Quand en 1932 une légion d'honneur méritée fut décernée à Gabriel Darbada, architecte officiel du Gouvernement Général à Alger , c'était une juste récompense pour le travail d'un homme de l'art , une récompense pour l'oeuvre d'un homme en Algérie dont la France peut s'enorgueillir . Le portait de cet homme.
GABRIEL DARBEDA

Quand, en 1932, une Légion d'honneur méritée fut décernée à Gabriel DARBEDA, Architecte officiel du Gouvernement Général, la carrière d'un véritable homme de l'Art, qui avait réalisé en ALGERIE des œuvres dont la FRANCE pouvait s'enorgueillir se trouva couronnée.
Au-delà même de l'hommage rendu à l'homme et à son travail, cette distinction rejaillit sur une lignée des tous premiers pionniers qui risquèrent l'aventure sur une terre encore méconnue et tout juste libérée. Ceux là osèrent, puis persistèrent avant de réussir.
La famille DARBEDA, aux lointains aïeux sans doute originaires de Gênes, trouve son origine française à Nice où un capitaine au long cours, nommé DALBERA était venu s'établir. Il épousa, en 1818, une jeune fille de MAHON, principale localité de l'ïle de Minorque et de cette union naquit Gabriel, son fils.
Quelques années plus tard le brick du capitaine sombra corps et biens au cours d'un trajet entre Mahon et Cuba.En 1834, Madame DALBERA avec son fils de 15 ans, quelques parents et amis, prit la décision de s'exiler à ALGER. La FRANCE y était depuis moins de 4 ans et c'est là qu'ils se fixèrent.
A leur arrivée une erreur du service d'état civil, nouvellement crée, transforma le nom DALBERA en celui de DARBEDA. La courageuse veuve se mit aussitôt à exercer ses talents de couturière tout en veillant à l'avenir de son fils. Gabriel trouva rapidement sa voie dans la charpenterie et la menuiserie, si vite même que, travailleur et entreprenant, il put dès 1840 s'installer à son compte. Pour loger ses ateliers il acheta un terrain rue du Marché, plus tard rue des Généraux MORRIS, et qui deviendra un jour le siège de la Société des Beaux-Arts.
L'entreprise DARBEDA ne cessant de se développer fut, en 1866, déplacée rue Mogador. Sur 900 mètres carrés Gabriel fit édifier deux immeubles en réservant les rez de chaussée aux différents travaux du bois. Ces bâtiments existent encore de nos jours. Une nouvelle extension fut nécessaire en 1870 mais le dynamique Gabriel s'éteignit 2 ans plus tard après 32 années de patronat. Marié, comme son père, avec une Minorquine il avait eu 8 enfants.
C'est l'ainé, Marcel qui prit aussitôt la succession. Doté d'une solide expérience déjà, il modernisa l'entreprise qui, trop à l'étroit pour ce nouvel essor, s'installa dans le nouveau quartier de L'AGHA Supérieur en 1880. Ces bâtiments : ateliers, bureaux, entrepôts, furent conservés pendant les cinquante années suivantes. Démolis en 1930, ils furent remplacés par les immeubles GERMAIN-BRANTHÔME.


Gare d'Oran
Par ailleurs Conseiller Municipal de la Ville d'ALGER pendant le mandat de Frédéric ALTAIRAC ( voir Mémoire Vive n°17) Marcel DARBEDA réalisa de remarquables travaux pour la MEDERSA, l'hôtel de style qui abritait la " Depêche algérienne ", l'Hôpital PARNET, la caserne des Douanes etc…… etc…….
En 1906, pour l'Exposition de MARSEILLE il exécuta le " Pavillon Forestier " du Gouvernement Général de l'ALGERIE. Entièrement construite en divers bois d'ALGERIE, cette œuvre lui valut les palmes Académiques. Il eut 7 enfants.

François, le second fils de Marcel, assuma la direction des travaux de l'Entreprise DARBEDA jusqu'à la mort de son père en 1908. Il lui succèda et attacha son nom à de grandes réalisations de l'époque. Jusqu'à la guerre de 1914 : La banque de l'ALGERIE (menuiseries en noyer de FRANCE), et le palais des Assemblées Algériennes (en chêne) à ALGER,

la Gare et l'Hôtel Terminus à ORAN, la sous-préfecture de MILIANA (décoration et mobilier) etc…De 1919 à 1930, ce savoir-faire continua à s'exercer dans les nombreuses agences de la Compagnie Algérienne, la Banque BARCLAY, le collège Notre Dame d'AFRIQUE et le Pensionnat Sainte Geneviéve à ALGER etc…. De même que dans de nombreuses demeures privées. François DARBEDA fut président des entreprises de menuiseries d'ALGERIE et Vice-Président des entreprises de Travaux Publics.
Ce ne fut que par manque d'ouvriers qualifiés qu'il arrêta l'entreprise familiale en 1930 ; 90 ans après sa création. Selon sa propre expression: " Ce ne fut pas de gaïeté de cœur, mais contraint et forcé ". François avait épousé Mathilde FERRERO.
Originaire de la région de TURIN, Antoine le père de Mathilde, arriva en ALGERIE en 1867. Minotier, il fonda le moulin de BOU-SAÂDA, célébré par les nombreux artistes peintres attirés par les charmes de cet oasis. François et Mathilde eurent 4 enfants. L'ainée, Madeleine, peintre orientaliste fut élève de CAUVY et d'ANTONI à ALGER et sociétaire des Artistes français à PARIS. Pierre DARBEDA, capitaine au long cours, fut à partir de juillet 1948 pilote du port d'ALGER. Son frère cadet Jacques, né en 1911, fit ses études d'Architecture dans l'atelier de CLARO à l'Ecole des Beaux-Arts d'ALGER. Diplomé, il rejoignit ce dernier comme professeur à l'Ecole. Les 2 hommes collaborèrent pour la réalisation de l'hôpital de TIZI OUZOU et la nouvelle Ecole des Beaux-Arts édifiée boulevard du Télemly, en surplomb du Parc de Galland. En 1955 c'est avec Louis MIQUEL que Jacques intervint pour la reconstruction du centre-ouest d'ORLEANSVILLE sévèrement endommagé par le seisme de l'été précédent. Il travailla, avec BOURLIER, au grand projet de la nouvelle cité satellite d'EL HARRACH qui ne put se concrétiser en raison des " évènements ". Jacques DARBEDA réalisa les modernes centraux téléphoniques d'EL BIAR, d'HUSSEIN DEY et de la COLONNE VOIROL ainsi que l'agrandissement de la Grande poste d'ALGER.
Après son arrivée en FRANCE il deviendra architecte des P.T.T.

 

 

 


Gabriel Darbeda 1869-1949

Gabriel DARBEDA

fils ainé de Marcel, est né le 3 juillet 1869 à ALGER. Ayant choisi l'Architecture, il fut élève de Redon et obtint son diplôme en 1869. Sa première œuvre, sera la villa familiale que son père lui fit édifier dans le petit village maritime de SUFFREN, entre LA PEROUSE et AÏN TAYA.
En 1901 il réalisa l'immeuble DURET place BUGEAUD à ALGER. La frise en terre cuite qui couronna la construction était du sculpteur FOURQUET, prix de ROME. En 1908, au concours pour l'érection d'un lycée de jeunes filles, il remporta le premier prix et se vit confier la direction des travaux. Ce sera plus tard le lycée DELACROIX. Cette année là il sera nommé Architecte des Palais par le Gouvernement Général de l'ALGERIE.
En 1905, dans l'un des deux immeubles qu'il édifia à l'angle des rues du LANGUEDOC et DROUILLET, figurera dans le tympan de la porte d'angle, une fresque du peintre ANTONI
En 1908, il se classera premier au concours pour l'érection de l'Hôtel et des bureaux de la sous préfecture de MILIANA et obtiendra l'année suivante la direction des travaux.
En 1910, le Gouverneur JONNART, lui confia l'étude de la construction, de style renaissance, du Palais des Délégations Financières, (plus tard : Assemblée Algérienne), boulevard Carnot ainsi que la direction des travaux.

Professeur à l'Ecole des Beau-Arts d'ALGER DARBEDA faisait partie d'un cercle d'amis comprenant : Léon CAUVY, Gilbert GALLAND, Emile GAUDISSART, Paul JOUVE et autres peintres et artistes de renom. A l'Ecole, il eut pour élève pendant 4 ans Paul BELMONDO. Le sculpteur, devenu mondialement celèbre, reconnaitra le grand profit qu'il avait tiré de cet enseignement. Les cours de DARBEDA lui permirent " d'établir l'accord nécessaire de la sculpture à la construction qu'elle doit orner " (Voir Mémoire Vive n°19).
Cette même année, il lui est demandé par le Gouverneur, l'étude d'un Palais-Résidence à la place de l'ancien Palais de MUSTAPHA-SUPERIEUR. Son projet sera admis, et la direction des travaux lui sera confiée mais, par suite de la guerre 14-18, ces travaux commencés en 1911 ne seront terminés qu'en 1919. Ce sera désormais le Palais d'ETE. La décoration sera achevée en 1925 sous le Gouvernement de Monsieur STEEG.

 

 


Le Palais d'été

 




Le Palais d'été façade arriere.

Pour cette habitation, qui deviendra la résidence officielle des successifs Gouverneurs Généraux de l'ALGERIE, DARBEDA conçut un grand et magnifique projet. Cet ensemble de style mauresque détachait sa blancheur sur un parc à la luxuriante végétation. On y avait une vue imprenable sur la courbe majestueuse de la baie d'ALGER.
Il avait fallu déjà bien des travaux pour transformer la simple villa qui en 1830, appartenait au ministre des haras du Dey ; Le duc d'AUMALE en avait d'abord fait une demeure " à l'européenne ", en 1846, et avait ajouté une série de dépendances mais les pièces s'avérèrent trop exiguës et il devint impossible de séparer les appartements privés et les bureaux officiels. Gabriel DARBEDA fit démolir le pavillon central qu'il remplaça par une salle de banquet au rez de chaussée et une salle des fêtes au premier étage. Il sut faire preuve d'un large éclectisme pour traiter ces pièces d'apparat. Son œuvre, tout en empruntant de nombreux éléments à des formes d'art diverses se révéla heureuse et originale.
Séduit par la Chapelle Palatine de PALERME, au cours d'un de ses voyages en ITALIE, DARBEDA s'en souvint pour la salle des fêtes. Il réalisa son dessein en créant une œuvre remarquable par sa ligne et pour sa richesse colorée. Pour la galerie qui longe cette salle et donne sur le parc il s'inspira des conceptions vénitiennes et lui donna comme aux autres salles du 1er étage, un air de grandeur qui répondait au caractère recherché.
En traitant la salle des banquets, DARBEDA apporta un élément nouveau d'ornementation avec des colonnes polygonale en marbre de CARRARE, aux chapiteaux en forme de pomme de pin. Pour enrichir l'ensemble des pièces d'un cycle de fresques, l'occasion était belle de faire appel à l'Ecole des orientalistes. Sur l'initiative de DARBEDA, le Gouverneur Général JONNART confia donc l'ornementation picturale du Palais à Marius de BUZON, L.F ANTONI, Léon CARRE, Paul JOUVE. Plus tard ce seront les peintures que Léon CAUVY avait exécutées pour le pavillon de l'ALGERIE à l'exposition Internationale des Arts Décoratifs qui seront ajoutées.
En 1929 Gabriel DARBEDA fut désigné comme membre de la commission d'architecture du Centenaire de l'ALGERIE. Pour cette occasion, le Musée des Antiquités et d'Art musulman (Stéphane GSELL) fut rénové et c'est à lui qu'on fit appel. Il modifia très heureusement l'aspect de l'édifice en élevant une façade monumentale parée d'admirables portes inspirées par des modèles marocains du XII° siècle.
Au milieu des verdures du Parc de Galland, le musée d'ALGER d'un beau ton rosé devint sans conteste un des monuments les plus justement admirés d'ALGERIE.
Gabriel DARBEDA, qui était également intervenu dans la rénovation de la Villa ABD EL TIF, réalisa bien d'autres œuvres pour l'administration et les particuliers. Signalons le tombeau érigé dans la villa " DJENAN MERIEM " que le peintre ROCHEGROSSE lui commanda. En témoignage de reconnaissance, il fit présent à DARBEDA d'une belle peinture représentant cette oeuvre et intitulée " le Jardin de Marie ".
Nommé Inspecteur Général du Service d'Architecture, jusqu'à sa retraite, il ne s'adonna qu'à cette fonction. Modeste et desintéressé, Gabriel DARBEDA s'éteignit en 1949 à ALGER.






Musée Stéphane Gsell

 
P.S : C'est François DARBEDA qui, rassemblant ses souvenirs et le fruit de ses recherches généalogiques, relata à partir de 1945 la longue histoire de la famille DARBEDA en ALGERIE. Famille exemplaire et représentative de toutes celles qui contribuèrent à faire de l'ALGERIE du milieu du XX° siècle un pays riche et évolué.
Le C.D.H.A remercie Madame Georges DARBEDA, ses enfants Philippe et Michèle, qui en plus de ces archives personnelles ont légué à notre bibliothèque de nombreux et précieux documents.

John Franklin