ATTENTAT "MILK BAR"
ALger 30 septembre 1956
18h30, c'est l'explosion"

 

J’étais en Algérie depuis le 11 mars 1956, je servais en qualité de sergent à la 60éme CTAP sous les ordres du capitaine Egé. Cette unité était stationnée à Hydra sur les hauteurs d'Alger, au siège de la 10e, division parachutiste aux ordres du général Massu. Le 26 juillet, éclate la nouvelle de la nationalisation par Nasser du canal de Suez. Très rapidement nous sommes informés que trois régiments de parachutistes sont en alerte. La compagnie de quartier général, la compagnie de transmission, les services médicaux et les autres vont désigner les détachements concernés qui doivent se préparer au départ. Nous allons recevoir des renforts en matériels, notamment des véhicules. Désigné pour partir avec la fonction de trésorier du détachement je reçois une jeep en charge. La préparation en août et en septembre est intensive.
 
                     
 
 
Alger 30 septembre 1956 bombe au Milk Bar
8 victimes du terrorisme du FLN
     
Retrouver Nicole Guiraud dans une autre page
 
 
Entraînements d'embarquement et de débarquements sur les barges LCT. Sauts en parachute en mer ou au sol, exercices de conduite en convoi: plus de cent véhicules à la queue le leu. Le dimanche 30 septembre 1956 a lieu un de ces exercices de conduite en convoi qui nous mène à Blida - environ quarante kilomètres et retour sur Hydra. A midi le commandement fait savoir qu'il y aura des autorisations de sortie pour l'après midi je décide d’aller à la piscine du RUA à Alger en compagnie d'une jeune fille d'Hydra. Pour accéder à cette piscine en pleine mer, il faut emprunter un bateau navette. Après la baignade, vers 17h30 nous sortons arpenter la rue d'Isly, Nous entrons au Milk Bar et nous nous installons, debout au comptoir. En entrant j'aperçois un camarade de ma compagnie, le sergent Paul M..., à table seul. Il rentre de Plage et déguste une glace.
  18h30 30 septembre 1956 c'est explosion :  
Je réagis immédiatement et je réussis à me traîner, en rampant vers l'extérieur sur le trottoir...mon pied gauche dans la main droite ! Je le reconnais à la couleur de la chaussette .... J'essaie de confectionner un garrot. Mais les morceaux de tissu de ma chemise en lambeaux n'y résistent pas j'exerce une forte pression avec deux mains pour tenter d'arrêter le sang qui gicle. Je vois alors arriver vers moi un capitaine de la Légion étrangère, qui retire sa cravate verte pour m'en faire un garrot au-dessus du genou de la jambe gauche. Instantanément, le sang s'arrête de gicler. J'explique que je suis un Militaire ce qui ne se voit plus : mes vêtements sont en lambeaux.
Immédiatement des véhicules militaires convergent vers le lieu de l'explosion. Des véhicules civils sont réquisitionnés. Je retrouverai plus tard le capitaine Vitasse. Il commandait la compagnie de QG de la 10ème DP. Il était de service ce jour là au commandement de la 10ème Région militaire place Bugeaud . Ce 30 septembre, en fin d'après-midi il s'active à organiser l’évacuation des blessés vers les hôpitaux et les cliniques de la ville. Pour l'heure, on m'installe sur le siège avant d'une Jeep, tenant toujours mon pied gauche à la main. Une femme est couchée surle siège arrière du véhicule. Elle gémira tout au long du transport vers l'hôpital militaire Maillot d'Alger.
Le chauffeur se trompe d'itinéraire. Deux fois, je dois lui indiquer la route. Nous entrons dans la cour de l'hôpital. Enfin, nous allons être soignes.
M. Marc Desaphy
     
 
Mais non je dois attendre : La femme qui est dans la Jeep est plus atteinte que moi, son état nécessite une prise en charge immédiate. Je m'entends encore dire: "la Galanterie française: les femmes d'abord, les hommes ensuite ! Mais dépêchez vous .... Nous étions dimanche soir, qu'un chirurgien de garde. Il fallait laisser le temps aux renforts ... d'arriver.
Dans ma douleur, je m'étais pris à croire au miracle. Je me dis: j'ai été transporté rapidement à l'hôpital, mon pied gauche est là, près de moi .Le garrot a produit son effet le chirurgien va pouvoir greffer artères, veines, nerfs, tendons..." Le surlendemain quand je refais surface, mon premier geste est de passer les mains sur ma jambe gauche : un grand vide après le genou, et, sur le mollet de la jambe droite, un énorme pansement. Je suis quasiment Je suis quasiment sourd : la violence du souffle de la déflagration a fait éclater mes deux tympans. Je ne récupérerai jamais totalement mon audition.
Je partage ma chambre avec deux camarades, qui ne se relèvent pas de blessures de guerre, et le sergent Paul M., qui était au Milk Bar en même temps que moi-Lui aussi a dû être amputé d'une jambe Tout comme la jeune fille qui était avec moi, transportée dans une clinique privée.
Quelques jours après la tragédie, nous recevons la visite de Mme Massu: Je viens vous apporter, de la part du général, des souhaits de réconfort et de prompt rétablissement. Qu'est-ce qui vous ferait plaisir ? – Du champagne madame, pour fêter ce moment : nous sommes encore en vie ! "Tu es gonflé! Me dit mon camarade. J'étais encore sous le choc des blessures, morales et physiques, et de l'anesthésie. Un moment près Mme Massu revient avec du champagne et cinq verres. Elle débouche la bouteille et elle en offre aux quatre blessées. Nous trinquons à notre guérison à notre remise sur pied, pour Paul et pour moi. Quelques jours plus tard, c'est le général Massu qui nous rend visite Il venait voir ses soldais blessés, comme tout grand patron qui aime ses hommes. Prévenus au dernier moment. J'avais eu cependant le temps de penser à la question. Après ses souhaits de prompt rétablissement, je lui demande s'il nous remet une décoration à mon camarade et à moi même. Devant sa stupéfaction, je reprends: Dés lors que vous nous décorez pas, c'est que nous allons nous en sortir ! .
Qui ne se souvient avoir vu, dans de telles circonstances des remises de décorations et, hélas, le lendemain ou les jours suivants, l'annonce du décès du décoré ! Ne pas être décorés était pour nous la garantie que nos vies n'étaient plus en danger! Après avoir exprimé mes regrets ne pouvoir partir pour Suez, après toute la préparation effectuée je précise : "Si je peux servir après mon rétablissement dans un emploi en rapport avec mon handicap sachez que je serai volontaire ".
           
   
  Pour l'écoute directe.
Téléchargez RealOne Player