir là, vendredi 9, l'émotion est à son comble. Après
une entrevue de l'orchestre Siste et de l'orchestre oranais Roger Fugen Drummer
au swing remarquable les acclamations ne vont cesser de croître dès
l'entrée en scène de l'orchestre de Jean-Christian Michel. II
nous présente enfin du " Vieux Jazz " dans la pure tradition
New Orléans. Certes, déplorons son manque de technique musicale,
toutes ces leçons de solfège dont il s'est presque dispensé,
mais qui, en revanche, alimente trop souvent des orchestres progressistes.
Ce feu sacré brûle sur l'autel. Nous scandons : " St-Louis
Blues". Le trombone R. Soirat joue les yeux fermés et nous laisse
interpréter par son profond feeling une foule d'émotions. Maintenant,
c'est Alain Forradelles qui nous parle au travers des notes rondes de son
cornet. J.P. Clément, au banjo, est infatigable de même que le
pianiste J. Vernier qui permet aux musiciens de construire sur une base solide.
Mais l'ampleur, la foi communicative, bref, la cohésion de l'orchestre,
c'est J. Christian Michel qui parvient à la cristalliser de sa sonorité
âpre.
Samedi et dimanche, ces deux jours se révélèrent être
l'apothéose du festival. Peanuts Holland:, le grand trompette noir,
accompagné par l'orchestre de Jean-Claude Pelletier, déchaîna,
littéralement, la salle. Que ce soit dans des interprétations
senties, tel que " Mood indigo ", où il nous donna, sans
mesure, son extraordinaire talent, une sensibilité raffinée,
mais, cependant, toujours contrôlée, ou bien dans des morceaux
au punch dynamique, Peonuts ne déçut jamais. un seul instant.
La formation qui accompagnait la vedette américaine
était de fout premier ordre. Jean-Claude Pelletier reste le brillant
pianiste que nous connaissons et ses " riffs ", au piano, sont un
véritable tonique pour un orchestre.
Les fous délirants scandèrent " C. jam blues ", interprété
par Michel Attenoux. au saxo-soprano. et Dominique Chanson, au saxo-ténor,
efficacement soutenus par Philippe Combelle, à la batterie.
Ces deux jours, se produisirent également la formation du vibraphoniste
Tolosa . qui nous surprit par des arrangements remarquables (très Milt
Jackson), l'orchestre de Pierre Siste et celui de Jean-Christian Michel auquel
se joignit Michel Attenoux dans deux exécutions très enlevées.
Une " Jam session " monstre clôtura le festival dans une atmosphère
digne de Pleyel.
Les verres se remplissent à ras bord et même au-delà...
La semaine du jazz n'est pas terminée. Elle ne se terminera jamais
dans nos coeurs. Car, tout a été fait pour nous laisser une
impression forte et attachante. C'est à son organisateur et mécène.
Rémi Amoros, à l'enthousiasme direct et à Pierre Voran,
président du Hot Club d'Alger, à qui nous devons toute la direction
artistique, que nous rendons hommage. Puisse une initiative aussi sympathique
se reproduire souvent ! Maintenant les faisceaux des phares découpent,
comme des ciseaux. la nuit d'encre.
Tout tourbillonne. II est impossible de dissocier dans notre âme toutes
ces images vivaces, ces sons fondus qui s'entrechoquent, se heurtent, se brisent,
comme les vagues tout en bas sur les rochers noirs.
PAR CLAUDE VASSEUR
Station Climatique de Canastel près d'Oran
Casino de Canastel près d'Oran.
Merci Antoine pour les photos extraites du livre de Jacques Gandini "Oran
de ma jeunesse".