Le foot

Celui-ci est, à Bab-el-Oued, omniprésent, triomphant. Il obsède et possède petits et grands. Il ne règne pas seulement sur les stades, mais dans la rue. La rue Mizon, la rue Franklin, la rue Léon-Roches, la rue Christophe-Colomb, la rue Fourchault, toutes les rues sont transformées en mini-terrains de jeux par des galopins qui tapent la balle, avant l'école, après l'école, jusqu'à la tombée de la nuit, et que rien n'arrête, pas même le passage des voitures, Seul peut interrompre la partie un coup de pied malencontreux qui projette la sphère de cuir dans la boutique d'un commerçant excédé, ce qui oblige à des négociations délicates : Msieur, tu me le rends, mon ballon? A karbi, je te jure, on recommence plus, on s'en va à côté.

A six ans, on apprend à jouer au foot en force (Antoine, quel shoot terrible il a !) ou en finesse (Tu feintes, tu dribles, tu tchique-tchiques, tu démarques et tu fais la passe, parce que, si tu joues personnel, elle perd ton équipe).

A quatorze ans, on cherche, à "jouer cadet" à l'un des trois clubs locaux, le Sporting (Les bleu et blanc c'est des lions!), l'Élan ou le S.A.B.O., dont le sigle rustique désigne - finalement -les Sports athlétiques de Bab-el-Oued. A trente-cinq ans, on pratique encore un peu, mais on passe sa vie comme spectateur sur les stades.

Supporter acharné, Pedro encourage du geste (forcené) et de la voix (hurlante), les " rayés rouge et blanc " de l'Association sportive de Saint-Eugène. Sa ferveur célèbre leurs exploits avec une sublime éloquence et excuse leur défaite avec une mauvaise foi superbe.

A Bab-el-Oued, le lundi de Pâques, il ne reste plus que les chats, d'ailleurs innombrables. La veille, les quatre-vingts boulangeries du quartier ont vendu, milliers, des mounas, ces gâteaux un peu bourratifs, au goût de pain brioché, couronnés d'une légère pincée de sucre .Le matin, tout le monde est parti " casser la mouna ".

On a mis dans les voitures les miches de pain, les sandwiches jambon, les oeufs durs, les omelettes froides, les tomates juteuses, les cochonnailles, les fruit de saison, les bouteilles de rosé et les gazouzes, le Selecto, (boissons gazeuses). On va pique-niquer sur l'herbe, à Baïnem, dans les senteurs toniques de la pinède qui se mêlent à l'odeur de la mer, et on fait la fiesta (fête).


On va pique-niquer sur l'herbe, à Baïnem.
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